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Retour sur l’essai post-21 avril 2002 de Philippe Meyer, Démolition avant travaux, Robert Laffont, juillet 2002.

« Quelle sorte de vie publique est celle où la communication – c’est-à-dire la manipulation ou la propagande – remplace la controverse ? Quelle absence de politique sert à masquer la comédie que l’on nous a jouée ce printemps ? » – Philippe Meyer, op. cit.

« Dieu se rit des créatures qui déplorent les effets dont elles continuent à chérir les causes. » – Jacques Bénigne Bossuet

« Ayez surtout le souci de séparer les choses du bruit qu’elles font. » – Sénèque

Près de quinze années se sont écoulées depuis le « choc » du 21 avril 2002. Bien qu’on ait le sentiment que rien n’a changé en termes de politiques, ce n’est qu’une illusion. Tout s’est accéléré dans une fuite en avant suicidaire pour la démocratie et le peuple (si on peut encore se référer à ce corps considéré de l’intérieur du périph’ parisien et depuis Bruxelles comme éminemment populiste). En juillet 2002 a paru aux éditions Robert Laffont un essai lucide et salutaire, ravageur pour la classe politique, intransigeant avec nos lâchetés collectives et à l’humour pamphlétaire ravageur.

Cet essai, intitulé pertinemment Démolition avant travaux, est signé Philippe Meyer, être protéiforme d’apparence toutefois humaine, bien connu des passionnés de chanson et des amateurs de débats politiques, auteur (et narrateur) de l’immense De Nuremberg à Nuremberg, écrivain, acteur à ses heures perdues et parfois candidat à la mise en œuvre de ses idées dans le cadre d’un mandat… À toutes ses cordes, liste non-exhaustive, Meyer ajoute celle de visionnaire. Force est de reconnaître que son analyse du séisme jospinien s’est avérée : nos hommes et femmes politiques n’ont pas voulu regarder la réalité en face ; ils ont cherché des excuses et se sont empressés de faire comme s’il ne s’était rien passé. Le peuple s’est exprimé dans un sens contraire à leur intérêt, soit : ignorons-le, insultons-le, méprisons-le. Faute de pouvoir appliquer la maxime de Bertolt Brecht[1]…

2002 : Les raisons d’un naufrage

Remontant le temps depuis la veille du premier tour fatidique, Philippe Meyer égrène le déroulé des événements tout en se livrant à une analyse fine du pourquoi en est-on arrivé là : comportements politiques, médiatiques, économiques. Ses portraits des élites de l’époque, dont nombre d’entre elles sont toujours en fonction malgré leurs échecs patents et leur responsabilité indéniable dans le déclin de la démocratie en France[2], sont hilarants et frappent toujours juste. Mouche à chaque tir. Mention spéciale pour le cas Serge July (remplacé depuis par l’intermittent Laurent Joffrin dont on peut se demander si c’est un progrès), immortalisé comme « Le directeur de conscience de la caste qui, depuis vingt ans, a réclamé toutes les places, refusé toutes les responsabilités, écarté toutes les autocritiques ».

« L’humour de Philippe Meyer est ravageur et parfois vache, mais jamais injuste ».

La lecture de Libération confirme le diagnostic, encore aujourd’hui. La chute continue des ventes du quotidien fondé par Sartre serait-elle l’illustration de ce constat ? Il semble que ce ne soit pas l’avis de la rédaction ; dommage que ce soit celui d’ex-lecteurs de plus en plus nombreux. Aucun politique d’aucun bord n’échappe à la moulinette Meyer, même ceux dont il est ou fut proche (Bayrou), même si il reconnaît aussi les qualités de certains (Chevènement, qui démissionna à deux reprises, étant en désaccord avec la politique menée par les gouvernements respectifs auxquels il appartenait), sans les épargner pour autant (Chevènement toujours, dont l’auteur note que « quand (il) a fini de parler, on se demande s’il ne va pas y avoir une interrogation écrite »). L’humour de Philippe Meyer est ravageur et parfois vache, mais jamais injuste. Sarkozy, Chirac, Badinter (qui « astique son auréole », tâche qu’il poursuit consciencieusement encore aujourd’hui), Le Pen et tant d’autres se font ravaler la façade avec un mélange de jubilation et de dégoût. Une chronique ne suffit pas à tous les examiner, aussi je vous invite à vous procurer cet essai salutaire.

