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Philippe Muray s’en est allé en 2006 sans s’être délecté d’une époque qui ne jure plus que par et pour la fête, les festivals et les rassemblements pour en finir avec le Mal. Il en avait certes saisi les instants les plus marquants (l’an 2000, la Fête de la musique, l’apparition de Ségolène Royal, les délires de Jack Lang), mais il n’est plus là pour en voir les dégâts sur la nouvelle génération.

Les vendredis se suivent à Paris et se ressemblent inexorablement. Ceux qui ne sont pas déjà partis s’enivrer des paradis artificiels d’Ibiza, où la musique techno est diffusée jusqu’à votre serviette de plage, sont déjà accroupis sur le Pont neuf en train de siroter du rosé tiède dans un gobelet en plastique blanc. Parce que là aussi le festivisme anéantit tout sur son passage, dans sa quête ininterrompue vers le nihilisme total : même l’alcool, pourtant essentiel afin de supporter cet univers bruyant et néantisé, est désacralisé. Un Hemingway ruiné n’aurait jamais bu un mauvais whisky, mais ces festivaliers permanents n’en ont cure, un bon vin comme incarnation d’un terroir ou un autre spiritueux symbole d’un pays qui se délecte patiemment pour en saisir le moindre arôme sous la langue, c’est ringard, dépassé, vieillot. Pas « branché ». Ce n’est pas l’esprit « électro ». L’avènement des cocktails et du fameux Mojito n’en est que la pathétique illustration : seule l’ivresse happy hour est recherchée, qu’importe le goût nauséabond de ces mixtures pour post-adolescents sans palais. Il faut savoir se pincer les narines pour ingurgiter l’ambroisie festive.

Le culte de l’ivresse et les dégâts de Musset

Cette incompréhension est ô combien révélatrice des dégâts collatéraux de l’idéologie Bob Sinclar, qui réduit  tout et son contraire ad festivum.

Le « binge drinking » (ou beuverie express) est à ce titre l’apothéose de cette alcoolisation massive et insipide de ces masses juvéniles qui dansent sur les bruitages de David Guetta comme une secte de fidèles qui honorerait son gourou. Cela renvoie à ce vers de Musset : « Qu’importe le flacon, pourvu qu’on ait l’ivresse ? », tiré de La Coupe et les lèvres. Cette phrase magique et souvent mal comprise est l’alibi de ces néo-hippies mondialisés qui n’ont bien sûr jamais lu une ligne de Musset, mais s’en servent de caution intellectuelle. Ce vers, qui est un hymne à la vie et à l’enchantement, n’est en rien une incitation à la cuite dépravée. Cette incompréhension est ô combien révélatrice des dégâts collatéraux de l’idéologie Bob Sinclar, qui réduit  tout et son contraire ad festivum.

Là où Philippe Muray voyait dans les festivités organisées par Jack Lang une philosophie totalitaire qui forçait les gens au rassemblement pour effacer toutes les différences, le culte de la fête dans la nouvelle génération est au contraire une quête illusoire de singularisation. Un tel se croit unique parce qu’il gesticule sur un podium, un autre s’estime particulier parce qu’il fait un strip-tease sur le bar, mais ils ne sont au final que les tristes étendards d’une époque sans idéaux ni grands récits.

Parce que cet « esprit festif » est promu partout, tout le temps. C’est un Big Brother décoloré susurrant depuis sa table de mixage à ses ouailles de ne plus penser qu’au divertissement et à l’exaltation permanente du temps présent. C’est la fête pour la fête, la célébration d’un instant qui n’a pas à être célébré. Lors de la dernière campagne municipale à Paris, nous avons même vu les deux candidates s’affronter autour de deux idées phares : la fête dans le métro pour NKM et la fête sur le périphérique pour Anne Hidalgo. Faire de Paris à la fois un Disneyland pour les touristes et une antenne d’Ibiza pour les locaux. Ne penser plus qu’à la fête, sinon les pouvoirs publics s’en mêlent. Ne jurer que par la fête. Ne vivre que par la fête.

La fête à Paris et l’abrutissement général

Il faut du bruit et des flashs partout, il faut étourdir la meute pour la rendre plus docile, la rendre sourde, inconsciente d’elle-même.

Tout semble donc pensé et voulu pour en arriver à un tel phénomène, jusque dans cette nouvelle mode des boîtes de jour. L’incitation voire l’exaltation de la consommation de mauvais alcool, la promotion ininterrompue des musiques électroniques pour vider les derniers neurones des cerveaux, la mise sur un piédestal des DJ comme David Guetta et autres David Morales correspondent à une volonté de ne vouloir qu’une génération de consommateurs, heureux de leur sort tant que les clichés de leurs soirées ont du succès sur Instagram.

Cela ne concerne évidemment pas que la capitale, il suffit de consulter la carte des festivals 2014 pour s’en apercevoir. Pascal écrivait dans ses Pensées que « Un roi sans divertissement est un homme plein de misères » et même s’il évoquait la question de Dieu, son jugement est transposable à nos années 2000 où se divertir est devenu plus important que se cultiver ou se poser des questions trop existentielles. Il faut du bruit et des flashs partout, il faut étourdir la meute pour la rendre plus docile, la rendre sourde, inconsciente d’elle-même.

Ne plus croire en rien d’autre que l’hédonisme, tel est par conséquent le nouveau credo moderniste. En finir avec les opinions, les religions, les croyances et les convictions, tant que l’after work électro est possible et que le verre de Mojito fraise n’est pas trop infect. La jeunesse prolétarienne s’honorerait d’ailleurs à ne pas imiter les rejetons de la bourgeoisie parisienne qui dépensent de l’argent de poche sans compter pour s’éclater et profiter, car ne pas céder aux sirènes de l’électro est déjà une forme de résistance intellectuelle.

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Julien Leclercq

Fondateur du Nouveau Cénacle et auteur de "Catholique débutant" paru aux éditions Tallandier.

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