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Le Crime de l’Orient Express vient de sortir sur nos écrans. Après Peter Ustinov, Albert Finney et David Suchet, Kenneth Branagh endosse les moustaches du célèbre détective belge qui va avoir la lourde tâche de résoudre le meurtre d’un passager d’un train avec pour seul atout ses cellules grises et face à lui douze suspects.

Les adaptations cinématographiques des romans d’Agatha Christie ne laissent jamais indifférents. Celle de Kenneth Branagh ne déroge pas à la règle, tant l’intrigue, le personnage de Poirot et la mise en scène déstabilisent les lecteurs de la romancière anglaise.

« Le film souffrait avant même sa sortie de la comparaison avec l’adaptation du même roman réalisée en 1976 par Sydney Lumet et qui proposait déjà un casting de rêve et des décors magnifiques ».

Les plus fervents d’entre eux ne verront pas d’un bon œil cette nouvelle mouture. Et pour cause. L’on peut admirer un Poirot grand et athlétique, cabotin et amoureux, qui n’hésite pas à employer tous les moyens mis à sa disposition pour résoudre l’énigme, parcourir le toit d’un train ou, suprême hérésie, le voir une arme à la main. Kenneth Branagh répond à la volonté des producteurs américains de moderniser les romans d’Agatha Christie, de dépoussiérer des intrigues surannées, vieillies par le temps et d’actualiser des personnages archétypaux sentant la naphtaline.

Le film souffrait avant même sa sortie de la comparaison avec l’adaptation du même roman réalisée en 1976 par Sydney Lumet et qui proposait déjà un casting de rêve et des décors magnifiques. Lauren Bacall et Sean Connery donnaient le change à Albert Finney dans une œuvre qui reprenait fidèlement la trame du roman ainsi que le caractère méthodique et ennuyant d’Hercule Poirot.

L’autre point de vue de Kenneth Branagh 

Kenneth Branagh s’approprie alors l’intrigue et donne une nouvelle vision du détective belge. Derrière la caméra, l’acteur alterne plans fixes et prises de vue audacieuses, comme lorsque Hercule Poirot parcourt un à un les wagons dans un long plan-séquence ou bien cette scène où, filmé en plongée, le lieu du crime ressemble à un plateau de Cluedo, rendant ainsi hommage au roman à énigmes désormais démodé.

Cependant l’intrigue et la pléiade d’acteurs n’ont pas le droit au même traitement de faveur. Le point de vue de Kenneth Branagh est déstabilisant tant il s’approprie le texte afin d’en donner une vision toute personnelle. L’intrigue est noyée dans un flot de paroles incessantes, confuses et soporifiques d’où ne subsistent que les sentences du détective. Les personnages quant à eux sont réduits à l’état d’ectoplasmes, des êtres dénués de toute consistance autre que le lien qui les unit à la victime. Quand Agatha Christie accordait à chacun des douze suspects un chapitre afin qu’il puisse se révéler, le cinéaste anglais refuse aux protagonistes une quelconque existence afin que le spectateur ne compatisse à leurs malheurs et qu’il ne prenne leur parti.

« Hercule Poirot fait face à la Cène, comme pour mieux exprimer son aversion pour la vengeance accomplie ».

Car si Kenneth Branagh reprend là où le roman d’Agatha Christie s’arrête, c’est parce qu’il refuse la fin elliptique de la romancière dans laquelle Hercule Poirot, tel Ponce Pilate, se lave les mains du devenir des douze coupables : « Après cet exposé de mon point de vue personnel, j’ai l’honneur, mesdames et messieurs, de me dessaisir de cette affaire, acheva Poirot ». Réunissant les douze acteurs assis face à une table, Hercule Poirot fait face à la Cène, comme pour mieux exprimer son aversion pour la vengeance accomplie. Sous la caméra de Kenneth Branagh, les suspects, assimilés aux apôtres, pensent exercer l’oeuvre de Dieu, mais leur caractère vengeur découvre un Poirot christique qui doute du bien fondé de leur entreprise. Dans une révélation shakespearienne, le détective juge ses pairs et refuse leurs actes au nom de la lutte du Bien contre le Mal.

Ironie du sort, le film se termine finalement là où Agatha Christie ne voulut qu’il s’achève, la victoire des juges et la défaite de la justice. Si, sous la plume de la romancière, les derniers mots de Poirot suggéraient un scepticisme assumé, ceux de Kenneth Branagh sonnent creux car les coupables en ressortent impunis.

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Andrés Rib

Ancien de la Sorbonne. Professeur de Lettres. Aime le Balto, et la Philo.

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