Les superlatifs manquent après la victoire de l’inusable et indémodable Roger Federer à Miami…
A bientôt 36 ans (il les fêtera en août prochain), la terreur bâloise a donc remporté hier le troisième grand tournoi de l’année. Open d’Australie-Indian Wells-Miami. Ce « combo » phénoménal, apanage de Novak Djokovic ces dernières années, démontre si besoin était le retour du Suisse au tout premier plan.
Propulsé à la quatrième place mondiale, après avoir débuté l’année avec un dossard numéro 17 indigne de son standing et plus encore de son talent, « Rodgeur » est surtout l’incontestable leader de la Race, le classement de l’année. Une année qu’il a abordée tel un mort de faim, rasséréné par une coupure de six mois à la fois nécessaire – pour soigner un genou douloureux – et synonyme de cure de jouvence.
Ce (long) break aura permis au plus grand joueur de l’histoire de tout remettre à plat, de retrouver la motivation, au point de ne pas être rassasié après son succès à Melbourne en janvier dernier, et de retravailler ses fondamentaux, son revers en tête. Adieu le slice systématique, le simple coup d’attente : place à un revers lâché et léché, « wawrinkien », face auquel nul n’a encore trouvé la parade alors que se présente la saison sur terre battue, que Papy Fed le résistant a choisi de « squeezer » afin de préserver son corps d’inoxydable champion et de rester l’épouvantail des tournois qui comptent.
Pour la quatrième fois de suite, la troisième en 2017, Roger Federer a disposé en Floride de Rafael Nadal, son ancien cauchemar. Le Majorquin demeure certes largement en tête de leurs affrontements, mais il apparaît maintenant sans solution face à ce vétéran totalement ragaillardi et capable, alors même qu’il n’a plus rien à prouver depuis de longues années, de se remettre en question pour continuer à écrire l’histoire de son sport en lettres d’or.
Thésée et le Minotaure
Plus personne ou presque ne l’en croyait encore capable, mais « Rodgeur » continue de faire tomber les records, profitant aussi de l’inconstance d’un Andy Murray éprouvé par sa fin de saison 2016 supersonique et de la lassitude d’un Novak Djokovic qui semble repu de titres depuis le dernier Roland-Garros. Cette double défaillance, provisoire ou non, a ouvert une brèche dans laquelle le septuple vainqueur de Wimbledon s’est engouffré tête baissée.
« En Hercule du nouveau millénaire, « Rodgeur » a troqué son épée contre une raquette qui doit vaincre l’Hydre de Lerne moderne, ce monstrueux « Rafa ».
Rafael Nadal a également profité de l’aubaine, se hissant en finale à Melbourne et à Miami après une série de désillusions dans les grands tournois de nature à faire émerger la thèse du déclin. Pour autant, le Majorquin n’est plus souverain dans la diagonale de revers et ce n’est plus lui qui dicte l’échange contre son ex-punching ball. Ainsi en a décidé un Roger Federer très revanchard, beaucoup plus entreprenant et, de son propre aveu, bien plus « relax » qu’autrefois ; comme si la perspective du rapprochement de l’incontournable clap de fin – qu’il aspire toutefois à sans cesse repousser – l’avait pleinement décomplexé.
En Hercule du nouveau millénaire, « Rodgeur » a troqué son épée contre une raquette qui doit vaincre l’Hydre de Lerne moderne, ce monstrueux « Rafa » qui a si souvent donné le sentiment d’être toujours partout et de ne jamais complètement mourir. Ce « Clásico » de la balle jaune Federer-Nadal, c’est aussi, d’une certaine façon, le combat de Thésée contre le Minotaure, avec la nécessité pour le Suisse, ce héros fondateur, de retrouver son chemin et de dérouler son fil d’Ariane dans un authentique labyrinthe intérieur. Ce qu’il sera parvenu à faire sur la durée, après des années de frustration(s).
Aux longtemps insubmersibles chevauchées wagnériennes du très terrestre, machinal et indébordable Rafael Nadal répondent les désormais durablement victorieuses gymnopédies satiennes de l’aérien Roger Federer, à la fois pionnier, inventeur insatiable et ultime dépositaire du classicisme le plus noble.
D’aucuns croyaient cette époque révolue, ces duels mythiques bons pour le musée, mais les deux joueurs les plus capés de l’ère Open ont repoussé leurs limites et celles du temps. Au moment où on l’attendait le moins, le plus âgé d’entre eux dicte la manoeuvre et s’impose partout, en surclassant tous les joueurs du Top 10 et la jeunesse montante.
Il ne fait aucun doute que la prouesse fera date.