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Comme un bon mouton de Panurge, j’ai regardé ce débat où la parole était toute prête, « packagée », instillée goutte à goutte dans l’oreille. J’écoutais à défaut de réfléchir. Encore une fois, la forme avait supplanté le fond. Chronique d’une mort annoncée de la pensée politique.

Donc commençons par le débat. Ces podiums placés de manière horizontale n’ont pas manqué de souligner la verticalité des discours. Chacun développant sa partition mille fois apprise, mille fois répétée.

Des échanges trop fâchés, trop hachés. Les candidats étaient obligés d’intervenir pour sortir leur morceau de programme sans pour autant en exposer la structure.

Le principe même de ces échanges empêchait le public de voir les lignes de forces, c’est-à-dire le corps différenciateur des visions de la France. A force d’américaniser les manières de s’exprimer dans la politique, on est resté dans la posture, voire la punchline politique. Punchline, c’est d’ailleurs le titre d’une émission qui n’a de politique que le nom, avec une Laurence Ferrari en fin de parcours.

Lorsqu’on a rassemblé 130 000 personnes place de la République sur du vent et des drapeaux de l’Union Soviétique, pourquoi tenter de faire sens ?

Bref, la politique a quitté le navire France pour cette campagne 2017.

Les candidats étaient comme des perroquets vitrifiés répétant à l’envi leurs « mots-clé » : vivre-ensemble, revenu universel, immigration, islamisme, burkini. On aurait pu faire le tour du monde avec autant de mots-valise.

L’absence totale de fond a peut-être trouvé son apogée avec cet échange :

– « Développez votre pensée monsieur Mélenchon ».

–  « Pourquoi moi ? ».

On ne veut rien développer. C’est trop risqué. Lorsqu’on a rassemblé 130 000 personnes (selon les organisateurs) place de la République sur du vent et des drapeaux de l’Union Soviétique, pourquoi tenter de faire sens ? On a déjà gagné le combat des images. D’ailleurs, lorsque, voyant Hamon et Macron argumenter, Mélenchon sort sa répartie sur le «faut bien qu’il y ait un débat au PS», ce sont ses qualités de « tribuns » qui sont exaltées, et non une quelconque vision de la France. Même si la gouaille du bonhomme est communicative, c’est de la chamaillerie.

La tragique folie médiatique

Macron semblait bouillir.

Fillon était pétrifié par sa Pénélope et n’a donc pas pipé mot pendant un long moment, par peur sans doute de se voir rappelé ses largesses familiales. Cependant, constatant que finalement, ce n’était plus vraiment le moment de parler des « affaires », que le public semblait sans doute un peu anesthésié d’entendre les chaines d’info en boucle à ce sujet, il est parvenu à se libérer. 

Si, pour Hamon, elle est « droguée aux faits divers », ses adversaires étaient eux, drogués à IPSOS.

Marine Le Pen, dont on voit bien qu’elle n’était pas faite pour une joute à cinq, mais pour des duels ou des discours devant un parterre de convertis, n’a pas cessé de marteler ses thèmes favoris et obligés. Malgré tout, 3 heures c’est long, au bout d’un moment, je me suis surpris à ouvrir un livre, ces jappements s’atténuant peu à peu jusqu’à devenir des bruits de fond, inaudibles. J’ai pu avaler quelques pages pour me reposer de toutes ses empoignades. Le Pen n’est pas dotée d’une grande finesse d’analyse mais cela avait le mérite d’être brut, sans ambages.

Cependant, et c’est ici que la folie médiatique est tragique : les quatres « compétiteurs », un autre macronisme, avaient décidé de se la faire. Dont acte, car selon toute vraisemblance, elle sera au second tour, à en croire l’ensemble des médias et des instituts de sondages. Si, pour Hamon, elle est « droguée aux faits divers », ses adversaires étaient eux, drogués à IPSOS.

Se répandant en formules creuses, ils rendent notre langue plus grossière, plus pauvre, si bien qu’ils finissent par lasser ceux-là mêmes qui la parlent. Par une translation intellectuelle funeste, nos vies deviennent elles aussi plus grossières et plus pauvres, parce-que ce qui constitue l’individu perd toute consistance sans la richesse et la subtilité du discours. Car la langue n’est pas seulement l’expression de l’Homme, mais celui-ci est également l’expression de son langage. Ainsi, « parce que l’Homme est articulé comme lui-même articule, il se désarticule quand il cesse d’articuler ».

Rien d’étonnant, donc, à voir notre caste politique bégayer.

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Rémi Loriov

Rémi Loriov est un homme libre qui s'intéresse à tout. On dit souvent à son propos : "personne ne sait ce qu'il fait, mais il le fait très bien." Il aime les histoires.

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