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La tragédie de la mort est en ceci qu’elle transforme la vie en destin. À François Cevert, idole des jeunes, belle gueule devant l’éternel, Senna des années 1970, version rouflaquettes et chevelure aussi volumineuse qu’indisciplinée, parti bien trop tôt.

Pilote et dandy. Pianiste de talent avide de vitesse et de sensations fortes. Sourire aussi carnassier qu’enjôleur. Un vrai virtuose qui fait rêver, fantasmer et auquel les minots veulent ressembler. Un modèle de discipline aussi, qui obéit aux consignes de son équipe pour laisser s’imposer son coéquipier et mentor Jackie Stewart, pourtant moins rapide que lui à de nombreuses reprises en cette année 1973.

Bientôt, le dauphin François Cevert deviendra roi. Tel est en tout cas le projet du susnommé Jackie, gentleman écossais qui trace sa route vers un troisième titre de champion du monde, mais a déjà adoubé depuis longtemps son charismatique successeur. C’est écrit.

Les yeux lagunaires de François transpercent la visière et font chavirer les cœurs. Il est beau, il est bon, il irradie, il le sait, mais il a la classe suprême de ne pas en jouer. Il n’ignore pas non plus qu’une fois lancé sur les pistes de ses rêves, les risques sont grands. N’a-t-il pas déclaré que « la mort (faisait) partie du contrat » ? François Cevert n’était pas un prophète, mais connaissait parfaitement les dangers qu’il encourait. Il était cependant de la trempe de ceux qui sont prêts à mourir dans l’exercice de leur passion. Un bon garçon divinement fou comme on n’en fait peu. Comme on n’en fait presque plus…

L’assistance n’existe pas. L’époque n’est pas non plus à la sécurité. Les carrières brisées sont légion et il n’est pas rare que les mécaniques s’embrasent. Le pilote est pour ainsi dire livré à lui-même. Il vit dans un univers angoissant, entouré de groupies et de mécaniciens dévoués, mais au sein duquel l’odeur de la mort rôde en permanence.

François Cevert a vingt-neuf ans, il est l’élégance, la fougue et a un boulevard de gloire devant lui, à condition de ne pas commettre d’erreur. Le 6 octobre 1973, il en fait une irréparable, loin des caméras, tant et si bien que nul ne saura jamais ce qui s’est véritablement passé. Lors des essais qualificatifs sur le circuit américain de Watkins Glen, où il s’est pourtant imposé deux ans plus tôt, il sort de la piste et se tue. La guerre du Kippour débute ce jour-là et le Mozart de la Formule 1 meurt décapité. C’est l’insoutenable fin d’une belle histoire beaucoup trop courte, celle d’un fils de bonne famille à l’âme inconsciente qui fait des pieds et des mains pour qu’on le laisse vivre comme il l’entend, à 280 km/h et la tête en feu.

Pilote de F1 à tout prix

Il y avait du George Best dans cette graine de champion-là. Même succès, même panache.

Moitié casse-cou, moitié raisonnable, docteur François et mister Cevert étaient glamours avant l’heure, séduisaient à la ville comme à la piste et ne faisaient plus qu’un en course. C’était le temps de Led Zeppelin, des Doors, des jeunesses occidentales stigmatisées, du Larzac rebelle et de la France pompidolienne en quête d’idoles. C’était le temps de la Formule 1 dramatique et flamboyante.

Il y avait du George Best dans cette graine de champion-là. Même succès, même panache. Mais quand le génial irlandais brûlait son football dans les femmes et l’alcool, qui allaient souvent de pair, lui ménageait sa réputation. Question d’éducation.

Cette existence par et pour les virages et les lignes droites, dans l’habitacle étriqué d’une monoplace, ce jeune homme de fer et de soie l’a croquée à pleines dents. Cette carrière de coureur automobile, ce fils de joaillier de son vrai nom Albert François Cevert Goldenberg était déterminé à la mener, parce qu’il était hors de question pour lui de croupir dans un bureau, loin des paddocks, des parfums d’essence et des chronomètres réglés au dixième de seconde. Plus tard, une fois admis dans la cour des grands et les réglages effectués en guise de préliminaires, François Cevert s’est dépensé sans compter pour satisfaire l’exigeante machine. Et au bout du compteur, tous les deux ont pris leur pied le temps trop court d’essais et de courses que le meneur des ébats éclaboussait de toute sa classe.

