En cette période estivale, la télé prend des vacances. L’occasion de nous souvenir, nous recueillir sur la tombe du soldat inconnu du PAF. Chi cha ! Rappelons-nous avec bonheur de ces jingles cultes, de ces émissions qu’on ne voyait Nulle Part Ailleurs, de ces coups d’éclats télévisuels, de ce joyeux bordel. Nés au milieu des années 1980, nous avons été les témoins d’un âge d’or de la télévision française. Où le crypté prenait le pas, l’espace d’une décennie, sur le clair, pour mon bonheur, et celui de millions d’abonnés. Aujourd’hui, tout cela n’est que vestige, songe à demi effacé par une marée de conformisme et de fainéantise.
On n’allait tout de même pas attendre que la télévision nous rende heureux. Enfin, ce n’était qu’une lucarne, il ne fallait pas trop lui en demander. Et bien si, cela était rendu possible par Canal, ce je ne sais quoi, ce French flair, ce rugby champagne, à la fois généreux et instinctif.
Canal + et les débuts : 52 semaines de bonheur
Qui se souvient du flegme de l’homme, qui donna ses lettres de noblesse à un Bugs Bunny tout aussi flegmatique ?
La semaine commençait toujours bien, en clair, avec Nulle Part Ailleurs, qui n’a jamais aussi bien porté son nom, car, dans les années 1990, aucune émission d’ « acces prime time » ne pouvait rivaliser avec le rire toujours sincère d’un Gildas, le phrasé d’un (jeune) De Caunes, ou la folie douce d’un Garcia.
Et s’il n’y avait que cela, car il nous faut aussi évoquer les invités. Ceux-ci, malgré la barrière de la langue, ne pouvaient pas résister au duo, tour à tour sous les traits d’une Lady Di et d’un Prince Charles, devant un Ice T médusé, ou d’une Bérénice Salle (alter ego d’une certaine Béatrice Dalle). Mais rien de tout cela ne serait rendu possible sans le dialoguiste de génie Laurent Chalumeau. En coulisse, il était celui qui rendait ses personnages si savoureux.
Cette séance du dimanche matin, à 10h30, avec notre pain au chocolat et notre Nesquick, qui nous emmenait jusqu’au clair, point de lune, juste ce milieu de journée, où un journal concis, sans ostentation, nous disait l’essentiel. Je me souviens encore, après un Hook ou un Jumanji bien rythmé, passant ma journée devant Canal+, un zapping, les Guignols, attendant avec impatience le film de 18h00, m’emmenant vers un Philippe Dana serein, au sommet de son art. Qui se souvient du flegme de l’homme, qui donna ses lettres de noblesse à un Bugs Bunny tout aussi flegmatique ? Mais déjà, il était l’heure de dîner et nous allions tous à reculons vers ce blanc de poulet hebdomadaire. Le sarcasme n’était jamais bien loin, mais la classe grandiose du bonhomme, elle, illuminait nos fins de week-end.
Tout cela paraît bien loin. Cette bonne vieille époque où le seul fait de voir apparaître « Canal+ » sur le côté gauche du poste de télé était suffisant pour s’asseoir toute la journée sur notre fauteuil, avec la garantie de passer une bonne journée, peu importe ce qu’on voyait à l’écran.
L’âge d’or s’est terminé avec l’arrivée d’un Guillaume Durand, distant, pour ne pas dire dédaigneux, tranchant avec la générosité sincère du patriarche grisonnant Gildas.
Canal + face à la loi du plus fort
Aujourd’hui, tout est contrôlé, mesuré, jusqu’à la durée des « applaudissements », qui doivent obligatoirement clôturer chaque segment d’un Journal, qui n’a plus rien de Grand. Canal+ ne se démarque plus de ces concurrents « gratuits », et il n’est pas rare de croiser chez « Arthur », l’homme sandwich du PAF, champion du monde de la promo TV, d’anciennes ou actuelles gloires de la chaîne, se complaisant dans un entre soi vulgaire. On pense aussi avec tendresse à ce bon vieux Laurent Weil, qui avait quitté M6 pour rejoindre cette arche de Noé du cinéma qu’était à l’époque Canal+, pour se retrouver dix ans plus tard devant des acteurs de légende et des questions aussi vides que le décolleté de Daphné Burki. La formule est certes facile, mais quand on voit ce qu’est devenue la chaîne, il est difficile de ne pas tomber dans la facilité.
Dans le désert qu’est la télévision française, nous marchons, tel des bédouins, tentant de trouver des oasis, ceux-ci se font cependant de plus en plus rares. Nous avons soif.
