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Georges Seurat, peintre et dessinateur français, est   l’inventeur de la technique dite du divisionnisme, appelée ainsi parce qu’elle  procède à la  division du ton.  Sa peinture  est  aussi    plus  couramment qualifiée  de pointillisme.

Né à Paris le 2 décembre 1859 et mort le 29 mars 1891 dans la même ville,  Georges Seurat est apparu  très tôt et  cela  durant toute  sa courte vie (32 ans !)  comme un artiste atypique.

Les débuts d’un artiste atypique

A l’Ecole des Beaux-Arts, il était particulièrement   admiratif des copies des fresques italiennes que Charles Blanc avait fait réaliser (Giotto, Michel-Ange, Raphaël et Piero della Francesca) et  cette confrontation lui révéla déjà de ses  intuitions profondes :

«  la certitude que la beauté a ses chiffres et ses formules; le goût de la couleur claire, et, au-delà d’une atmosphère débarrassée de tout relent psychologique… » (Alain Madeleine-Perdrillat,Seurat,Skira,1990, p.15)

En 1879, à la 4 ° exposition des Impressionnistes, il ressent un choc à la vue des couleurs éclatantes  et la facture très libre des toiles de Monet.

Il lit aussi beaucoup d’ouvrages dont le traité De la Loi du contraste simultané des couleurs de Chevreul.

Ressentant le besoin de la science comme d’une aide précieuse aux artistes, car il s’inquiétait de s’en remettre uniquement aux seules sensations. Ainsi il se méfiait de l’instinct, celui-là même sur lequel se reposent les Impressionnistes.

Ses premiers dessins après son entrée aux Beaux-Arts révèlent déjà deux traits particuliers:

  • faire apparaître des figures en clair sur fond sombre, sans traces des limites, une manière d’isoler les êtres du monde alentour pour les doter en fait d’une présence accrue,
  • un naturalisme calme  éloigné des tendances idéalisantes  ou de tout expressionnisme comme ce Nu ci-dessous au crayon conté vers 1879.

Dans ses premiers dessins, on note également son goût pour l’immobilité et ce qui frappe aussi c’est son absence d’intention descriptive. Seul, en réalité,  le travail sur la forme l’intéresse véritablement.

Son évolution stylistique le conduit alors  à fuir les tentations du beau faire académique pour s’exercer à un art moins superficiel.

Parfois, il s’emploie à saisir une allure générale sans se soucier des détails. Des hachures obliques  suggèrent souvent ombres et volumes. Et il compose alors  des plans plus ou moins sombres  au lieu des traditionnels dégradés.

Derrière cette technique particulière du dessin, on peut soupçonner une volonté de construire à la manière de Cézanne(voir le dessin de la femme réparant son manteau).

Mais il inclinera ensuite à choisir une technique moins raide que les hachures, avec  une technique plus douce afin de réaliser l’harmonie qu’il recherchait.

C’est la période 1881-1882, où il réalisa  son oeuvre la plus émouvante et la plus aboutie avec ses grands Conté noirs.

Parmi ceux-ci, on distingue la Couseuse comme une vraie réussite dans l’art du dessin.

Avec ses « croquetons », il aborde véritablement la peinture

Suivant les conseils d’ Ogden N.Rood qui demandait aux peintres débutants de s’essayer d’abord à de petites esquisses  traitées de préférence en couleurs claires, Seurat réalise une série d’études  exécutées à l’huile sur des planchettes d’un format constant (environ 16 cm de haut sur 25 de long) appelés « croquetons ».

Des réalisations exécutées avec beaucoup d’énergie, résultat de brefs coups de pinceau   et qui conduisent bien souvent à montrer des figures vues de profil ou de dos, des figures sans visages. Il n’y a derrière ce travail aucun message particulier ni quelque chose de « philosophique », rien  qu’une recherche résolue d’une « vérité » d’ordre essentiellement picturale . Des recherches avant l’accomplissement d’une véritable  oeuvre qu’il veut  d’une étonnante modernité grâce à une peinture d’une merveilleuse fraîcheur.

A côté des figures humaines, il s’exerce ainsi à la réalisation de petits paysages graves qui gardent le souvenir  des promenades qu’il effectuait le plus souvent  près de Paris, à Montfermeil et au Raincy.

Même si on note ici ou là des influences de Corot ou de Rousseau ou de l’école de Barbizon, l’effusion impressionniste le retient sans jamais l’emporter.

Son originalité s’impose tout de suite  avec le silence qui l’environne et l’impossibilité de trouver la moindre trace de pittoresque car ce qui l’obsède en réalité c’est son souci quasi obsessionnel de la forme : l’art de donner aplomb et profondeur à un paysage.

Une baignade , Asnières (1883-1884), son premier grand tableau

Cette première grande toile concrétise son projet qui est de lier fortement la figure humaine au paysage. Car pour lui il ne s’agit nullement de fixer un instant, une lumière ou une vision fugitive mais bien plus de composer et de  construire.

Aussi  n’a-t’il repris des Impressionnistes  qu’une partie de leur  répertoire en célébrant  seulement les loisirs des citadins  avec l’eau comme l’un de leurs motifs préférés ! Certes là encore,  il marque ses distances dans   sa manière de dépasser l’art de  ses contemporains, cherchant plutôt un espace ouvert doté de profondeur.

