Partagez sur "François Mitterrand de Michel Winock, dernière biographie avant les autres"
En octobre 2016, François Mitterrand aurait eu cent ans. Le Président de la République ayant exercé le plus long mandat mourut il y a près de vingt ans, peu de temps après avoir passé la main à Jacques Chirac. Après Gustave Flaubert, l’historien Winock s’attaque au portrait de cette grande figure qui vingt ans après sa mort peut enfin prendre sa juste place dans l’histoire.
Sur le papier, une énième biographie de François Mitterrand semblait un peu convenue. Pourquoi en rajouter au tas de lignes déjà écrites par les admirateurs ou les ennemis de l’homme de Jarnac ? Qu’il fut détesté ou adulé, tout le monde durant une grande partie du 20ème siècle a pu avoir un avis sur lui. Ces avis auraient bien mieux faits de rester dans la sphère privée, mais donner son avis, se dire pour ou contre est un sport international. Qui est François Mitterrand pour la jeunesse française du 21ème siècle ? Une bibliothèque ? Un personnage pas tout à fait historique ? Celui qui a encouragé indirectement le Front National à piquer, dans les années 80, une partie des voies traditionnellement prises par la droite, dans l’opposition à l’époque ? Enfin une figure tutélaire, à la Jaurès, citée en permanence par les responsables du parti socialiste actuel ?
Un Mitterrand enfin face à l’Histoire
Devenu socialiste, Mitterrand aura tendance à privilégier la première profession de son père, fils du peuple : dans sa notice du Who’s who, il est fils de chemino
En écrivant cette biographie vingt ans après la mort du Président de la République, l’historien Michel Winock fait ce qu’une grande partie des analystes n’avaient pas envisagé: il a attendu que le regard historique se précise, que le flou et les zones d’ombres se dispersent peu à peu. En effet, les ombres portées par Mitterrand lui-même (souvent appelé « Mitrand » par ses détracteurs) sur son passé furent légions jusqu’à sa mort ou presque. L’auteur de cette biographie explique bien au lecteur cette ambivalence du personnage : homme de gauche venu de droite, qui a su manipuler sa mémoire.
Son père « a été salarié, petit entrepreneur, il est désormais négociant. Devenu socialiste, Mitterrand aura tendance à privilégier la première profession de son père, fils du peuple : dans sa notice du Who’s who, il est fils de cheminot » (p. 16). Les accommodements raisonnables avec la réalité pour devenir un véritable homme de gauche se retrouvent aussi dans son engagement politique global. Il fut toujours caché par l’homme ayant reçu la francisque du Maréchal Pétain mais une fois ses premières amoures patriotiques et nationalistes étalées dans la presse, il ne les a jamais niées. L’une des réussites de Michel Winock est qu’il participe à révéler l’imposture de Franz-Olivier Giesbert. Ce dernier est l’auteur d’un ouvrage sur François Mitterrand sous-titré La Tentation de l’histoire parut en 1977. Dans ce livre, FOG semble avoir eu une fâcheuse tendance à se faire le haut-parleur de la volonté du dirigeant de gauche qu’était devenu Mitterrand. Souvent considéré par ses pairs comme un expert sur l’ancien Président, FOG fut en réalité un commercial au service d’une marque politique, l’ancêtre des communicants. Michel Winock explique à plusieurs reprises dans sa biographie comment l’éditorialiste a pu appuyer Mitterrand dans sa volonté de s’inventer une existence de gauche depuis sa quasi prime enfance.
Winock contre FOG : l’historien face au commercial
« Dès 1935, François Mitterrand paraît pencher à gauche » écrivit FOG. Et Winock de commenter : « On ne saurait éliminer catégoriquement cette pente commune à tous les hommes, et aux hommes politiques en particulier, d’arranger leur passé jusqu’à y croire eux-mêmes. Encore dans Mémoires à deux voix, avec Elie Wiesel, Mitterrand peut affirmer qu’il assistait à de nombreux meetings antifascistes, mais qu’il n’était pas engagé politiquement. » (p.25)
Deux pages plus loin, l’auteur clôt la parenthèse de l’invention mémorielle : « C’est l’enquête de Pierre Péan, auteur d’Une jeunesse française, publié à l’automne de 1994, qui a remis les souvenirs complaisants et les médisances à leur place. Cette fois, l’engagement politique de Mitterrand dans les années 1930 était bien décelé, et cet engagement était dans les Volontaires nationaux du colonel de La Rocque » (p. 27). Ainsi, la volonté de Mitterrand a été appliquée par FOG. Sur le rapport particulier entre Mitterrand, le régime de Vichy et le Maréchal Pétain, l’auteur reprend encore FOG en flagrant délit de lèche-bottes blues :
« Et ses idées politiques ? Ont-elles changé, elles aussi ? »
Franz-Olivier Giesbert, dans sa première enquête, rapportait la vulgate entretenue par Mitterrand et ses proches : “ D’emblée (…) Mitterrand se méfie du Maréchal. Dans les camps de prisonniers, les cercles Pétain prolifèrent. (…) Ce qui est frappant, c’est que, tout de suite François Mitterrand ait pris ses distances avec Pétain. “ Or rien, ni dans les écrits, ni dans les témoignages, ne fait état de cette position. Comme les autres prisonniers français, il respecte la figure tutélaire du Maréchal, le “vainqueur de Verdun “, de qui ils attendent leur libération. » (p.47)
Entre gauche et droite : Francois Mitterrand
Cet ouvrage nous permet de comprendre la politique de notre temps en ce que la figure de Mitterrand fut l’une des premières à maîtriser totalement l’art de la guerre médiatique, notamment par la télévision.
