Greta. Le prénom est partout. Sur les réseaux sociaux qui l’ont créée. Dans les médias qui s’en donnent à coeur joie. Son nom résonne comme celui d’une héroïne Marvel tout droit sortie des Enfers pour se venger. Mais que désigne-t-elle, au juste ?
Les plus hautes éminences politiques françaises étaient rassemblées. Le visage grave. L’oeil qui hésite entre l’attendrissement et la dévotion. Un silence gêné parcourt l’assemblée. Etait-ce le Dalaï-lama qui allait faire son arrivée ? Le pape ? Les Rolling Stones ? Non. La fine fleur de notre démocratie faisait ses génuflexions devant une enfant venue les tancer pour leur inaction envers le réchauffement climatique. Une enfant qui incarne d’ailleurs un mélange de spiritualité dévoyée et de star system. Bis repetita en septembre : alors que les écoliers du monde entier reprennent le chemin de l’école, Greta, elle, après un périple à bord d’un voilier (suivi par un avion), se rend à l’ONU pour clamer sa colère aux élites mondiales, dans un discours larmoyant qui n’avait rien à envier aux mélodrames hollywoodiens du dimanche soir.
« Greta serait donc cette valkyrie chargée d’envoyer nos consciences mortes dans le Valhalla 2.0. Ses mots frappent comme la foudre de Thor. »
Alors que la France ne représente qu’un pourcent des émissions mondiales de CO2, elle n’échappe pourtant pas à l’ire punitive de Greta Thunberg, à la différence des Etats-Unis, de l’Inde et de la Chine qui se trouvent, eux, épargnés par la colère infantile. Dans un Occident qui a renoncé au christianisme, Greta marque le retour au premier plan du paganisme qui n’a finalement jamais quitté notre inconscient collectif. Ses thuriféraires ont choisi cette jeune fille aussi parce qu’elle est suédoise, et qu’elle renvoie symboliquement à la mythologie scandinave.
Les légendes nordiques sont par essence panthéistes, et tournées vers une grande Déesse mère (comme Gaïa chez les Grecs) et constituent une célébration perpétuelle de la Nature, où les forces de la Création et de la fécondité s’opposent continument. Greta serait donc cette valkyrie chargée d’envoyer nos consciences mortes dans le Valhalla 2.0. Ses mots frappent comme la foudre de Thor. Même ses couettes et son regard impitoyable font d’elle une sorte de viking en culotte courte venu étancher sa soif de revanche.
De « Homo festivus » au « Puer climatis »
La délégation venue à l’ONU afin de porter plainte envers plusieurs pays pour « inaction climatique » fait ressurgir le spectre de Philippe Muray. Lui qui avait diagnostiqué notre « régression anthropologique » se serait délecté de ces adultes prosternés devant ces gosses venus leur donner la leçon. L’infantilisation du monde politique, incarnée à merveille par le « parler bébé » de Marlène Schiappa, est le reflet de notre société immature. Nietzsche avait raison : nous avons les idoles que nous méritons, puisque nous les fabriquons. Greta n’est qu’une émanation de notre juvénilité collective, caractérisée par la peur des profondeurs du Cosmos et du chaos qu’il abrite.
« Greta Thunberg est la figure d’une société qui ne veut pas grandir, engoncée dans ses peurs et qui refuse d’accéder à la raison adulte. Par conséquent, elle ne vit que dans l’imprécation et la culpabilisation du monde qui l’entoure. »
Nous sommes passés de la figure de « Homo festivus » (décrit par Philippe Muray comme incarnation de l’humain moderne dont l’Être n’est que célébration perpétuelle du cool et du présent tel qu’il advient) à celle du « Puer climatis », éternel enfant craintif devant l’inconnu des forces de la Nature. Si l’écologie demeure incontournable, elle n’est plus envisagée comme l’harmonie philosophique avec la Création, mais comme un millénarisme puéril, aux antipodes de la sagesse stoïcienne qui exigeait de régler sa vie sur la physis. Cela dénote aussi avec les principes de la foi chrétienne, qui encourage à prendre soin d’un monde parfaitement créé par Dieu. Greta Thunberg est la figure d’une société qui ne veut pas grandir, engoncée dans ses peurs et qui refuse d’accéder à la raison adulte. Par conséquent, elle ne vit que dans l’imprécation et la culpabilisation du monde qui l’entoure.
Dans la cosmogonie et la théogonie des Grecs, Gaïa, la déesse mère qui incarne la Terre créé Ouranos qui est lié à elle. Ce dernier la féconde (ce seront les Titans), mais refuse que les enfants viennent au monde et les empêche de naître. Il faudra que Chronos tranche le sexe d’Ouranos pour que ce dernier se détache : ainsi le Temps et l’Espace adviennent. Cela signifie que les enfants incarnent la succession, la temporalité, donc l’Histoire. Le monde d’aujourd’hui, qui subit les évènements plus qu’il ne les anticipe, qui détruit plus qu’il n’invente et qui craint plus qu’il n’espère, a donc fabriqué un totem pour conjurer sa psychose climatique et s’inventer un futur qu’il ne sait plus créer collectivement. Un manque de sagesse qui ferait bondir Sénèque, qui écrivait dans De la brièveté de la vie : « La vie du sage s’étend donc en large ; elle n’est pas enfermée dans les mêmes limites que celle des autres hommes, seul il est affranchi des lois du genre humain. Tous les siècles sont à son service comme à celui de Dieu. S’agit-il du temps passé ? Il le perçoit par le souvenir. Du présent ? Il l’emploie. Du futur ? Il le saisit d’avance. Ce qui lui fait une vie longue, c’est la réunion de tous les temps en un seul ».
Méditer cette phrase ou craindre le Niflheim promis par Greta ? Telle sera la question de demain.