share on:

Il s’agit probablement du livre le moins attendu et le plus espéré. Guerre, le manuscrit retrouvé de Céline paru aux éditions Gallimard, est d’ores et déjà un évènement marquant de l’histoire de la littérature.

L’histoire est connue : en fuite à cause des conflits, Céline se voit dépouillé de certains manuscrits, quand il ne les égare pas au cours de ses pérégrinations en Europe. Le mystérieux retour des « textes perdus » de Céline font de lui une triple figure : du génie qui a composé le Voyage au bout de la nuit, de l’auteur de textes interdits (Les Beaux draps), et maintenant du père putatif d’un oeuvre qui peut rejaillir des abîmes à tout moment.

L’évènement, par-delà le rocambolesque, comporte en lui-même une importance littéraire, il montre que l’oeuvre de Céline n’est plus « close », elle n’est plus un espace délimité soumis à la critique de la postérité. Cela implique un bouleversement au niveau de l’édition, de la recherche universitaire et les autres publications annoncées bouleverseront peut-être le champ d’investigation célinien. Le lecteur optimiste voit dans cette résurrection un espoir : celui de savoir qu’une oeuvre peut reparaître à tout moment ; que, non, tout n’a pas été publié, que le champ littéraire n’existe que par ce que nous en connaissons. Un livre de Proust refera surface, ou un poème de Hugo.

Guerre, un roman clinique

Clinique, ce roman retrouvé l’est au sens premier : il concerne le « klinê », le lit dans lequel le blessé émerge au milieu du tumulte et du fracas. C’est un prolongement du Voyage : le narrateur raconte une errance apocalyptique au milieu des cadavres en décomposition, des infirmières lubriques et des paysages infernaux. Moins cynique que Nord mais plus glaçant que Mort à crédit, Céline écrit encore plus froidement que jamais.

Il s’y affirme plus anti-lyrique que jamais : l’homme des tranchées n’est plus qu’un corps voué à la douleur et à la putréfaction. Il n’y est pas question de romantisme patriotique ni de confession sentimentale (même les soins masturbatoires proposés par l’infirmière sont médicaux, uniquement pour apporter un soin biologique). Guerre est une restitution distanciée de l’horreur. Il n’y est plus même question de « symphonie émotive », ainsi que Céline qualifiait lui-même son écriture. Les trois petits points qui caractérisent sa prose ont d’ailleurs presque disparu, comme pour mieux signifier que le champ de bataille anéantit toute réflexion méditative.

Guerre est donc un double bouleversement : éditorial et littéraire. Le vieux Destouches, l’acariâtre, l’ermite, n’en finit plus de faire irruption dans la société des hommes qu’il exécrait. Il ne nous reste plus qu’à attendre le livre à venir pour considérer que la féérie est bien pour une autre fois.

mm

Julien Leclercq

Fondateur du Nouveau Cénacle et auteur de "Catholique débutant" paru aux éditions Tallandier.

Laisser un message