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Deux hauts dirigeants khmers rouges viennent d’être condamnés à la réclusion criminelle à perpétuité au terme d’un procès de plus de trois ans. Un verdict historique qui vient – enfin – sanctionner le plus fermement possible un régime qui a marqué l’histoire de l’humanité d’une pierre noire.

1975. Les Khmers rouges accèdent au pouvoir au Cambodge. Ils entendent faire table rase de tout. Paranoïaques, ils jugent la société du pays gangrénée par l’impérialisme, qui dans leur esprit pour le moins étriqué ne fait qu’un avec le capitalisme.

Leur but ? Mettre en place une société rurale, déculturée, sans classe, sans monnaie, sans éducation et sans médecine. Une utopie délirante qui passe par une effroyable épuration, laquelle pourrait avoir fait près de deux millions de morts sur les sept que comptait le pays avant qu’ils ne viennent répandre des hectolitres de sang.

Le Cambodge devient le « Kampuchéa démocratique ». C’est l’époque où une partie du monde occidental, terrible de candeur, loue les desseins effroyables de Pol Pot et consorts. « Pnom Penh libérée ! », éxulte ainsi Libération. « On entend encore des coups de feu dans le centre de la ville, mais l’enthousiasme populaire est évident. Des groupes se forment autour des maquisards souvent porteurs d’armes américaines, jeunes, heureux, surpris par leur succès facile », écrit pour sa part, guère plus inspiré, le journaliste du Monde Patrice de Beer.

Car la capitale sera très vite évacuée, vidée de toutes ses forces vives.

Les Khmers rouges ou l’égalité jusqu’à la mort

Très vite, des centaines de milliers de citadins sont déportés à la campagne, les commerçants sont tués et quantité d’infrastructures changent de vocation, quand elles ne sont pas détruites. Parmi elles, la Bibliothèque Nationale est transformée en centre d’élevage de porcs et l’école Tuol Svay Prey se mue en Treblinka asiatique.

Nom de code S-21, l’une des 190 prisons qu’installera le régime jusqu’à sa chute. A sa tête, Kang Kek leu, dit « Douch », condamné lui aussi à perpétuité en février 2012. A la place des chambres à gaz, des salles de classe transformées en salles de torture. 14 000 personnes y ont été détenues entre 1975 et 1979. Une poignée survivra.

Lors du procès de « Douch », les procureurs expliquent : « La politique était que personne ne pouvait sortir vivant de S-21. Sous les ordres directs de l’accusé et parfois de ses propres mains, des personnes détenues à S-21 ont été soumises de manière intentionnelle à des souffrances physiques et mentales intenses dans le but de leur soutirer des aveux et parfois d’infliger une punition. Les victimes étaient battues avec des cannes en rotin et des fouets, électrocutées ou étouffées avec des sacs en plastique attachés autour de leur tête, déshabillées et leurs parties génitales soumises à des décharges électriques. »

Le bourreau en chef préférait cependant recourir aux coups de cannes. Plus rapide.

Quiconque porte une paire de lunettes est perçu comme un intellectuel, donc un individu à exterminer, parce que la société voulue par les Khmers rouges se veut entièrement manuelle. Les bouddhistes et les musulmans sont également persécutés, car il n’est dans les faits pas non plus question de religion dans le monde des Khmers rouges. Quant aux malades qui ne peuvent s’extraire de leur lit, ils sont abattus.

Le communisme sans préalable

Porteurs d’un mouvement politique et militaire communiste radical d’inspiration maoïste, les Khmers rouges ont aussi été influencés par les textes de Karl Marx et de Lénine. Réfractaires au culte de la personnalité, nombre de ses cadres ont été formés en France, au début des années 1950, alors que Jean-Paul Sartre voyait encore en Staline ce Petit père des peuples qu’il ne fut jamais.

Ils avaient la négation de la notion même de culture, la haine de l’argent et celle du voisin vietnamien chevillées au corps. Ils voulaient passer directement au communisme intégral, sans la phase de transition par le socialisme préconisée par Marx et Lénine. Face à la résistance d’une proportion importante de la population à se conformer à leur vision, ces individus ravagés n’ont jamais transigé. Jusqu’à la chute du régime en 1979, ils ont tué, tué et tué, sans faire le moindre détail.  

Premier ministre, Pol Pot, ce « Mao cambodgien » qui a, à l’instar du Grand timonier, a orchestré l’infamie et laissé s’installer la famine, est mort en 1998 quelques mois seulement après avoir été condamné à perpétuité. D’autres l’ont suivi dans la tombe, mais Khieu Samphan, chef de l’Etat aux fonctions essentiellement honorifiques, et Nuon Chea, le « frère numéro deux », ont écopé avant-hier de la plus lourde peine possible dans le droit cambodgien.

Un moindre mal pour ce duo de terreurs resté impassible à l’annonce du verdict. Il avait eu le temps de s’y préparer.

Guillaume DUHAMEL

Guillaume Duhamel

Guillaume Duhamel

Journaliste financier originellement spécialisé dans le sport et l'écologie. Féru de politique, de géopolitique, de balle jaune et de ballon rond. Info plutôt qu'intox et intérêt marqué pour l'investigation, bien qu'elle soit en voie de disparition.

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