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Jean-Yves Tadié publie Proust et la société aux éditions Gallimard. Un livre qui explore les univers de Marcel Proust qui, au fur et à mesure, met à jour les strates de la société de la Belle époque.

Dans La Recherche du temps perdu, il y a « le monde » et « le peuple ». Tadié le note d’emblée : l’utilisation du terme peut être ambiguë, car, chez Proust, l’emploi du mot peut se confondre avec d’autres : les petites gens comme la communauté nationale. D’autant que l’oeuvre proustienne souffre ad nauseam du cliché de l’entre-soi, de la mondanité, du roman de salon (« Trop de duchesses ! », a-t-on justifié au comité de lecture pour refuser le premier volume de la Recherche).

Il s’agit d’un ouvrage intrinsèquement sociologique. Les grandes familles côtoient les valets, les cuisiniers, les grooms du Grand Hôtel de Balbec. Proust n’a pas beaucoup voyagé, mais a beaucoup observé. Il a recréé le monde qu’il n’avait pas la force de visiter. Comme le note judicieusement Jean-Yves Tadié, fréquenter tous les milieux sociaux le ramenait systématiquement là où il était le mieux : les marges : « Les deux domestiques les plus proches de Proust étaient surtout devenus ses amis (…). Avec eux, il peut oublier tout sentiment d’infériorité. Avec ces marginaux de la bourgeoisie et de l’aristocratie, il se retrouve, lui le prince des marginaux ». C’est bien Céleste Albaret qui l’attendait jusqu’au petit matin où, épuisé, Marcel lui contait les détails de la soirée « dans le monde », qu’il venait de passer.

Macrocosme et microcosme de Marcel Proust

Jean-Yves Tadié indique aussi : « Proust araignée ne va pas chercher sa proie mais attend qu’elle tombe dans sa toile ». L’observation devient rêve, puis inspiration, et enfin écriture. De sociologue, il se mue en géographe, car chaque territoire est avant tout lieu d’une mémoire qu’il restitue, et en particulier la province : « On trouve sans doute une raison pour lesquelles Proust respecte la province : elle est, en ce tournant de deux siècles, un espace où se conserve le temps, un conservatoire du temps ».

Proust étend son regard aux grandes problématiques de son temps (Dreyfus, la guerre), la finance, la politique, la religion. Au fil des volumes de la Recherche, il rend compte d’un ancien monde qui s’efface en rapportant ce qui persiste de ce dernier dans le nouveau. Jean-Yves Tadié explique : « L’oeuvre de Proust symbolise (…) L’écroulement d’une ancienne société patriarcale et aristocratique et du système littéraire qui la décrivait. (…) Et l’avènement d’un univers littéraire nouveau, fondé sur la mémoire, la philosophie et la poésie ». Avec cette analyse de haut vol sur le rapport entre Proust et la société, Tadié montre une nouvelle fois qu’il est le maître incontestable d’une oeuvre inépuisable.

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Julien Leclercq

Fondateur du Nouveau Cénacle et auteur de "Catholique débutant" paru aux éditions Tallandier.

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