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C’est l’histoire d’un enfant de la balle, abandonné par son père, lâché par sa mère. D’une belle gueule très tôt attirée par les feux de la rampe et littéralement fascinée par l’autre rive de l’Atlantique. Parce que l’époque s’y prêtait, parce que c’était alors le meilleur moyen de se frayer un chemin, il a, avant de se faire un nom, puis un prénom, américanisé son patronyme.

C’est l’histoire d’un stakhanoviste de la scène qui avait quelque chose d’animal. Les yeux d’un loup, les rugissements d’un lion, la puissance d’un taureau. Un physique hors norme, regard bleu polaire, visage sculpté, sourire carnassier, quintessence d’une puissance et d’une virilité au demeurant savamment entretenues, entre bécane rutilante, cuir clouté, alcool, coke et cigarettes à profusion, qui tranchait avec une personnalité discrète, timide, introvertie.

Cette simplicité sincère, marque de fabrique jamais revendiquée, Johnny Hallyday ne s’en est jamais départi. Quoique vite jeté sur cette charpente profondément humaine, le manteau de la gloire n’aura jamais été un fardeau. Le costume n’était ni trop grand, ni écrasant. Il lui seyait comme un gant.

9 Stade de France, 50 albums studio, 183 tournées, 28 millions de spectateurs, plus de 100 millions d’albums vendus. Vertigineux, les chiffres – probablement inégalables en France – ne lui ont jamais fait tourner la tête. Et c’est parce qu’il a su rester lui-même, abordable, pudique, fidèle en amitié et éminemment sympathique, parce qu’il était, sans connotation négative, un bon gars, que ses concitoyens lui ont rendu tout l’amour qu’il a été capable de donner, dans un hommage pour certains excessif, voire déplacé, mais à son image, spectaculaire et digne. Historique surtout.
Les Français auront épousé toutes ses trajectoires, suivant les multiples méandres d’une destinée hors norme. Ils auront tout pardonné à cet homme qui, au fil des années, aura construit son unicité et sera devenu un repère. Ses extravagances, ses excès, ses divorces, son exil fiscal, ses fautes de français, ses fautes de goût.

Des millions de nos compatriotes, jeunes et moins jeunes, routiers, ouvriers, cadres supérieurs, chanteurs amateurs, chanteurs professionnels, chef de l’Etat, ex-chef de l’Etat, auront été fascinés par cette bête magnifique à la voix incomparable et qui se dépensait sans compter pour son public. Pour beaucoup, il a été un modèle, le modèle, la seule référence, l’idole exclusive, inoxydable malgré la folle débauche d’énergie, le temps qui passe et les profondes mutations de la société.

Johnny le transgénérationnel, Johnny le roc, Johnny le taulier, capable de se produire malgré la maladie et d’enregistrer de nouvelles chansons à l’extrême hiver de sa vie, nombreux étaient ceux qui le croyaient éternel, même s’il est déjà acquis que son mythe lui survivra. A voir en lui un chêne que rien ne pouvait abattre, pas même cette saloperie de crabe. Tant de fois donné pour mort, si enclin à brûler l’existence par les 2 bouts, celui qu’Eddy Mitchell surnommait affectueusement « Robocop » n’avait-il pas toujours survécu ?

Vaincu par le cancer, Johnny a plongé un nombre incalculable de ses compatriotes dans une détresse rare. Le tour de force est que, parmi eux, tous n’étaient pas des inconditionnels de cette machine à tube. Il a été rendu possible par le fait qu’il incarnait une certaine idée de la France, cette France tantôt bégueule, tantôt silencieuse, cette France qui sue, qui bosse ou qui aimerait bosser. Cette France qui aime râler, mais plus encore applaudir et taper sur l’épaule du voisin. Cette France qu’on aime, qu’on l’assume ou non.

En ces jours si particuliers où les 2 joues du visage du pays sont rougies, n’en déplaise aux indifférents à tout, aux grincheux, aux ayatollahs du bon goût et à ceux qui pensent détenir la vérité artistique, il apparaît que Johnny le fédérateur, le dénominateur commun n’a pas plus d’héritier que Jean d’Ormesson.

Parce que, tout en étant une star, il personnifiait l’Hexagone dans ses grandeurs et ses faiblesses, la peine est globalement partagée ou à tout le moins comprise.

Si c’est le lot des grands d’être à la merci des petits, cette peine n’appelle ni le mépris de classe, ni un élitisme pédant. Elle appelle le respect dû à toutes les personnalités qui restent authentiques et ne trichent pas malgré la gloire. Le respect dû à ceux, tout aussi rares, qui sont capables de porter une partie du rêve français.

Guillaume Duhamel

Guillaume Duhamel

Journaliste financier originellement spécialisé dans le sport et l'écologie. Féru de politique, de géopolitique, de balle jaune et de ballon rond. Info plutôt qu'intox et intérêt marqué pour l'investigation, bien qu'elle soit en voie de disparition.

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