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Né en 1978, Clément Laurentin après des études d’arts appliquées à l’école Boulle, rejoint le collectif du 9 ° Concept en juin 2001.

Cet artiste amoureux des formes et de la géométrie, se sent très proche des cubistes et des suprématistes mais son univers ne se limite pas à une école ou à un mouvement, car il développe lui-même et de manière spontanée plusieurs lignes graphiques et sémiologiques très distinctes.

Une inspiration d’odre musical

Tout part généralement d’une écriture. Souvent celle-ci est proche d’un morceau musical qui lui donne le déclic d’aller plus loin.

«  …tout particulièrement (à partir) d’un album de Miles Davis notamment Kind of Blue , premier album enregistré avec de l’improvisation. J’ai voulu fonctionner de la même façon que le musicien.

Lui, Miles Davis posait à ses musiciens une sorte de couleur, une rythmique et après cela il laissait ses musiciens improviser.

Cette idée-là, la lettre me permet (aussi) de rythmer la toile au départ et ensuite d’improviser, de me laisser aller au mouvement. »

Le résultat se révèle alors plus qu’étonnant! Son travail de la lettre lui permet, en effet, de créer des mondes surprenants d’équilibre et de beauté.

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Les oeuvres abstraites (voir ci-dessus), qui sont toutes des peintures sur feuille de bois, rappellent autant la géométrie mystique des premiers modernistes que celle des civilisations les plus éloignées et les plus anciennes ( les peuples se réclamant du bouddhisme et de l’hindouisme mais aussi les Aztèques ).

Ce mariage de modernité et d’influences plus lointaines ravit l’oeil du spectateur.

Mais ce peintre est aussi proche d’un artiste conceptuel comme Stella même si celui-ci déconcerte parfois, car trop imprégné qu’il est par l’abstraction. «  Ce que vous voyez est ce que vous voyez » affirmait-il souvent.

Or, ici Clément Laurentin nous offre à voir un travail plus intuitif, plus mystérieux et donc nécessairement plus intérieur. Sans toutefois oublier aussi l’esprit ludique proche des constructivistes russes. A l’évidence toutes ces architectures colorées créent une ambiance festive.

Ces enlacements de formes font notamment penser à des danses lascives. De même la puissance du rayonnement chromatique ajoute encore à ces oeuvres une poésie musicale.

Ce peintre est loin d’être un peintre platonicien même s’il utilise les formes symboliques primitives épurées de l’humanité que  sont le labyrinthe, zigzag, entrelacements, spirale etc…

Mais, plus que d’autres, il réussit à les libérer de l’asservissement par la référence à la musique.

Le portrait colonial

L’artiste surprend aussi par la grande diversité de ses inspirations. Ainsi il ne cache pas son attirance pour la figuration et notamment pour le portrait colonial.

« Depuis tout petit, j’ai toujours travaillé le portrait. J’aimais la BD, faire des lettrages, toutes ces lignes différentes qui constituent la trame du fond, la pattern. Ce sont des éléments culturels que j’aime travailler et mélanger puisque issus de différentes parties du monde. »

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@Bruno Gabriel

Le fond de cette oeuvre est constitué par des bandes colorées, des variations de tons bleus, qui se croisent pour former des formes losangées.

Ce sont ces patterns dont parle l’artiste et qui se présentent comme des motifs permettant de synthétiser cet art du mélange et métissage.
« …des patterns très différents peuvent fonctionner ensemble comme les cultures peuvent fonctionner également ensemble alors qu’on a tendance à les opposer. Toutes les cultures sont belles , elles ont quelque chose à nous apporter. »

Clément Laurentin reprend aussi à son compte la grille des peintres cubistes: la structure emblématique du minimalisme.

Cependant Rosalind Krauss souligne, quant à elle, que la grille annonce «  la volonté de silence de l’art moderne, son hostilité envers la littérature, le récit et le discours. »

Plus loin encore, elle ajoute même que la grille révèle «  ce à quoi l’art ressemble lorsqu’il tourne le dos à la nature. » (« Grilles », in L’originalité de l’avant-garde et autres mythes modernistes, Paris, Macula, 1993, p. 93-94).

Pourtant l’artiste ne semble pas tourner le dos à la nature, il reprend même cette harmonie cachée du cosmos pour tisser des liens entre les peuples d’origines très différentes.
Et plutôt qu’un treillage de lignes froides et neutres, il utilise des bandes de couleurs rayonnantes.

l’attirance pour l’Afrique

l’Afrique lui permet en fait de ne pas succomber dans les valeurs du minimalisme.
«  Je suis très tôt attiré par l’Afrique . Ma mère travaillait dans la littérature pour enfants et dans l’illustration. J’ai baigné là dedans, des conteurs et des dessinateurs venaient à la maison. Dans tout mon travail, il y a beaucoup d’empreintes africaines d’où les totems, les fétiches… »

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@Bruno Gabriel

Le métissage est une constante chez ce peintre. On le voit par le traitement particulier de cette oeuvre comme inspirée par l’art populaire, les arts premiers et l’ « art brut ».
L’art pariétal de l’époque du paléolithique transparaît également.

Bref toute cette oeuvre est comme le résultat d’une concentration emblématique et agencée de toutes ces différentes inspirations.

L’artiste maîtrise à la perfection cette composition. Elle est très architecturée et organisée malgré l’évocation de thèmes primitifs.

On pressent aussi chez l’artiste un goût évident pour l’harmonie, la mesure et la perfection.

Son goût pour le primitivisme

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Mais cette rigueur esthétique est toujours compensée chez lui par un retour aux choses simples du quotidien.

« Cette tête, je l’aime beaucoup. Elle est faite à partir des pièces en plastique récupérées sur le littoral atlantique du côté du Bassin d’Arcachon où habitent mes parents.

J’aime ces teintes délavées par l’action de la mer.

Mais tout cela est le résultat du cercle pervers du plastique: les poissons mangent le plastique et ce sont ensuite les hommes qui mangent les poissons. »

En récupérant ces morceaux de plastique, Clément Laurentin renoue en quelque sorte au « matiérisme » qui consiste à intégrer des substances du quotidien aux créations.

Une habitude très semblable à celle de Roger Bissière, artiste non figuratif de la nouvelle Ecole de Paris qui lui aussi utilisait et recyclait des matériaux aussi divers que des tissus, des vêtements ou des outils de fer.

Finalement le talent de ce peintre réside avant tout dans sa capacité de se remettre en permanence en question. Curieux, imaginatif et toujours sur la brèche car à la recherche de nouvelles inspirations, Clément Laurentin étonne assurément.

D’abord en tant qu’artiste mais aussi en tant que simple citoyen de ce monde.

Christian Schmitt

www.espacetrevisse.com

N.B. Prochaine exposition de Clément Laurentin le 4 mai 2017

Galerie Art&Craft 1 rue Albert Einstein 75013 Paris

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Christian Schmitt

Critique d'art. Auteur de "l'univers de J.L. Trévisse, artiste peintre" (ed. Lelivredart 2008) et de trois autres ouvrages sur les vitraux réalisés par des artistes contemporains aux ed. des Paraiges: Jean Cocteau (2012), Jacques Villon (2014) et Roger Bissière (2016). A retrouver sur : http://www.espacetrevisse.com

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