Partagez sur "Syrie : La première (grosse) erreur de Donald Trump"
Le candidat non interventionniste s’est mué en chef de guerre. Un peu plus de deux mois après sa prise de fonction, Donald Trump a frappé un grand coup sur la scène internationale en fin de semaine dernière en ordonnant la destruction, au moyen de la bagatelle de 59 missiles Tomahawk, d’une base aérienne syrienne. A 600 000 dollars l’unité, le prix de cette belligérance s’annonce déjà bien élevé.
Ce faisant, le nouveau chef de l’exécutif américain a opéré un spectaculaire virage à 180 degrés, lui qui n’avait eu de cesse jusqu’alors de prôner le réchauffement des relations diplomatiques avec la Russie, indéfectible soutien du régime syrien. A-t-il été intoxiqué, mis sous pression par le lobby militaro-industriel et par son camp, autrement plus circonspects à l’endroit du plus vaste pays du monde ?
Officiellement, il s’agissait de répondre à une attaque chimique contraire aux règles internationales, à un crime contre l’humanité, vocable très en vogue ces dernières semaines. A un acte insoutenable qui a fait au moins 86 morts, dont 27 enfants, fauchés par la cruauté d’un Bachar al-Assad qui par-delà le succès d’Alep se cramponne à un pouvoir que l’opposition, modérée ou non, persiste à lui contester. Problème : rien ne prouve à ce stade que le dirigeant syrien, que l’Occident dépeindra de toute façon toujours comme une brute sanguinaire, est bien l’initiateur des atrocités qui lui sont reprochées.
« Cette situation n’est pas sans rappeler l’intervention américaine en Irak en 2003, quand l’administration alors au pouvoir soutenait mordicus que Saddam Hussein disposait d’armes de destruction massives ».
D’aucuns s’interrogent surtout sur ses motivations, sachant que la communauté internationale a paru résignée ces dernières semaines, n’exigeant plus son départ comme prérequis à toute ébauche de résolution politique du conflit, et que de nombreux territoires ont été regagnés au détriment des rebelles dits modérés et de l’Etat islamique. Dans ce contexte, aurait-il pu être « court-circuité » par des caciques radicaux du régime ou par un état-major à l’émancipation de plus en plus marquée ? Aurait-il été piégé par cette frange de l’opposition qui ne renâcle pas à recourir aux boucliers humains ? On ajoutera que la communauté internationale a déjà fait porter à Bachar al-Assad la responsabilité d’un massacre analogue en 2013 avant de concéder, deux ans plus tard et assez discrètement, qu’il était en réalité le fait de l’Etat islamique.
Partant, il aurait sans doute été judicieux de temporiser, d’attendre les résultats des investigations officielles, mais le successeur de Barack Obama a préféré montrer les biceps tout de suite et bomber le torse, quitte à ce que la réalité des faits lui donne tort. En bon américain, en président du pays de Chuck Norris, d’Independance Day et du Hummer, il a foncé tête baissée et, peut-être, marché dans les pas de « W ». Car cette situation n’est pas sans rappeler l’intervention américaine en Irak en 2003, quand l’administration alors au pouvoir soutenait mordicus que Saddam Hussein disposait d’armes de destruction massives, ce qui justifiait de le renverser.
La Russie voit rouge
On espère, dans l’intérêt de Donald Trump et accessoirement du monde, que l’histoire ne se répètera pas, même si l’Occident est passé maître dans l’art de renverser des dirigeants qui l’indispose sans vraiment prévoir la capitale transition. Que Bachar Al-Assad est bien l’auteur de l’attaque chimique précitée, ce qui, répétons-le, n’est pas avéré à ce stade.
Dans le cas contraire, le locataire de la Maison Blanche aura perdu gros. Sa crédibilité, déjà sujette à caution au vu de son inexpérience politique, de ses innombrables revirements et reniements, mais aussi la bienveillance et l’estime d’une Russie qui entend bien continuer de peser sur les affaires du monde et a toujours, sans l’ombre d’un doute, un rôle crucial à jouer dans le bourbier syrien.
« Ce qui affaiblit Bachar renforce l’Etat islamique ».
Moscou voit d’ailleurs déjà rouge et le Kremlin a fait savoir qu’il ne communiquera plus avec les Etats-Unis sur la question syrienne. Fidèle allié de Bachar Al-Assad elle aussi, l’Iran est dans les mêmes dispositions et s’est immédiatement désolidarisée de la spectaculaire initiative américaine.
La tendance était à un rapprochement avec Téhéran depuis l’accord sur le nucléaire, néanmoins durement critiqué par Donald Trump. Vu les propos tenus durant sa campagne, elle était aussi à un rapprochement américano-russe dans l’optique de l’anéantissement de Daesh. Elle est aujourd’hui à une énième redistribution des cartes dans une région déjà profondément déstabilisée et qui aurait au contraire besoin d’alliances claires et arrêtées.
Ce qui affaiblit Bachar renforce l’Etat islamique, mais au nom d’un acte odieux, de la nécessité à ses yeux de se poser en conducteur du monde et peut-être aussi de celle de tempérer les ardeurs de la Corée du Nord, imprévisible tout comme lui, le président américain a perdu de vue cette évidence. Il a frappé et surpris le monde entier, ce qui laisse présager un mandat fertile en événements inattendus. Et potentiellement dommageables pour des millions de personnes dans le monde.
Liens :
Alep : entre tragédie, propagandes et compassion 2.0