Les éditions Gallimard publient Ouvrir d’Eugène Guillevic (1907-1997). Ce livre qui alterne entre la prose et les vers conclut la « trilogie posthume » du poète qui débute par Relier (2007) et se poursuit par Accorder (2013).
Guillevic est tout d’abord un homme de paradoxes : catholique pratiquant jusqu’à la trentaine, il adhère ensuite au Parti communiste en 1942 et se lie avec Paul Eluard. En 1968, il compose Les Chansons de Clarisse interprétées par Jeanne Moreau, textes à travers lesquels le fils de marin né à Carnac, que l’on imagine volontiers mesuré et taciturne, fait preuve d’une immense sensibilité.
La voix de Jeanne Moreau sublime ces poèmes comme aucune autre. Elle parvient à saisir la grâce qui inonde les pages de Guillevic. L’émotion contenue. Le lyrisme mesuré. Le dénuement constitue chez lui la plus grande des richesses, en ce qu’elle devient synonyme de pureté et de clarté. A travers ses poèmes, Guillevic recherche le dépouillement pour accéder à l’évidence.
« Son écriture, concise, presque sculptée, est une recherche permanente du silence ».
Mais, comme dans une démonstration hégélienne, tous les paradoxes finissent par s’annuler dès lors que le poète compose son œuvre. Son écriture, concise, presque sculptée, est une recherche permanente du silence. Ses poèmes sont autant de murmures chuchotés à l’oreille du lecteur. Il écrit dans son Art poétique : « Les mots, les mots / Ne se laissent pas faire / Comme des catafalques / Et toute langue / Est étrangère ». Guillevic est en interrogation constante du réel.
Guillevic et le poème impossible
Il est le poète des impossibles. De l’impossibilité de dire. De parler. D’écrire. D’exprimer. Il est même le poète impossible car, selon lui, la poésie ne suffit pas pour tout exprimer. Dans Ouvrir, il évoque Katz en ces termes : « Il ne ressemble à personne ? personne n’a jamais été plus indépendant que lui. Pendant que d’autres discutent, lui, sans aucune littérature bâtit son oeuvre selon son coeur ». L’indépendance du poète se juge à travers la distance qu’il prend avec la littérature, sa complexité et son trop-plein de mots.
« Pour moi, le poème valérien est la cérémonie d’un culte exaltant, célébrant le monde dans le pur envol de la joie que procure le verbe »
Ses propos sur Paul Valéry sont également remarquables : « Pour moi, le poème valérien est la cérémonie d’un culte exaltant, célébrant le monde dans le pur envol de la joie que procure le verbe ». L’éloge de l’auteur du « Cimetière marin » n’est pas neutre, puisque selon ce dernier « Le lyrisme est le développement d’une exclamation ». Guillevic prolonge Valéry, mais creuse malgré tout un autre sillon. Comme chez Philippe Jaccottet, l’exclamation ne vient pas et ne cherche aucun développement. L’élan est empêché.
Entre éloges adressés à ses maîtres (de Paul Eduard à Mohammed Dib) et poèmes aussi délicats qu’harmonieux, Ouvrir est un recueil qui nous rappelle la prééminence de la poésie dans un monde qui lui tourne de plus en plus le dos. Son « Ultime lettre à un jeune poète » est finalement une définition éclatante et émouvante de son art : « Un conseil : tournez-(vous) davantage vers le quotidien, le tous les jours, l’infini dit par l’anonyme ».