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S’aliéner la Russie est hautement préjudiciable au regard de l’évolution du monde au sens large.

La « crise ukrainienne », expression générique pour désigner un conflit autrement plus complexe que ce que la doxa européenne veut faire croire à l’opinion, et qui n’est toujours pas terminé, loin de là, a ravivé des tensions d’un autre temps. Quand le monde était encore bipolaire, quand l’URSS, avec son idéologie dangereuse, son utopie communiste meurtrière et ses « satellites », contraints affidés, était le seul ennemi à abattre.

L’Ukraine et la nouvelle Guerre Froide

C’est un fait, et il ne s’en est du reste jamais caché : l’omnipotent Vladimir Poutine a mal vécu la disparition de cet ensemble hétérogène de Républiques passées au laminoir rouge. Le prestige slave en a il est vrai pris un sérieux coup et ce leader charismatique, adepte d’un franc-parler qui dérange et fervent amateur de méthodes expéditives, en bon ancien du KGB, a fait de sa restauration le grand dessein de sa vie.

De quoi déplaire à un Oncle Sam qui aspire et aspirera toujours à être le seul gendarme du monde, surtout lorsqu’on se donne les moyens de l’assouvir.

Le conflit en Ukraine est révélateur de cet état d’esprit indécrottable. L’absorption de la Crimée, indépendamment de sa russophilie profonde, a été un casus belli. Un crime de lèse-majesté démocratique que l’Occident, désireux de demeurer un parangon de vertu, ne pouvait laisser impuni. Alors des sanctions ont été prises, parce que non la Russie ne peut pas tout se permettre, et surtout pas de remettre les frontières en cause.

C’est un fait, et il ne s’en est du reste jamais caché : Vladimir Poutine a mal vécu la disparition de cet ensemble hétérogène de Républiques passées au laminoir rouge

Et de raviver insidieusement le fantasme de l’accès aux mers chaudes si cher à Pierre Le Grand, d’attiser la crainte de velléités expansionnistes sur les Etats baltes, d’attribuer le beau rôle aux opposants à Viktor Ianoukovitch. Tant pis si nombre d’entre eux sont des néo-nazis notoires, le musellement de la Russie à travers l’érection du mythe de son amoralité vaut bien quelques libertés avec la réalité des terrains.

Il reste que les sanctions économiques prises à l’encontre de Moscou au nom du droit international ne pouvaient qu’amener une riposte. Surtout, elles desservent grandement les intérêts des entreprises européennes exportatrices et qui détiennent des actifs au pays des Tsars.

L’économie de l’eurozone s’en serait volontiers passée, elle qui commence tout juste à sortir la tête de l’eau, et qui pourrait replonger aussi sec en cas d’effet domino à la suite d’un « Grexit ». Officiellement décidées en phase avec les Etats-Unis, qui peuvent davantage les supporter, lesdites sanctions ont-elles été en réalité dictées par ces derniers ?

Toujours est-il qu’elles ont achevé de détériorer les relations avec la Russie, par-delà la part de responsabilité de celle-ci dans cette dégradation, à un tournant de l’histoire du monde. A un moment où l’Occident doit faire face à des mouvances islamistes implantées, organisées et déterminées comme jamais, qui prospèrent dans des Etats auparavant tenus d’une main de fer par des dictateurs certes sanguinaires, mais qui avaient l’avantage de jouer le rôle ingrat de tampon, et mettent ces pays déjà profondément déstabilisés à feu et à sang.

Alors que dans le même temps des milliers de paumés du monde libre assoiffés de vengeance répondent aux sirènes du djihad, les Etats-Unis et l’Union européenne n’auraient-ils pas tout intérêt à « passer l’éponge » sur le dossier ukrainien ? A s’unir pour combattre l’ennemi principal ? N’y a-t-il pas quelque convergence d’intérêts possible dans cette guerre de civilisation (Manuel Valls lui-même a lâché l’expression) ?

