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À la fin du mois de février, le CSA a nommé Mathieu Gallet pour prendre la succession de Jean Luc Hees à la tête de Radio France.  Espérons que cela offre une renaissance à la radio emblématique du groupe.

France Inter a été pendant des décennies une des radios les plus représentatives de l’évolution de la société française. Depuis 1963 ses programmes historiques survolaient ce qu’était la France, ceux qu’étaient les français. Jacques Chancel a signé près de 3000 ordonnances pour des Radioscopies  quotidiennes, José Arthur a animé son Pop club durant quarante ans et  la voix si sexy de Macha Béranger a hanté les nuits sauvages et érotiques de tous les noctambules entre 1977 et 2006.

La radio généraliste du groupe de la maison ronde savait parler à tous, sans distinction et n’avait aucune véritable barrière. Le Jeu des 1000 euros  est sans conteste le jeu radiophonique le plus vieux de l’hexagone et sans doute l’un des plus vieux du monde. Cette émission va à la rencontre des gens. Et elle leur permet de gagner une somme qui disons-le, permettra de mettre un peu de beurre dans la popote. Ce n’est pas le plus important. C’est une alchimie qui naît de cette émission. Démocratique et participative, elle représente le peuple de France. Gagner mille balles n’est pas le soucis : c’est d’abord Paris et la grande radio qui viennent en province, souvent dans des villes moyennes délaissées par tout le reste. Puis c’est le moment où l’on teste ses connaissances et où parfois, on apprend des petites choses inutiles, qui nous rendent un peu moins bête. À côté de cette rencontre des habitants de France, ceux de partout, il y a l’archétype de l’émission intellectuelle.

Le Masque et la Plume apparaît en 1955. A l’époque, on y entend différentes voix du monde de la culture qui veulent nous donner l’envie ou nous la retirer. C’est tout bête après tout. Des types  (nous ne parlerons évidemment pas de l’égalité femmes hommes) se retrouvent et donnent leur avis sur une œuvre de l’actualité. Soit on aime soit on déteste. L’émission se voulait alors grand public. Elle est devenue un salon intellectuel où les participants (chroniqueurs, public, écouteurs) se sentent pousser des ailes et vont avoir des choses à se dire en allant voir tel ou tel film que tel ou tel chroniqueur a descendu ou encensé.

France Inter, ce grand salon de l’entre soi

France Inter est devenue France Intra. Tout se dit, tout se passe dans un entre-soi révoltant qui transpire des micros de la maison ronde. 

Aujourd’hui le Mangin Palace, pour paraphraser deux marathoniens de la station, Philippe Collin et Xavier Mauduit, ça n’est plus ce que c’était. Bien sûr, on a gardé quelques émissions phares dont la disparition aurait soulevé  un mécontentement profond : Nicolas Stoufflet est sur les routes avec ses fiches de questions envoyées par voie postale par une madame de Chapet. Et Jérome Garcin fait le Nikos Aliagas du Salon de la Marquise Lemasque. À part ça, plus ça va moins ça va.

France Inter est devenue France Intra. Tout se dit, tout se passe dans un entre-soi révoltant qui transpire des micros de la maison ronde.  Il y a le grand PatCo, Patrick Cohen, celui du matin, qui fait bien son boulot d’animateur. Cependant on a rarement vu un poseur de question aussi hargneux avec ses adversaires politiques (la droite et son extrême). Quand l’invité du 7/9 est une personnalité de gauche, on a le sentiment que PatCo singe le méchant, il fait le Eric Zemmour agressif afin qu’on ne lui reproche rien, mais le cœur n’y est pas. Même lui n’y croit pas. Et puis avec le tintouin autour de l’affaire Dieudonné, on a revu en boucle la vidéo : Patrick Cohen tient dans sa tête une liste des personnalités à bannir. Démocratie. Contrôle de la parole. Réserve du service public.

L’enchaînement entre la matinale d’un Patrick Cohen brillant mais brimé par sa tranche horaire trop exigeante et d’une Pascale Clark sans réel talent si ce n’est celui de se faire remarquer, complètement libre car trop  adorée par la direction, cet enchaînement donc, reflète bien le rythme essoufflée de la grille d’Inter.  Clark essaye de faire de l’humour et Cohen ne trouve pas ça drôle, il fait ce qu’il peut, le pauvre.

