Partagez sur "Daesh et l’angélisme occidental, cet accélérateur d’attentats"
Après la série d’attentats qui a touché simultanément le Koweït, la Tunisie et la France, Guillaume Duhamel revient sur la menace Daesh, dont nos dirigeants ont du mal à prendre la pleine mesure. Analyse.
La progression de Daesh, tant territoriale que dans les esprits, et les attentats qui en découlent dans un nombre grandissant de pays sont au moins en partie le fait d’une communauté internationale qui semble n’avoir toujours rien compris aux réalités du terrain.
La thèse selon laquelle la force de l’État Islamique (EI) réside d’abord dans la faiblesse de ses adversaires ne peut plus être réfutée. Le manque de concertation et plus encore le manque de détermination à l’éradiquer sont en tout cas devenus évidents aux yeux d’un nombre croissant d’observateurs.
L’Occident, allié objectif de l’État Islamique ?
La communauté internationale a eu le tort de penser que les adversaires du susnommé Bachar-el-Assad étaient tous des démocrates, elle n’a pas imaginé que ses armes pouvaient tomber entre de bien mauvaises mains.
L’autre atout majeur de Daesh, c’est d’être une hydre, un mouvement avec des leaders interchangeables. En sus de moyens financiers colossaux, entre manne pétrolière et racket de populations à qui les pires châtiments sont promis à la première tentative de rébellion, et d’un pouvoir de recrutement d’autant plus fort que les prospections s’effectuent en grande majorité dans des zones où la loi et l’ordre n’existent plus, la faute là encore au monde occidental, à ses illusions de démocratie officielles et à ses arrières-pensées pétrolières.
Si les propos de l’ex-Premier ministre israélien Ehoud Barak selon lequel Daesh « n’est pas puissant » et qu’une réaction adaptée pourrait permettre de l’éliminer en deux jours semblent excessifs, on ne saurait lui donner tort lorsqu’il affirme que l’EI « ne fait pas face à un effort de destruction suffisamment cohérent et coordonné » de la part de la communauté internationale.
Et pour cause: celle-ci continue, envers et contre tout bon sens, à ambitionner l’élimination de Bachar-el-Assad, sanguinaire résistant, mais dernier pilier d’un « moins pire » qu’elle s’emploie toujours à affaiblir. Cette obstination fait les affaires de l’affreux Erdogan, président turc qui vient d’exclure la création d’un Etat kurde malgré un sérieux revers électoral et roi des coups tordus.
Surtout, elle consacre, a minima, une forme gravissime d’inconséquence qu’incarnent et portent les Etats-Unis, lesquels manquent une nouvelle fois cruellement de discernement en matière de politique étrangère, en bons gendarmes du monde qui le veulent à leur très discutable convenance. Par-delà les inestimables services rendus jadis par l’Oncle Sam, on notera au passage que la conviction que s’était forgée le Général de Gaulle en marge de son affrontement avec Franklin Roosevelt et qui s’est traduite par une farouche volonté d’indépendance à l’égard du géant américain, le mal absolu en termes de politique étrangère aux yeux du libérateur, demeure plus que jamais recevable.
La communauté internationale a mis du temps, beaucoup trop de temps à prendre la mesure de cet adversaire qui semble aujourd’hui invincible et être pour ainsi dire sorti de nulle part. Elle a eu le tort de penser que les adversaires du susnommé Bachar-el-Assad étaient tous des démocrates, elle n’a pas imaginé que ses armes pouvaient tomber entre de bien mauvaises mains ; et face à ce nouveau tsunami qui dévore des territoires, qui massacre tous azimuts, sans faire la moindre distinction, et qui s’impose irrésistiblement dans les esprits faibles, revanchards et belliqueux, nous Occidentaux sommes bel et bien dépassés. Bouches bées devant tant d’inhumanité, impuissants devant tant de discipline et d’intransigeance dans la torture et l’horreur.
Israël, le casus belli ?
La France a d’ores et déjà payé et paiera encore un lourd tribut à l’islamisme radical, de Daesh à Al-Qaïda, bien que cette dernière mouvance a perdu de sa superbe sur le plan international. Un grand nombre de bombes à retardement sur son territoire et en Syrie, une législation permissive un droit-de-l’hommisme exacerbé, une forme de « culte des minorités » consacré par la classe politique et qui rend ces dernières intouchables, un refus chronique d’admettre la réalité des banlieues et a fortiori d’y agir, une vulnérabilité renforcée par une intervention militaire aux conséquences cataclysmiques en Libye puis une autre plus légitime au Mali, deux pays désormais exsangues sont les ingrédients de sa surexposition.
Les bouchons à l’islamisme ayant sauté, c’est presque naturellement que les vagues ont déferlé.
Également frappée la semaine dernière après, déjà, un attentat d’envergure dans le musée du Bardo, la Tunisie est pour sa part victime de son progressisme. Le seul pays qui s’est relevé du Printemps arabe, cette immense vague populaire d’espoirs déçus, a vu son économie frappée à la kalachnikov deux fois en l’espace de trois mois. Le pays a un genou à terre et l’a plus ou moins admis, lucidement, par la voix de son président Béji Caïd Essebsi, après avoir trop tôt assuré que le terrorisme était en passe d’être éradiqué dans ses frontières. C’était omettre l’existence de djihadistes confirmés et en devenir dans ses maquis. C’était aussi mésestimer la confusion totale qui règne à deux pas de chez elle, en Libye, nouveau vivier de fous d’Allah, un peu moins de quatre ans après la mort d’un Kadhafi qui, pour épouvantable qu’il était, avait le mérite de plus en plus regretté de combattre l’islamisme…
Après le Raïs comme après Saddam Hussein en Irak est venu le chaos et il est tout à fait désolant que les dirigeants occidentaux – et sans doute leurs conseillers avec eux – n’aient pas retenu ces deux précédents. Comme s’il était possible, qui plus est dans des États prompts à s’embraser, de bâtir à la hâte des fondations solides et d’installer la stabilité après avoir renversé les régimes en place à coups de bombardements et de milliards… Les bouchons à l’islamisme ayant sauté, c’est presque naturellement que les vagues ont déferlé.
Reste le cas du Koweït, où une mosquée chiite vient d’être prise pour cible, ce qui présage d’autres attaques de cette nature dans le Golfe. Considérés comme des félons, les chiites dans leur ensemble sont aujourd’hui en très grand danger, disons-le tout net, aussi sûrement que les kurdes, que les chrétiens d’Orient et même que les sunnites modérés.
Au bout du compte, Daesh sème la terreur partout et redistribue les cartes géopolitiques, amenant des alliances autrefois improbables et pouvant contribuer à faire revenir l’Iran dans le jeu, pour peu que la possibilité lui en soit laissée. Un an après son auto-proclamation, le sinistre califat n’a cependant pas encore osé s’en prendre directement à Israël. Sans doute sait-il qu’il lui en cuirait, même si sa bêtise peut potentiellement encore égaler sa violence.