Les éditions Gallimard publient les oeuvres romanesques de Blaise Cendrars (1887-1961) dans la prestigieuse collection de la Pléiade. Un hommage littéraire à la mesure du talent de l’écrivain. Deux tomes qui alternent entre la poésie et la tragédie, la fantaisie et la comédie.
Avant l’ère du tourisme de masse, le voyage était avant tout initiatique. Il consacrait un début dans la vie. Pour l’enfant de bonne famille, le périple devait lui conférer un supplément d’âme avant de faire carrière. Pour le fils du peuple, la pérégrination à travers le monde était une initiation à la rudesse et à la vie en solitaire.
Comme Jack London, Blaise Cendrars appartient à cette seconde catégorie. Un authentique bourlingueur. Un pèlerin des temps modernes. La vie de Frédéric Louis Sauser, né en Suisse, se conjugue aux quatre coins du monde : la Russie, puis le Brésil, New York et Paris où il se lie avec les autres artistes qui illuminent alors la capitale du monde : Apollinaire, Chagall, Archipenko.
« Il n’est pas tombé au front comme Charles Péguy, mais une partie de Cendrars est malgré tout morte et enterrée dans les tranchées ».
Au début de la Première Guerre mondiale, Cendrars invite les artistes étrangers qui vivent en France à s’engager dans la Légion étrangère. Il connaîtra la bataille de la Somme puis la grande offensive de Champagne en 1915, où il perdra son bras droit. Il composera désormais son oeuvre de sa main gauche, et cela donnera l’un de ses chefs d’oeuvre publié en 1946 : La Main coupée. Il n’est pas tombé au front comme Charles Péguy, mais une partie de Cendrars est malgré tout morte et enterrée dans les tranchées.
Cendrars et la poésie du monde
« Chez Cendrars, tout se suit. Le même souffle se déploie dans les vers comme dans la prose »
Ces deux volumes de la Pléiade permettent de saisir l’immensité de son oeuvre. Poésie, roman, reportage et même cinéma : Cendrars a tout exploré et presque tout réussi. Mais son cheminement entre les différents genres est successif. Dans son excellente préface, Claude Leroy note justement : « Au mutisme de Rimbaud qui hante tous les modernes, lui compris, Cendrars oppose sa propre alternative : un adieu au poème qui, revivifié par la blessure, l’a conduit vers la prose en une exploration permanente des signes ». Le grand mérite de cette édition est de ne pas séparer l’oeuvre poétique de l’oeuvre romanesque, comme il est coutume de le faire. Chez Cendrars, tout se suit. Le même souffle se déploie dans les vers comme dans la prose.
Les Pâques à New York et La Prose du Transsibérien et de la petite Jeanne de France font certainement partie des plus beaux textes poétiques du XXe siècle. Ses romans sont intimement liés à « La Prose du Transsibérien », et surtout à ces vers : « Je suis en route / J’ai toujours été en route / Je suis en route avec la petite Jehanne de France / Le train fait un saut périlleux et retombe sur toutes ses roues / Le train retombe sur ses roues / Le train retombe toujours sur toutes ses roues ». De la ruine de Sutter en Californie qu’il retrace dans L’Or jusqu’à Emmène-moi au bout du monde ! en passant par Moravagine – authentique prouesse narrative sur la folie furieuse d’un homme qui parcourt le monde – les mots de Cendrars sont en route.
La richesse des notices et la qualité des annotations permettent au lecteur de non seulement tisser des liens entre les différents textes de Cendrars mais aussi de le replonger dans un siècle marqué non seulement par la guerre, mais aussi par le surréalisme, les cabarets, les peintres de Montmartre et les poètes du Quartier latin. L’oeuvre de Cendrars est une ode à l’infini. Chaque coin du globe semble à sa portée, mais c’est en France qu’il a voulu vivre sa vie de poète et c’est pour la France qu’il a failli mourir. Il était l’Ulysse du XXe siècle.