Un peu plus tard vient l’émission qui doit faire rire. On va tous y passer  et c’est vraiment le sentiment ressenti à l’écoute. André Manoukian (si, si, celui de la Nouvelle Star), remplace Frédéric Lopez, plus talentueux devant une caméra que derrière un micro, qui remplaçait Isabelle Giordano, qui remplaçait Stéphane Bern, qui remplaçait Laurence Boccolini, qui remplaçait Laurent Ruquier… Peut-être faudrait-il arrêter de vouloir faire rire sur le moment de midi et prendre exemple sur l’émission suivante de la grille : Les Carnets de Campagne et le Jeu des mille euros : la grande radio s’ouvre sur les actions concrètes de citoyens actifs localement, elle s’ouvre sur la province, et elle s’ouvre sur le savoir et enfin s’opère la sainte trinité.

La sainte trinité du service public audiovisuel : Informer, Eduquer, Distraire.

Comment l’animateur de Sur les épaules de Darwin, peut-il se faire oublier en étant le seul à parler pendant près d’une heure ? Sans doute par une humilité profonde face à la hauteur des géants dont il parle.

La radio de service public organise traditionnellement ses programmes selon ces trois mots : informer, éduquer, distraire. Ceux-ci résument les missions principales du service public de radio. Il ne s’agit pas ici de s’interroger sur la pertinence des idées compartimentées derrière ces trois substantifs mais plutôt de se demander si France Inter remplit correctement sa mission de service public.

S’agit-il d’organiser les émissions en trois parties inégales comme le fait la matinale de  Cohen ? On y trouve en effet l’information reprise des dépêches AFP, les éditorialistes qui donnent leur avis d’éditorialistes (donc non spécialistes), les invités qui répondent plus au besoin d’actualité brûlante qu’à la volonté d’éduquer puis enfin une petite touche d’humour histoire de faire sourire l’auditeur, quand c’est réussi. 

Ne pourrait-on pas mêler ces trois mots, ces trois idées dans la même bouche lors d’une même émission, avec comme but principal la volonté d’informer, d’éduquer et de distraire simultanément. L’information ne relève pas simplement de la dépêche des agences de presse, l’éducation n’est pas la vulgarisation, la distraction n’est pas l’humour. Les ratés sont nombreux : les liseurs de dépêches, dits « journalistes », des flashs d’actualité ont souvent le langage grammaticalement bancal, les jeunes humoristes sont recrutés pour leur jeunesse, leur nouveauté, certainement pas pour leur humour, et les vieux dinosaures de la station sont indéboulonnables et règnent parfois en despote sur leur petit royaume. 

Les émissions les plus marquantes de ces dernières années sont dirigées par des hommes de radio venus d’ailleurs, sans d’autres prétentions que d’informer, d’éduquer et de distraire les auditeurs. Celles et ceux ayant véritablement leur place sur cette grande radio de service public sont rares. Dans leurs émissions, ils sont effacés, cachés humblement derrière ce qu’ils veulent transmettre. L’exemple de Jean Claude Ameisen est impressionnant. Comment l’animateur de Sur les épaules de Darwin, peut-il se faire oublier en étant le seul à parler pendant près d’une heure ? Sans doute par une humilité profonde face à la hauteur des géants dont il parle.

Il y a bien sûr encore quelques exceptions sur France Inter qui font de cette chaîne, une grande chaîne de radio, mais le problème de la station et d’une grande partie de ses animateurs se résume en deux questions. Le service public de radio fait –il bien son travail ? Les animateurs de radio ayant un lien à la télévision ne perdent-ils pas leur honnêteté et leur valeur ?

Radio et TV : le divorce nécessaire

France Inter veut survivre à Internet, en créant des émissions filmées, en recrutant des producteurs sans talent mais médiatisés, en confiant des antennes à des intellectuels de trottoirs, écrivaillons à la petite semaine mais elle oublie l’essentiel.