Ainsi en pointant du doigt, sans animosité, la posture des différents analystes qui l’ont précédés dans son sujet, Michel Winock permet au lecteur de 2015 de mieux comprendre la complexité du parcours politique de l’homme et de ses liens avec les journalistes : plus que des observateurs, certains journalistes se révèlent de véritables outils à la botte des charismatiques hommes et femmes politiques, participant volontairement ou non à la création de la légende.
Cet ouvrage nous permet de comprendre la politique de notre temps en ce que la figure de Mitterrand fut l’une des premières à maîtriser totalement l’art de la guerre médiatique, notamment par la télévision. Les images d’archives nous le rappellent souvent, il remit à sa place le premier ministre Chirac durant l’un des débats pour l’élection présidentielle de 1988 avec son fameux « vous avez tout à fait raison Monsieur le Premier Ministre ». Sun Tzu a écrit L’Art de la Guerre, Mitterrand était maître dans l’Art de Moucher son adversaire. L’ancien Président apparaît aussi le précurseur de la politique actuelle en ce qu’il fut le roi des accommodements raisonnables avec sa réalité, avec son passé. Il laisse ainsi une leçon, chère au héros de Balzac dans Les Illusions Perdues : l’important reste l’arrivée et dans l’arrangement du parcours et non dans le parcours lui-même. Cynique à souhait, Mitterrand est un animal politique par excellence.
« Ce n’est pas en lion qu’il livre son combat (“ceux qui veulent seulement faire le lion ne comprennent rien à rien“ lit-on dans Le Prince), c’est en renard, symbole de la ruse et de la dissimulation. Lion, il peut l’être (…) mais pour faire tomber les portes devant lui et atteindre le but suprême, la conquête du pouvoir, la circonspection, la patience et l’ambiguïté s’imposent autant que la bravoure : c’est en maître Renard qu’il continue à gravir la pente. » (p. 171)
Par ailleurs, s’attardant sur la position de Jean-Paul Sartre en 1965 quant au choix de Mitterrand comme candidat unique de la gauche, Winock cite un article paru dans Les Temps Modernes. Sartre, n’y voyant que du feu sur l’origine politique du candidat écrit : « Voter Mitterrand ce n’est pas voter pour lui mais contre la fuite à droite des socialistes ». Mitterrand fut donc renard dès sa première candidature à l’Elysée. Ainsi, l’ouvrage de Michel Winock permet de revenir sur le parcours de l’une des grandes figures historiques de la Vème République qui vingt ans plus tard n’en peut plus de se clore. Il offre la possibilité de prendre davantage de recul sur les écrits journalistiques trop bienveillants ou trop critiques à l’égard de certains de nos politiques et enfin il nous pousse à saisir la politique de notre temps : les retournements de veste, la création d’une légende personnelle. Enfin, la vision de la politique donnée par Winock est bonne pour notre début de siècle car elle tente d’insuffler une once de respect : « L’ambition politique n’est pas une passion universelle. On serait malvenu à blâmer la minorité de citoyens qui en font leur vie. : la démocratie a besoin de volontaires. » (p.171)
Le parcours de l’homme qui réussit à unir la gauche française alors même qu’il venait de l’autre côté de l’échiquier politique prouve bien que la France et la politique française ont toujours eu besoin d’un homme providentiel. C’est sans doute l’échec des derniers présidents dont celui qui exerce encore : ils n’ont pas été poussés par la volonté extraordinaire d’un peuple. Il subsiste une frousse dans la France de 2015 : et si, le seul homme providentiel de la politique française actuelle était une femme ?