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Marie-Christine publie Serge Gainsbourg, making of d’un dandy aux éditions Passés Composés. Une étude approfondie, subtile et érudite consacrée à celui qui demeure, très certainement, le personnage français le plus génial de la deuxième moitié du XXe siècle.

Dans la continuité de son inoubliable Baudelaire, Marie-Christine Natta poursuit son exploration du XIXe siècle en s’intéressant à celui qui incarne, mieux que quiconque, la plus belle queue de comète du Romantisme. Tout portait l’auteur à s’intéresser aux héritiers plus ou moins directs de l’auteur des Fleurs du mal (Huysmans, Verlaine, voire Mallarmé), mais elle a pris un parti audacieux, celui d’étudier la vie et l’oeuvre d’un chanteur qui considérait son art comme « mineur ».

De l’enfance du jeune Lulu à son adolescence jusqu’à son rejet de la peinture, elle esquisse le portrait d’un jeune homme timide et torturé, conscient de sa particularité physique (« la beauté cachée des laids, des laids … »), et, surtout, de son génie.

L’originalité de la biographie est la reconstitution intellectuelle de Gainsbourg. L’ivrogne aux poches sous les yeux, soufflant la fumée de sa Gitane avec dédain, sirotant son Ricard et susurrant ses grossièretés sur les plateaux télévisés est, aussi étonnant que cela puisse paraître, une construction intellectuelle et poétique pensée de longue date : « Gainsbourg n’est pas un historien de l’art ; ce qui lui importe, c’est de se forger une image de l’artiste qui lui ressemble, celle d’un solitaire et d’un incompris qui ne peut vivre que dans une marge altière ». Au contraire de la jeunesse bohème qui se néglige et se rassemble, le dandy cultive sa différence et soigne son apparence : comme Baudelaire l’a théorisé, il doit « vivre et mourir devant un miroir ».

Gainsbarre, un making of pas dégueu

Même la légèreté apparente de Gainsbourg a une origine : « En masquant l’effort que lui coûte la création, Gainsbourg rejoint une tradition très ancienne. Dans la Rome antique, Cicéron recommande à l’orateur de ne pas trop ‘peigner’ son discours, de le soigner ‘sans que cela paraisse’ de le marquer d’une ‘négligence diligente’ (…) Castiglione invente le mot sprezzatura pour désigner cette désinvolture nonchalante qui dissimule l’art et simule la facilité ».

Influencé par les peintres, les poètes et les écrivains, le dandy doit malgré tout, un jour, « retourner sa veste », se rendant compte qu’elle était « doublée de vison » et composer des titres commerciaux, pour lui et les autres car l’élégance, la singularité et la volonté de se démarquer ne sont pas gratuites. Comme le Des Esseintes de Huysmans, Gainsbourg en profite pour investir dans son hôtel particulier de la rue de Verneuil et aménage celui-ci avec un raffinement et une maniaquerie qui surprend.

Le grand mérite de l’ouvrage est donc de redorer le blason littéraire de Gainsbourg, dont le double aviné occupe sans discontinuer les bêtisiers de Noël. Sur le moment, peu estimaient certainement qu’il s’agissait dune nouvelle façon de montrer un « aristocratique plaisir de déplaire », cher à Baudelaire … Le provocateur aime jouer avec les limites, celles de son art, celles de son génie, celles de sa santé, celles des bonnes moeurs. Le dandy n’en avait que trop conscience : « Je connais mes limites, c’est pourquoi je vais au-delà ». Un livre qui sent bon la chemise en denim, le tabac et le Gibson pour découvrir les racines intellectuelles du dernier génie français de la chanson et même, n’ayons pas peur des mots, de la poésie.

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Julien Leclercq

Fondateur du Nouveau Cénacle et auteur de "Catholique débutant" paru aux éditions Tallandier.

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