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Ils étaient onze. Onze candidats à la présidentielle réunis pour la première fois sur un plateau de télévision pour un débat avant le premier tour. Si les thuriféraires de la joute médiatique ont salué un évènement démocratique, ce spectacle pose malgré tout un évident souci de représentativité. 

Un débat présidentiel entrecoupé de spots publicitaires, il fallait y penser. Macron, Le Pen, Asselineau, Cheminade et Mélenchon : ils étaient tous là, les mains posées sur leur pupitre, prêts à répondre en une minute à des questions d’une infinie complexité. Philippe Poutou, l’anticapitaliste de service, a servi son lot de punchlines et autres mimiques qui amusent le téléspectateur. Un trotskiste qui se donne ainsi à la société du spectacle, c’est un évènement que même Guy Debord n’aurait jamais imaginé. Ce dernier le notait d’ailleurs judicieusement : « Le spectacle réunit le séparé, mais il le réunit en tant que séparé » et de ce point de vue, ce « grand débat » a bel et bien réuni toutes les têtes de gondoles des oppositions de façade. Poutou a joué à merveille sa partition de l’ouvrier-candidat sans cravate qui harangue les puissants. 

« La gêne et le sourire étaient au rendez-vous. Le show a été assuré ».

Deux candidats affublés de la pensée de Trotsky était donc présents en plateau alors qu’ils ne pèsent quasiment plus rien, tant dans le débat intellectuel que dans le champ politique. Jacques Cheminade a eu le même temps de parole qu’un Benoît Hamon qui, quoiqu’on en dise, est le représentant d’une famille politique historique. François Asselineau a pu présenter son programme au même titre qu’Emmanuel Macron ou François Fillon. La gêne et le sourire étaient au rendez-vous. Le show a été assuré. Mais pour les discussions de fond, il faudra probablement attendre cinq années de plus. 

La Ve République a été pensée par de Gaulle pour remettre symboliquement un roi sur le trône, avec l’onction du suffrage universel, ce dernier devant incarner le pays jusque dans ses contradictions. Le costume est maintenant trop grand pour la majorité des politiques, depuis qu’ils n’ont presque plus de pouvoirs d’une part, et que la toute puissance des partis est de retour d’autre part. Ces grands oraux qui se rapprochent davantage du quizz que du débat ne font qu’accentuer ce lent déclin de la représentativité en politique. 

Démocratie partout, représentativité nulle part ?

François Fillon, mais cela ne concerne que l’auteur de ces lignes, a été le seul homme d’Etat présent sur le plateau hier soir. Dans le prolongement de son refus du spectacle (en témoigne sa jubilatoire pique à Charline Vanhoenacker lors de la primaire de droite), il a su conserver un certain stoïcisme surtout lors des questions sur l’exemplarité en politique. Il n’est pas allé au clash, au grand dam des programmateurs qui n’attendaient que cela pour diffuser l’extrait sur YouTube. Macron a été brouillon, maladroit, imprécis et cette nouvelle prestation peine à expliquer son niveau de popularité dans les sondages. Mélenchon et Dupont-Aignan ont également tiré leur épingle du jeu : ce n’est pas une nouvelle pour le candidat de la France insoumise qui effectue une brillante campagne, il s’agit en revanche d’une révélation pour le représentant de Debout la France qui a enfin su sortir des stéréotypes et de la recherche effrénée du buzz. 

« Certains confondent décomposition et recomposition, pourtant nous assistions bien à un éparpillement plutôt qu’à un rassemblement ».

Il y avait donc trois candidats d’extrême-gauche, deux sociaux-démocrates (Hamon et Macron), trois « petits candidats » qui ne représentent qu’eux-mêmes, un candidat de droite (qui n’incarne pas toutes les droites), un candidat « souverainiste » et la candidate du FN. Et pourtant, malgré cette mise en scène spectaculaire, le manque de représentativité demeure. Quid de l’écologie ? Quid des socialistes authentiques ? Quid du centre ? Il manquait assurément un Guaino et un Valls. Une Duflot ou un Bayrou. Les Droites, pourtant majoritaires dans ce pays (tant au niveau électoral qu’au niveau des fameuses thématiques) étaient aussi présentes sur ce plateau que le NPA et LO qui comptabiliseront 2 %. 

Les logiques des primaires ont faussé le jeu démocratique. Dès le début. En faisant émerger Hamon, elles ont permis l’éclosion de la bulle Macron et les ralliements consécutifs de tous les caciques du PS. En humiliant Juppé, cela a permis un basculement d’une partie de la droite « orléaniste » dans le grand vide macronien. Certains confondent décomposition et recomposition. Nous assistons plus à un éparpillement qu’à un rassemblement et ce morcellement a rendu le spectacle inaudible, parce que dans une sorte de miroir aux alouettes démocratique, on a estimé qu’il fallait que chaque individu se sente représenté. Echec total. La politique emprunte le même schéma de non-incarnation que les syndicats ou les médias, et le probable fort taux d’abstention au premier tour sera le révélateur de ce gouffre.

Il convient finalement de méditer cette phrase des Considérations sur la France de Joseph de Maistre : « Ce ne sont point les hommes qui mènent la révolution, c’est la révolution qui emploie les hommes ». 

Liens

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Julien Leclercq

Fondateur du Nouveau Cénacle et auteur de "Catholique débutant" paru aux éditions Tallandier.

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