Démolition avant travaux prend une ampleur singulière en lisant quinze ans plus tard. Entre temps, Chirac a exercé son mandat en étant élu avec 19% (environ) des suffrages exprimés (le second tour ayant été transformé en référendum pour ou contre le Menhir, occasion d’une joyeuse « quinzaine anti-Le Pen », pour reprendre l’expression drolatique de Philippe Muray), ne tenant aucun compte de cette donnée, ne cherchant ni à comprendre, ni à tirer des leçons de l’accession au second tour du candidat du Front national. À l’exception de Sarkozy, parfait en pantin sécuritaire à l’agitation proportionnelle à son inefficacité, le mari du « condensé de méchanceté avec un sac à main »[3] a placé ses amis politiques dans son gouvernement, dont un proche à la Justice, on est jamais trop prudent. Rien a changé depuis, il suffit de regarder le mandat de Nicolas Sarkozy, puis celui en cours de François Hollande. La politique est dégradée, les politiques sont dégradants et décadents (il existe toujours des gens sincères et honnêtes en politique, heureusement, il ne s’agit pas de mettre tout le monde dans le même sac et de verser dans l’antiparlementarisme primaire ; il y a aussi des poissons volants, ils ne constituent pas la majorité du genre[4]).

Le vote blanc, premier parti de France

Le sentiment de dégoût, de mépris et de déni de démocratie est devenu plus encore aujourd’hui qu’en 2002 prégnant. Certes il s’incarne dans le vote Front national « dé-diabolisé » par Marine Le Pen. Mais finalement, compte-tenu de la chute des votes extrême-gauche qui s’équilibre en face, son expression reste peu ou prou stable aux extrêmes de l’échiquier politique français. En revanche, l’abstention, le vote blanc, le vote nul forment à eux trois et haut la main le premier parti de France. Le non-renouvellement du personnel et des appareils politiques combiné aux abandons de souveraineté (c’est-à-dire de démocratie) à l’hyper-structure technocratique Union Européenne, ce « machin », conduiront inévitablement à un éclatement. Quel en sera la forme ? Nul ne peut le prédire. En revanche, chacun peut constater :

  • Le déni de démocratie permanent à tous les niveaux[5] (la crise migratoire et la menace terroriste concrète ne sont que de puissants révélateurs de ce qui était déjà sous-jacent depuis Giscard) ;
  • La dégradation de la culture, ressentie chez les politiques (Sarkozy et La Princesse de Clèves ; plus récemment, la réforme de l’orthographe, celle des programmes de collèges ou la réforme territoriale[6]), aveuglante dans sa dimension médiatique (Meyer développe intelligemment le cas Loft Story, dont on se rappellera qu’elle était l’émission phare du débat télévisuel, avec article dans Le Monde, ce qui en dit long sur le quotidien « de référence », en 2002. Le succès de Cyril Hanouna, qui ne mobilise que la partie gros lourd du Club Med de son cerveau, ou celui des Ch’tis ou des Marseillais, en dit long sur la progression de la culture en France) ;
  • Le sentiment d’abandon d’une part de plus en plus large de la population analysée dans nombre d’essais méprisés par les personnes « aux responsabilités »[7]…