Mais c’est surtout pour lui l’occasion  d’expérimenter sa technique d’ « un divisionnisme empirique, avec de brefs traits entremêlés de vert, de bleu-vert, de jaune-vert et d’orangé…la tunique de l’homme allongé est traitée de façon plus classique, en couche continue d’un blanc ivoire obtenu sur la palette, avec cependant un rendu  impressionniste des ombres, sur le bras du personnage par exemple; ailleurs , pour la Seine ce sont de longues et fines traînées horizontales , dont le jeu traduit le miroitement du fleuve… » (op.cit., p.56)

Par cette oeuvre, Seurat manifeste  son esprit méthodique et sévère qui ne voulait pas entendre parler de poésie bien qu’il dispose aussi d’une âme rêveuse. C’est toute l’originalité et le paradoxe de son art.

Un dimanche après-midi à l’île de la Grande-Jatte – 1884-1886 : son oeuvre majeure d’une extrême stylisation.

Au départ, La baignade et la Grande-Jatte restent deux toiles  très proches par leur genèse, s’agissant tous les deux d’un paysage avec la terre, le ciel et l’eau. De même pour les personnages on trouve à la fois des figures  isolées et  des groupes avec des motifs décoratifs de prédilection: habits, chapeaux et éventails, barques sur l’eau…

Mais sa nouvelle grande oeuvre, la Grande-Jatte,  va en fait systématiser la méthode déjà observée pour la Baignade. Car ici plus qu’ailleurs on observe un souci accru  de la stylisation des formes .

En accumulant les personnages, Seurat aggrave encore  cet effet de stylisation: la scène va acquérir  une allure figée et hiératique qui surprendra la critique de l’époque.

Dans la Grande Jatte en effet, les personnages semblent avoir perdu de leur incarnation et apparaissent  plutôt  comme de beaux signes mystérieux. Ainsi la petite fille en blanc au centre de la toile semble venue d’un monde quintessencié de même que sa mère à ses côtés. Elle est une sorte d’apparition tout comme le couple de droite sorti d’un monde inconnu.

Enfin concernant sa technique divisionniste, qu’il applique à la couleur  et à la lumière, il est arrivé en pleine possession de la méthode. Il a su inventer un nouveau sentiment de l’espace très différent du plein air des Impressionnistes.

Et c’est  grâce à une myriade de touches  colorées très serrées et  des différences de teintes  et de tons, qu’il lui est alors  possible  de  définir  les plans et de  modeler  les volumes.

Cirque (1890-1891) l’une de ses dernières oeuvres: sa quête d’Harmonie

Dorénavant Seurat va s’opposer à la tradition impressionniste qu’il suivait à ses débuts.

Il ne cherche plus à approfondir une émotion ou à l’exprimer plus profondément  mais tente plutôt à construire un ordre qui se tienne. Son but ultime  étant l’Harmonie.

Sur ce tableau le Cirque , Pierre Courthion a pu écrire  qu’il était « le plus baroque qu’ait jamais peint Seurat ». Effectivement cette oeuvre est  un peu déconcertante.: « l’ironie fait place à l’humour et la crispation à une véritable grâce. » (op.cit., p.191)

D’abord  du point de vue formel, l’artiste renoue avec le mouvement. Le clown avec le rideau  oriente et lance le mouvement du manège ce qui a pour effet d’emporter toute la scène de Cirque. L’artiste joue alors  subtilement sur des impressions opposées de stabilité et d’instabilité, d’élan et de retenue…

Ensuite  le côté « baroque » de la scène vient de l’illusion de la profondeur alors que la technique divisionniste l’ignore. En effet, le peintre traite les objets visuels comme s’ils se trouvaient sur le même plan au même titre que les couleurs juxtaposées du cercle chromatique.

Cela crée une illusion optique à telle enseigne qu’on a l’impression que tout le fond de l’oeuvre s’aplatit sous l’action de cette technique divisonniste. C’est pourquoi par exemple  les gradins des spectateurs ne semblent plus appartenir à   un édifice rond.

Par conséquent l’artiste réussit à s’échapper du réel grâce à cette recherche d’une Harmonie supérieure obtenue par le pur jeu des lignes  et des couleurs. Ce faisant, il  maîtrise un style qui lui est propre grâce au divisionnisme.

Avec  cette oeuvre, il s’éloigne ainsi,  définitivement  de ses amis Impressionnistes. Pissarro  est fort dépité par son Cirque, jugeant  cependant « ..qu’il est l’oeuvre d’un artiste original; c’est quelque chose ! »

Mais cette oeuvre constituera la dernière  et probablement  l’une des plus  importantes  de sa carrière puisqu’il meurt le 29 mars  1891.

Il aura exploré de nouvelles voies dans l’art de la représentation picturale. 

La pratique du divisionnisme l’a amené à s’intéresser à une analyse,  au-delà de ce que l’oeil voit « réellement » se contentant presqu’exclusivement de la lumière et des couleurs  indépendamment de tout objet.

Par ailleurs, sa mise en évidence de la crise du sujet aura  atteint chez lui  un paroxysme d’une rare intensité.

Proposant aux générations futures une forme de désintégration du visible et c’est pourquoi son souvenir,  il n’est pas étonnant, de le   découvrir éveillé dans telle ou telle oeuvre d’un Giacometti, Nicolas de Staël ou Balthus comme l’indique fort justement  Alain Madeleine-Perdreillat (op.cit., p.201)

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Christian Schmitt

Critique d'art. Auteur de "l'univers de J.L. Trévisse, artiste peintre" (ed. Lelivredart 2008) et de trois autres ouvrages sur les vitraux réalisés par des artistes contemporains aux ed. des Paraiges: Jean Cocteau (2012), Jacques Villon (2014) et Roger Bissière (2016). A retrouver sur : http://www.espacetrevisse.com

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