Partagez sur "Fabrique des chefs d’oeuvre et naissance d’une nation"
Sébastien Le Fol publie La Fabrique du chef d’oeuvre aux éditions Perrin. Un ouvrage qui, du Gargantua de Rabelais aux Mémoires de guerre du Général de Gaulle, retrace l’épopée littéraire de la France.
Un classique. Le terme, qui renvoie bien trop souvent à une oeuvre « grand public » qui effraie les enfants à l’heure de la récitation devant la classe et ennuie l’adulte qui ne tient pas à se replonger dans un texte bien trop connu, est galvaudé. Derrière l’image d’Epinal se cache pourtant une vraie querelle littéraire, ne serait-ce qu’en raison de la polysémie du mot. Le classicisme a d’ailleurs mauvaise presse en France depuis les Romantiques : depuis que Victor Hugo a voulu mettre un « bonnet rouge » à son « vieux dictionnaire », le grand style français est devenu synonyme de perruques, de carcans et de poussières. « Classique » peut aussi s’entendre comme ce qui s’enseigne à l’école, à l’âge souvent ingrat où, malheureusement certaines subtilités des grands textes nous échappent. Voilà qui ne redore toujours pas son blason …
« Le Bateau ivre », Nadja, Le Voyage au bout de la nuit sont des ouvrages qui ont perturbé les lecteurs et n’en sont pas moins « panthéonisés » aujourd’hui.
Dans Le Plaisir du texte, Roland Barthes distingue deux types d’oeuvres : celle « de plaisir » et celle « de jouissance ». Si les première conforte le lecteur dans ses goûts, la seconde a pour ambition de le bousculer. Et pourtant, un texte de « jouissance » peut à son tour devenir un « classique » : « Le Bateau ivre« , Nadja, Le Voyage au bout de la nuit sont des ouvrages qui ont perturbé les lecteurs et n’en sont pas moins « panthéonisés » aujourd’hui dans les manuels, les préfaces et autres allusions et clins d’oeil distillés dans les publications ultérieures.
Un sens plus laudatif du « classique » peut ainsi se dévoiler : ce serait un texte à partir duquel se forge les autres – Les Palimpsestes de Gérard Genette sont là pour nous éclairer – le classique serait une base, un socle, le soubassement qui permet l’édification d’une longue histoire que l’on appellerait littérature.
Les lettres de la Nation
Nous pouvons aller plus avant dans l’analyse et la compréhension du concept. Dans la très belle préface qu’il rédige pour La Fabrique des chefs d’oeuvre, Sébastien Le Fol écrit justement : « La conscience nationale a été fabriquée par ses chefs-d’oeuvre. (…) La France, en littérature, c’est le jardin d’Eden. Il suffit de se baisser pour récolter une plante rare, une essence extraordinaire. Comment autant d’oeuvres aussi puissantes ont-elles pu pousser sur cette étrange portion de terre labourée par les conflits et qui a pourtant fini par faire une patrie ? Y régnerait-il un microclimat propice à l’éclosion du génie littéraire ? Notre vieux pays est une corde d’abondance ».
« La même année (1974), Candide était à la fois monté en comédie musicale à Broadway et en tête des prêts à la bibliothèque soviétique d’Oport, à la frontière mandchoue ! ».
Les différentes études de ce livre s’attardent donc sur la conception et la naissance de ces grands livres qui ont non seulement bâti notre patrimoine littéraire, mais aussi notre langue et notre imaginaire commun. Le « classique » constitue un fragment de cette « conscience nationale » qui tend à l’universalité. Dans le chapitre consacré au Candide de Voltaire, Pierre-Henri Tavoillot note à ce propos : « La même année (1974), Candide était à la fois monté en comédie musicale à Broadway et en tête des prêts à la bibliothèque soviétique d’Oport, à la frontière mandchoue ! ».
La lecture de cet ouvrage répond aux questionnements post-modernes sur l’identité nationale. Il suffit de lire les chapitres sur Molière, Victor Hugo ou Albert Camus pour en saisir l’essence: le français est un être littéraire, qu’il en soit conscient, ou non. Les lettres françaises infusent notre esprit distingué, elles inondent nos pensées frondeuses, nos réflexes sociaux, nos références esthétiques. Ce livre permet de mieux comprendre cette citation de Jules Renard, qui confiait : « J’ai été élevé par une bibliothèque ».