Mais avant d’en arriver là, des petites voitures qu’il faisait rouler sur le parquet ciré de la maison familiale à l’obtention du volant Shell, en 1966, François Cevert s’est battu comme le beau diable qu’il était. Pour réaliser son rêve, il lui a notamment fallu exercer des jobs alimentaires assez contraignants pour parfois l’obliger à dormir sur une banquette arrière et convaincre un géniteur longtemps inflexible.

En 1970, le très respecté Ken Tyrrell lui fait intégrer le cercle très fermé des cavaliers de la Formule 1, avec tous les fantasmes qu’une telle promotion suppose. François Cevert le débutant marque son premier point à Monza. Jackie Stewart, champion du monde en titre, prend tout de suite son jeune coéquipier sous son aile. L’apprentissage est cependant difficile et le Français boucle cette première saison parmi l’élite vingt-deuxième au classe­ment des pilotes.

François Cevert, l’étoile filante

La tragédie de la mort est en ceci qu’elle transforme la vie en destin. Elle a fait de François Cevert un héros.

Alors relative, sa renommée est encore limitée à l’Hexagone quand débute l’exercice suivant. Le moteur Ford V8 est un monstre et aux pneus Dunlop ont succédé des Goodyear plus résistants. La mayonnaise prend, François Cevert est en confiance et progresse à pas de géants. En onze Grand Prix, il monte quatre fois sur le podium. Mieux, à Watkins Glen, il met fin à une disette de treize ans en devenant le premier Français à gagner une course de Formule 1 depuis la victoire de Maurice Trintignant à Monaco.

La saison 1972 est cependant moins satisfaisante, même s’il termine deuxième des Vingt-quatre heures du Mans et vice-champion d’Europe de Formule 2. En Formule 1, malgré deux nouvelles deuxièmes places, il marque en effet le pas et baisse de trois rangs dans la hiérarchie. Ça n’empêche, la France s’arrache cet insouciant cultivé au port de tête altier et au regard océanique. Il doit épouser Christina de Camaran, fille du duc John de Camaran et de Lady Macklin, soeur d’un pilote de Formu­le 1 des années 1950, mais on lui prête des liaisons avec Brigitte Bardot et l’actrice québecoise Alexandra Stewart.

En 1973, lors du Grand Prix des Pays-Bas, ce­lui que les observateurs voient toujours comme l’un des pilotes les plus doués de sa génération est au coude-à-coude avec Jackie Stewart, qui manque une vitesse. Ces derniers mois, l’élève a repris sa marche en avant. Cette fois, il peut dépasser le maître, mais préfère ralentir car il serait déplacé de gagner de cette façon…

Le 6 octobre se profile la dernière séance d’es­sais de l’ultime épreuve de la saison. François Cevert piaffe d’impatience. Avant d’enfiler son cas­que bleu, il prévient son mécanicien : « Tu vas voir le temps que je vais leur mettre ! As-tu re­marqué que je pilote la Tyrrell 006, numé­ro 6, moteur 66 ? nous sommes le 6 octobre ! C’est mon jour ! »

Il se trompe : quelques secondes plus tard, dans une courbe ra­pide trop dangereuse pour ne pas être mo­difiée par la suite, tout s’arrête et François le magnifique rejoint les Piers Cou­rage et autres Jochen Rindt au panthéon des étoiles filantes du sport automobile. La tragédie de la mort est en ceci qu’elle transforme la vie en destin. Elle a fait de François Cevert un héros.

La tragédie de la mort est en ceci qu’elle transforme la vie en destin. Elle a fait de François Cevert un héros.

 

Guillaume Duhamel

Guillaume Duhamel

Journaliste financier originellement spécialisé dans le sport et l'écologie. Féru de politique, de géopolitique, de balle jaune et de ballon rond. Info plutôt qu'intox et intérêt marqué pour l'investigation, bien qu'elle soit en voie de disparition.

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