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Robert Redeker signe L’Abolition de l’âme aux éditions du Cerf. Un livre décisif pour comprendre la disparition du concept d’âme de nos champs réflexifs traditionnels.

Redeker ne mâche pas ses mots pour évoquer l’homme « après la mort de l’homme » (selon les mots de Foucault), en affirmant d’emblée : « Nous évoluons dans l’ère des zombies psychiques ». Il retrace ainsi vingt siècles de philosophie, de Platon jusqu’aux théoriciens contemporains pour comprendre l’effacement progressif de l’âme au cours des siècles.

Si Platon et Aristote avaient saisi son importance cruciale, comme substance intérieure irréductible, comme ce qui subsistait d’un être, si le christianisme avait encore davantage mis en lumière l’âme, le souffle, le pneuma, en lui conférant une origine divine et affirmant encore plus la singularité de chaque être, l’avènement de la modernité a porté un coup fatal à la place centrale de l’âme dans la réflexion philosophique.

Redeker montre bien que les conséquences de cette abolition (au sens premier, ab – oscere : faire décroître, amenuiser), dépassent le cadre strictement intellectuel : il s’agit d’un évènement au long cours et aux répercussions anthropologiques, sociales, éthiques et même économiques. Qu’est-ce que l’homo economicus si ce n’est un individu tout entier vidé de son souffle intérieur, et guidé uniquement par ses pulsions consuméristes ?

De l’âme au moi, du moi au Je

Pour schématiser, Descartes, en affirmant le cogito, ouvre une nouvelle ère tout en clôturant une autre : il inaugure la pensée du sujet dans lequel l’âme s’estompe : « (…) la raison moderne, dont Galilée et Descartes furent les hérauts, appauvrit le monde, en le réduisant à de la matière, du nombre (Galilée), des poulies et des courroies (Descartes), arrachant à l’homme ses suppléments essentiels ». Cette ère trouvera son prolongement avec le Moi de Rousseau et le Romantisme. L’âme devenue ego, il est permis de nous demander si, effectivement, l’homme « après l’homme » est encore tout à fait humain.

Le wokisme, le transhumanisme et autre déconstructionnisme ne sont que les lointains rejetons d’une OPA trans-historique sur l’âme. Robert Redeker rappelle à juste titre cet extrait de Jacques Derrida qui, dans Points de suspension, écrit : « La déconstruction n’est pas, ne devrait pas être seulement une analyse des discours, des énoncés philosophiques ou des concepts, d’une sémantique, elle doit s’en prendre, si elle est conséquente, aux institutions, aux structures sociales et politiques, aux traditions les plus dures ».

Une vision purement techniciste, machiniste et réduite au seul ego raisonnant a vidé l’homme de sa substance. Les folies contemporaines ne font que prospérer sur cette amputation spirituelle qui finit par tout nier : Dieu, la nature, l’amour, l’histoire, l’être. L’Abolition de l’âme fait finalement écho à L’Eclipse de la mort du même Robert Redeker : l’homme qui ne pense plus à sa mort est le même qui a oublié son âme.

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Julien Leclercq

Fondateur du Nouveau Cénacle et auteur de "Catholique débutant" paru aux éditions Tallandier.

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