Toutes choses qui ne présagent rien de bon pour l’avenir à court et moyen terme…

Philippe Meyer a décrit et analysé à merveille et non sans vis comica la démolition de la démocratie française ayant entrainé l’accession au second tour du candidat dit d’extrême-droite. En revanche, nous attendons toujours les travaux. Sans même un vide sanitaire pour interroger la pertinence des politiques menées depuis 40 ans, la politicaillerie s’est remise en marche et rien ne semble devoir l’arrêter. La démolition s’est poursuivie avec une constance exemplaire depuis 2002. Passé le frisson du no pasaran d’opérette, le réel revient comme un boomerang. L’extrême-gauche est moribonde. Le Front national et l’extrême-droite ne font plus peur qu’aux bobos parisiens (quand bien même, si le vote de conviction a progressé indéniablement au FN, il reste un vote protestataire. Il est difficilement crédible d’être ultra-libéral au Sud et socialiste au Nord…

« Le Parti Socialiste n’est plus qu’une ruine sans cohérence idéologique, animé par les haines recuites et les coups bas, soudé par son absence de pensée politique et son éloignement du réel ».

Le nationalisme ne suffit pas à faire un programme de gouvernement viable). Quant aux partis dits de gouvernement, le Modem (dont fut proche Meyer, peut-être l’est-il encore) se résume au maire de Pau et au marcheur, chanteur et nouveau dissident Jean Lassalle. Le Parti Socialiste n’est plus qu’une ruine sans cohérence idéologique, animé par les haines recuites et les coups bas, soudé par son absence de pensée politique et son éloignement du réel. Les Verts se querellent, comme d’habitude, pour savoir si il ne faut pas d’élus ou si on accepte la perfusion du PS pour en avoir, quitte à trahir demain l’allié d’aujourd’hui. Les Républicains (ex-RPR, ex-UMP) se déchirent sans plus de cohérence idéologique que le PS ; la question est de savoir si Juppé qui s’est planté en 1995, Sarkozy qui s’est planté comme ministre (2002-2007) et comme Président (2007-2012) seront capables de réussir… Pour égayer le débat, NKM nous rejoue « le fascisme ne passera pas » face au courant chrétien représenté par Mariton ou Sens Commun autour de la question du mariage pour tous (c’est-à-dire d’une niche fiscale, le mariage civil étant réduit à cela depuis bien longtemps). Bref, rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme… Quant à l’avenir politique, économique et culturel de la France, qui fut une démocratie, on l’a perdu de vue.

[1]« J’apprends que le gouvernement estime que le peuple a « trahi la confiance du régime » et « devra travailler dur pour regagner la confiance des autorités ». Dans ce cas, ne serait-il pas plus simple pour le gouvernement de dissoudre le peuple et d’en élire un autre? » – Bertolt Brecht

[2]Comme le disait Groucho Marx, cité par Meyer, « je vous céderais volontiers ma place, mais elle est occupée. »

[3]Je pique cette expression décrivant Bernadette Chirac à un journaliste de Marianne, Joseph Macé-Scarron.

[4]Petit emprunt à un dialogue de Michel Audiard : http://librairtaire.fr/wordpress/?p=2576

[5]Je me permets de renvoyer au dernier livre de Philippe de Villiers. Bien que ne partageant pas, loin de là, ses engagements, il décrit dans son essai en tête des ventes les dénis de démocratie depuis 40 ans, notamment en ce qui concerne l’Europe : http://librairtaire.fr/wordpress/?p=2880

[6]Avec un paroxysme de stupidité sans nom, mais pas étonnante, dans le changement de nom de la région Nord-Pas-de-Calais Picardie.

[7]Liste non exhaustive : Christophe Guilluy (Fractures françaises,Flammarion, coll. Champs Essais, 2013 ; La France périphérique. Comment on a sacrifié les classes populaires, Flammarion, 2014), Philippe Nemo (La France aveuglée par le socialisme, Texquis, 2014).

Le Librairtaire

Le Librairtaire

Historien de formation, Le Librairtaire vit à Cordicopolis. Bibliophage bibliophile, amateur de caves à cigares et à vins. http://librairtaire.fr/wordpress/

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