Est-ce que nous avons mal vieilli, la moitié d’une cinquantaine bien sentie ? Est-ce que Canal+ a réellement changé, à commencer par ce qu’on pourrait appeler le théorème d’Emmanuel Chain, et son Merci pour l’info. Une bête curieuse, trop faible pour vivre en pleine nature télévisuelle où la loi du plus fort domine. Le Darwinisme audiovisuel n’a pas permis à son émission de survivre bien longtemps. On était descendu au sous-sol du mauvais goût avec le sire Maurad, venu de la radio, qui avait réussi la prouesse de faire consensus contre lui.
On avait tenté de sauver les meubles avec Beigbedder puis Denisot. On avait fini par ressortir les vieilleries, on pensait au fameux adage « c’est dans les vieux pots qu’on fait les meilleures confitures ».
On a eu un regain d’intérêt avec le duo de la fulgurance humoristique, un humour de pote. L’un se nommait Fred, délicat, fin, l’autre Omar, rieur et très bon public, tous deux sortis de la cuisse d’un jeune troubadour maghrébin au bras long. Ça n’a duré qu’un temps, ces joyeux drilles ont vu grand, surtout pour l’écran, et les attentes ont parfois été déçues. Omar surnage, certes, mais sans son rire légendaire, on a parfois du mal à voir où il veut en venir. L’allié objectif d’une intelligentsia sympa, ouverte, mais uniquement avec les siens.
Yann Barthès, le Colbert du pauvre
Pourquoi aimait-on Canal ? Car les gens qu’on y voyait étaient des pionniers, ça tâtonnait joyeusement.
Pourquoi aimait-on Canal ? Car les gens qu’on y voyait étaient des pionniers, ça tâtonnait joyeusement. Dignes héritiers du Saturday Night Live, des John Belushi et autres Eddie Murphy, qui ont fait leurs gammes dans cette magnifique émission. Le programme entamera d’ailleurs sa 40ème saison l’année prochaine, avec plus de 700 numéros. Depuis le sieur J2M, tout est devenu une affaire de gros sous, et le vieux marabout Lescure n’est pas tout blanc non plus.
Aux nouvelles générations, ne jurant que par le Barthèsianisme primaire, qui semble tout submerger, essayez dans un éclair de lucidité de regarder quelques années en arrière, vers cet îlot d’impertinence qu’était Canal+. Depuis 2007, Yann Ier a pris le pouvoir, un dictateur éclairé de la galéjade molle, un gentilhomme à l’innocence cynique.
Souvent lourdingue, le rire semble forcé. Une pâle copie du Colbert Report, ou du Daily show (au choix) sans ingéniosité. Il est agréable à écouter, plutôt joli garçon, mais que c’est insipide. Car si Yann Barthès dit quelque chose, il faut avoir à l’esprit que Colbert ou Stewart l’ont déjà dit, mais mieux. Il ne serait même pas pertinent de comparer les deux émissions, tant cette dernière lui est infiniment supérieure.
Il est ainsi toujours intéressant de voir que ceux critiquant la télévision outre-atlantique sont les premiers à encenser le jeune « trublion » (expression agrée par le syndicat des journalistes).
Mais quand Stephen Colbert surgit de nulle part cet été, au Comic-Con, pour présenter le troisième opus de Bilbo le Hobbit, déguisé en habitant d’Arda, et nous fait partager son amour de l’Univers de Tolkien, il est ovationné. Les « Stephen, Stephen » retentissent dans la salle. Dans un discours intense, il proclame sa passion pour la saga, se plaignant de la durée trop courte des films. On a peine à croire que le sieur Barthès déclencherait la même hystérie collective, ce bonheur de voir qu’il y a un homme entier derrière le bouffon télévisé. C’est cet élément, l’humanité, cette volonté farouche de partage, qui manque cruellement aujourd’hui à la chaîne.
« Colbert » est d’origine, vous vous en doutiez, française. La France, c’est d’abord la liberté. Les Francs sont des hommes libres. Or nous voici prisonnier d’un humour mou et facile. Canal+ avait, jusqu’à présent, réussi à se démarquer. Ça n’est malheureusement plus le cas. Tout cela est derrière nous, et devant ce cube, devenu aussi plat que les émissions qu’il diffuse, nous n’avons plus que nos yeux pour pleurer, à défaut de le regarder.
Canal, je t’aimais. Aujourd’hui, tu m’as quitté, et depuis, je ne regarde plus la télé.
Ce IIIème millénaire dans le poste, comme dirait Fabrice, » c’est la déglingue « . Nous voulons nous égayer. On nous l’interdit.
Misère.