Partagez sur "De Jünger à Kohl : les relations entre la France et l’Allemagne (1990 – 2001)"
En 1990 a lieu la réunification allemande: la RFA absorbe la RDA et, pour la première fois depuis 1945, un unique État allemand est présent sur la scène internationale. L’Allemagne, qui a du faire profil bas pendant 45 ans, obtient désormais une légitimité diplomatique exceptionnelle.
À tel point que ce pays a, pour parler trivialement, eu la « grosse tête ». Loin venant de votre serviteur l’idée de faire un pamphlet critique à l’égard de l’Allemagne, celui-ci étant à moitié allemand, il lui paraît difficile de renier ses propres origines.
L’Allemagne a réussi son tour de force: redevenir, 50 ans après la défaite de 1945, la première puissance Européenne. Aujourd’hui, nous sommes 70 ans après la fin de la Seconde Guerre Mondiale: l’Allemagne domine par sa formidable réussite économique et son esprit de conquête. Il ne s’agit pas de haïr l’Allemagne, ni de se sentir frustré. Mais bien d’admirer la réussite méconnue d’un pays, qui permet aujourd’hui à l’Union Européenne de ne pas totalement sombrer. Mais si l’Europe a besoin de l’Allemagne, l’Allemagne a aussi besoin de l’Europe, car celle-ci lui offre ses piliers, et ses peuples son ciment.
Derrière la conception allemande de l’Europe se cache l’écrivain et ancien combattant Ernst Jünger. Jünger n’est pas nazi, mais admet néanmoins l’importance dans la culture allemande d’un « espace vital ». Cela peut paraître anecdotique, mais ses ouvrages auront un impact significatif (du fait de la postérité de son auteur) sur la conception allemande de l’Europe.
Jünger écrit dans son essai intitulé La Paix que la manière d’agir allemande (la guerre) ne fera que mieux servir les intérêts de l’Allemagne dans le futur. Pour lui, la seconde guerre mondiale est perdue, mais elle permettra à long terme à l’Allemagne de revenir clairement sur le devant de la scène internationale. L’Histoire lui donnera raison.
Il élabore ainsi les bases idéologiques de l’Europe telle que nous la connaissons aujourd’hui : une union des peuples (et non des Nations), loin d’une Europe fédérale ou centralisée. Une Europe qui aurait pour devise « unité mais diversité », ce qui n’est pas synonyme d’ « uniformité ».
Jünger écrit ainsi que l’Union de l’Europe devra se doter d’une constitution, capable d’établir les règles dans la nouvelle maison commune. L’histoire a failli lui donner à nouveau raison : après le référendum de 2005, l’idée d’une constitution européenne est abandonnée, avant de revenir avec le Traité de Lisbonne de Décembre 2007.
Cette maison commune devra être à l’image de l’Allemagne. La défaite envisagée dès 1943 par Jünger devrait être de sorte qu’il n’y ait ni vainqueur ni vaincu : il n’y aurait donc pas la possibilité d’humilier à nouveau, comme en 1918 l’Allemagne. En clair : l’Allemagne était elle aussi victime du nazisme (une victime qui vota à 44% pour Adolf Hitler en 1933). Cette possibilité était déjà vraie en 1949.
L’Allemagne, en établissant un système économique généralisé à une grande partie de l’Union Européenne. Elle abolirait les frontières administratives et politiques : l’espace vital se trouverait ainsi réalisé.
Il est ainsi intéressant de constater que Helmut Kohl et François Mitterrand ont désigné, à l’heure de la réunification, au cours de la période 1989-1990, Ernst Jünger comme auteur de référence. Cela laisse imaginer la suite des événements et à quel point l’Europe, telle que nous la connaissons, est allemande.
« Notre Europe » : l’Europe Allemande (et non l’Allemagne européenne)
En 1990, lors d’un discours devant les députés du Bundestag, Helmut Kohl est revenu plusieurs fois sur la question européenne, et en a profité pour faire une série de lapsus intéressants : évoquant la dixième législature alors que c’était la onzième, Helmut Kohl a ainsi exprimé le trouble qu’a créé la réunification, ainsi qu’une volonté (implicite) de faire table rase de tout un pan de l’Histoire.
Il a surtout évoqué l’avenir de l’Allemagne et l’avenir de «notre Europe ». Non pas l’Europe des Européens, mais « notre Europe, à nous autres les Allemands ». Il en a rajouté le « s » possessif à la fin de « Europa » (Europas Deutschlland), marque du génitif, accentuant ainsi l’idée de possession.
Cela s’est vérifié par la suite, puisque nombre de politiciens allemands considéraient (et considèrent encore aujourd’hui), que l’élargissement de la communauté européenne vers le Nord de l’Europe déplacerait le centre d’influence majeur de la France vers l’Allemagne.
L’Allemagne se retrouverait ainsi au centre de la communauté européenne, jouant ainsi rôle de noyau d’un bloc autour duquel graviterait divers satellites, à l’image des blocs de la guerre froide.
Klaus Kinkel a ainsi formulé que les objectifs de la politique allemande à l’étranger devaient se résumer à la formation d’une économie de marché, développement des sociétés civiles etc. Bref, l’idée est de dépasser les frontières politiques et administratives et d’établir une Europe à l’image de l’Allemagne : s’affranchir le plus possible de tout ce qui à trait à la Nation, au patriotisme.
Les relations franco-allemandes : un jeu de dupes
Notons d’abord qu’à l’occasion du cinquantenaire l’an passé du traîté de l’Élysée, il fut intéressant de voir que le site officiel parlait, ainsi que tous les politiques français, d’ « amitié franco-allemande ». La nuance est subtile outre-Rhin : les Allemands parlent plus volontiers de « partenariat franco-allemand ». Helmut Kohl, dans le même discours de 1990, a par ailleurs précisé que la « question des relations franco-allemandes ne saurait se résumer à une question d’amitié, mais bien à une question de partenariat. »
À l’image de deux entreprises en concurrence pour le monopole sur un marché, l’Allemagne et la France, dont la dernière se maintient encore dans l’illusion d’une amitié et d’une table rase du passé, se font et continueront à se faire concurrence pour être la voix dirigeante de la communauté européenne.
Autre symbole : peu après la réunification fut réinstallée la statue équestre de Guillaume Ier, symbole de l’Empire, de la défaite de la France, et ce un 2 septembre, date de la défaite de Sedan, alors que le discours tenu par la majorité de la classe politique allemande était à la réconciliation et à l’oubli du passé.
Il ne s’agit pas de se lancer dans une diatribe à l’égard de l’Allemagne, mais bien de cerner l’intelligence des situations de ce pays. Si l’on veut bâtir une Europe, moins ambitieuse sans doute qu’une Europe fédéraliste, moins béate, respectant les particularités nationales, il nous faudra s’inspirer de ce que l’Allemagne a su faire: face à l’adversité, elle entreprit de se réformer, de se remettre en question, de prendre conscience de son potentiel et de son efficacité.
Dans le prochain article, nous aborderons la question de l’Allemagne et de ses frontières, ce qui, là encore, mérite réflexion et interrogation, tant les zones d’ombre sont grandes, tant la question est passionnante et riche en leçons pour nous tous.