« On ne peut « rester assis à regarder Daesh éradiquer l’humanité »

Les cartes sont redistribuées, les alliances traditionnelles devraient avoir vécu, mais la communauté internationale reste obsédée par l’éviction de Bachar-el-Asad. Elle démontre ce faisant qu’elle n’a pas tiré les enseignements des situations irakienne et libyenne, quand les renversements de Saddam Hussein et Mouammar Kadhafi ont précédé un capharnaüm dont l’humanité n’a pas fini de payer le prix.

Une union de raison face à l’Etat Islamique ?

La coalition qui lutte contre l’Etat Islamique ne parvient pas à contenir la progression territoriale, religieuse et même sociale de cet adversaire hors norme, mais se donne-t-elle vraiment les moyens de le combattre et a fortiori de le battre ? La question de sa motivation se pose en tous les cas avec de plus en plus d’insistance, un an après l’autoproclamation du Califat, et il n’y a plus rien d’indécent à se dire que l’existence voire l’essor d’un Etat Islamique dans cette région du globe fait finalement les affaires des Américains et de leurs alliés, aussi sûrement qu’elle offre au président turc Erdoğan une occasion rêvée de se débarrasser des Kurdes sans avoir l’air de trop y toucher…

Elle se pose d’autant plus que la mobilisation est minimale, considérant certes que le retour de centaines de milliers de GI’s ne peut qu’être exclu. On serait de fait tenté de dire que Barack Obama est contraint de composer avec le funeste héritage de son prédécesseur va-t-en-guerre, mais le locataire actuel de la Maison Blanche a aussi un devoir moral immense dont il ne s’acquitte pas.

« l’incroyable passivité face à Daesh et consorts est stupéfiante. Elle vient du déni, de la certitude de la défaite et de cet étrange accommodement à la fin du monde comme issue inventable »

En France, la droite traditionnelle et le FN commencent à comprendre l’intérêt d’une réconciliation ou à tout le moins d’un rapprochement avec la puissante Russie qui est aussi le voeu de Valéry Giscard d’Estaing, mais tel n’est pas le cas de la majorité, qui n’a pas saisi – et le reste des gouvernements occidentaux avec elle – que l’idée de Daesh international est, comme l’a bien résumé l’écrivain et journaliste algérien Kamel Daoud, de « provoquer la pauvreté, ruiner les pays, annoncer la fin du monde et recruter les hallucinés de la peine et de la faim ».

Laissons poursuivre l’homme de lettres, tant il parle d’or : « l’incroyable passivité face à Daesh et consorts est stupéfiante. Elle vient du déni, de la certitude de la défaite et de cet étrange accommodement à la fin du monde comme issue inventable […] Nous sommes menacés, nous allons être tués, nous sommes attaqués et nous laissons pousser dans nos pays ce monstre avec la passivité de gens désossés. »

Lucide, Kamel Daoud, dont les positions islamiquement incorrectes lui ont valu une fatwa, reconnaît en outre que, « s’il faut que la bataille soit culturelle et de livres, ceux qui sont déjà infestés par cette peste ne (nous) donneront pas le temps ».

Parce qu’on ne peut « rester assis à regarder Daesh éradiquer l’humanité », elle se doit de réagir. En dépassant une vision devenue dépassée. En admettant une bonne fois pour toutes qu’une guerre lui a été déclarée. En reconnaissant que les islamistes la minent et ont déjà posé bombes et pièges dans toutes ses strates. En déployant des moyens militaires et sécuritaires d’une ampleur sans précédent.

Le destin du monde n’est pas ailleurs.

Guillaume Duhamel

Guillaume Duhamel

Guillaume Duhamel

Journaliste financier originellement spécialisé dans le sport et l'écologie. Féru de politique, de géopolitique, de balle jaune et de ballon rond. Info plutôt qu'intox et intérêt marqué pour l'investigation, bien qu'elle soit en voie de disparition.

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