Qui sont ces animateurs de France Inter à se perdre sur les plateaux des mauvaises émissions télévisées ? C’est en tant que chroniqueur de C à vous que Patrick Cohen se ridiculise face à Frédéric Taddéi, ou en citant l’Afrique des marabouts face à Rama Yade. C’est en faisant la voix off de l’émission En Aparté  que Pascale Clark a accédé à son statut de star des médias. C’est en se faisant La Nouvelle Star que Manoukian s’est fait connaître du public. Le pain béni rencontré par France Inter il y a quelques années s’appelait Philippe Collin et Xavier Mauduit. Les deux jeunes dingues diplômés en sciences humaines, pas journalistes pour un sou et ayant une profonde culture populaire et intellectuelle avaient de véritables idées pour révolutionner la manière de faire de la radio. L’humour, la culture, la forme nouvelle, et un fond riche et complexe ; tout y était. Or, passés à la moulinette de plusieurs années d’émissions quotidiennes, les deux olibrius ont perdu leur verve, et se noient  à la télé et dans une émission radio sans réelle originalité sur la culture populaire américaine. Au moins, ils gardent leur identité : mélanger culture élitiste et populaire en deux coups de cuillères à pot. Espérons qu’ils reviennent du bon côté.

Il y a des réussites sous le mandat de Philippe Val. Jean Claude Ameisen, et Guillaume Gallienne en sont une. Un autre succès plutôt mal conduit : avoir viré Stéphane Guillon qui à la différence de Didier Porte, n’était pas drôle. Mais l’humour sur France Inter, c’est une autre histoire de déception.

La radio et la télévision sont deux sœurs opposées. La télévision, publique ou privée, est un bon petit soldat de la publicité, du consumérisme et de l’audimat, quand la radio, telle Antigone aux ongles terreux, peut sortir des sentiers battus et prendre des risques. Lorsque, sous l’impulsion de Didier Varrod, directeur de la musique sur la chaine, une émission intitulée Le radio crochet d’Inter apparaît en 2013, c’est véritablement une copie des émissions de téléréalité qui existent depuis une quinzaine d’années : c’est se rapprocher de la télévision. L’argument de Didier Varrod est d’expliquer, avec raison, que le principe du radio crochet était d’abord radiophonique. Certes mais cela ne tient pas la route tant les assistants de production et community managers de la chaine bombardent la toile d’extraits vidéos et photographiques. Didier Varrod fait sa star academy à lui. Sa seule réussite : vendre son émission comme un retour aux sources vintage. La télévision, publique ou privée, est donc en train de happer, grâce aux nouvelles technologies, la magie de la radio qui disparaît  à mesure que l’on voit ce qui s’y passe  au lieu de simplement écouter ce qui s’y dit.

Mathieu Galet, prochain président de Radio France, aurait annoncé un peu partout qu’il comptait généraliser la mise en place de la radio filmée et diffusée sur Internet.  France Inter veut survivre à Internet, en créant des émissions filmées, en recrutant des producteurs sans talent mais médiatisés, en confiant des antennes à des intellectuels de trottoirs, écrivaillons à la petite semaine mais elle oublie l’essentiel. Une chaîne de radio du service public a une mission, qui n’est pas de se moquer en permanence des auditeurs, ni de les prendre pour des navets élevés aux pesticides. Tout comme Libération et Newsweek, France Inter est en train de tomber. Souhaitons que la nouvelle présidence de Radio France utilise correctement le retour d’Inter dans sa maison mère : en mettant tout en oeuvre pour réaliser simultanément le leitmotiv que s’est donné le service public : Informer, Cultiver, Distraire. Pour cela, il faut de l’audace et du talent. Libération ou Newsweek, France Inter  est en train de tomber. Souhaitons que la nouvelle présidence de Radio France utilise correctement le retour d’Inter dans sa maison mère : en mettant tout en œuvre pour  réaliser enfin simultanément le leitmotiv  que s’est donné le service public de la radio : Informer, cultiver, distraire. Pour cela, il faut de l’audace et du talent.

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Christophe Berurier

Christophe Berurier est professeur. Il aime les mots et le vélo.

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