« Non mais regardez-moi ça, c’est de la merde ! »
Voilà ce qui restera du critique gastronomique Coffe après sa mort survenue hier soir Mardi 29 mars 2016. Souvent considéré comme un extraterrestre, il est la suite logique d’une longue lignée de mécontents.
En 1883, Emile Zola raconte l’apparition des Grands Magasins à Paris dans Au Bonheur des Dames. Denise Baudu s’en pâme toujours. En 1958, Jacques Tati tournait Mon Oncle, il y opposait déjà deux sociétés françaises qui cohabitaient encore, cela n’a pas duré longtemps. En 1973 sortait sur les écrans Le Grand Bazar. Les Charlots, accompagnés d’un tonitruant Michel Galabru défendaient le petit commerçant face à l’arrivée d’un Euromarché qui vend de tout, très vite et moins cher. En août 1999 la Confédération Paysanne emmenée par le sémillant José Bové détruisait un Mac Donald’s en construction à Millau. Jean-Pierre Coffe a trouvé sa voie dans les années 1980 d’abord à Canal + puis un peu partout sur les chaînes de télévision et les stations de radio. Il sera le pourfendeur de la malbouffe.
Un pionnier de la bonne chère télévisée
La France n’a pas attendu le glamour cool de Jamie Oliver ou la barbe de trois jours de Cyril – piment d’espelette – Lignac pour gueuler contre la malnutrition qui envahissait les étals. Jean-Pierre Coffe a mis un coup de pied dans la fourmilière il y a trente ans. Il n’était pas un génie, mais il fut visionnaire. Hurler contre les jambons polyphosphatés dans les années 80 c’est le faire au moment de l’essor des supermarchés, c’est militer pour la volonté de prendre son temps, de faire ses courses intelligemment, chez des artisans qui connaissent leur métier.
Hurler contre les jambons polyphosphatés dans les années 80 c’est le faire au moment de l’essor des supermarchés, c’est militer pour la volonté de prendre son temps, de faire ses courses intelligemment, chez des artisans qui connaissent leur métier.
En 2016 la situation évolue très lentement. Les émissions de télé réalité donnent une vocation à de nombreux jeunes frappant aux portes des CAP cuisine et aux formations pour adultes. La pâtisserie en fait rêver plus d’un. Mais alors que les camions restaurant (comment traduire food-truck ?) envahissent les places municipales, il est des villes de banlieues parisiennes et d’ailleurs où les boucheries traditionnelles et les charcuteries disparaissent et où la viande rouge correctement travaillée est remplacée par des immondices rosâtres de supermarché.
Dans une entrevue au Figaro publiée au moment de la sortie de son autobiographie, Coffe évoquait un éventuel retour à la télévision : « Si aujourd’hui je devais refaire de la télé, je ferais une émission pédagogique pour les 10-15 ans. Car je trouve que la culture actuelle est moléculaire, comme la cuisine. Du vent, de l’écume. L’écume enlevée, il n’y a rien, c’est du camouflage. » Le problème est bien là. L’alimentation ne fait plus l’objet d’une éducation, elle est devenue une fin en soi, un acte mécanique. La malbouffe s’est généralisée surtout dans les classes populaires où les kebabs suintent et les pizzas transpirent le gras. En travaillant pour Leader-Price, Coffe affirme avoir réussi à faire changer quelques petites choses, sur l’adjonction de colorants artificiels et ce genre de joyeusetés. Est-ce vrai ou s’agit-il d’un simple gros chèque reçu par la firme agro-alimentaire ? Jean-Pierre Coffe emmène le secret dans sa tombe.
Il était un homme d’affaires qui échouait régulièrement jusqu’à ce qu’il trouve cette voie de la bonne chère à défendre. Il la décrivait et vivait comme personne le rapport sensuel qu’à un cuisiner avec la carcasse d’une pintade du Gers ou un canard du Périgord. Il aimait la bouffe, il aimait le succès, et était un homme des médias. Comme Gainsbourg, il s’est créé un personnage qui restera, vieux sentimental aux lunettes rondes et colorées qui amusaient les enfants. Jean-Pierre Coffe était profondément français. Faisons notre possible pour ne l’oublier jamais.