Partagez sur "« Les champs de braises, l’honneur d’un commandant, l’Honneur d’un Homme » – Mémoires d’Hélie Denoix de Saint-Marc"
La puissance des mémoires nait sans doute de leur propension à influer le cours d’une vie d’homme. Les champs de braises, mémoires de Hélie Denoix de Saint-Marc, sont de ce point de vue fort capiteux.
Toute sa vie, Hélie Denoix de Saint-Marc l’a passée en quête de sens, en se fondant sur des valeurs simples, celles de la Légion, Honneur et Fidélité, mais aussi sur l’engagement et le service… Il nous raconte cet épisode fondateur qui remonte à son enfance, âgé de 4 ou 5 ans, où dans le lit de ses parents il commence à s’interroger, à être assailli par les grandes questions existentielles : la vie, la mort, la souffrance… sans pouvoir y répondre. Quand sa mère monte enfin le voir, il pleure ; il n’a pas su lui expliquer pourquoi. Probablement tout le parcours de Hélie Denoix de Saint-Marc se comprend par la nécessité absolue de répondre à ces questions qui le taraudent depuis l’enfance. La marche de l’horrible Vingtième Siècle (il est né en 1922) va lui offrir les terrains de sa quête.
Privé d’adolescence par la défaite de 1940, Hélie Denoix de Saint-Marc entre en résistance dans le réseau Jude-Amicol. En tentant de rejoindre les forces combattantes libres, il est trahi et arrêté avec plusieurs camarades, interrogé et déporté à Buchenwald puis dans le camp annexe de Langenstein (une mine mouroir avec espérance de vie de six semaines). À sa libération par les Américains en avril 1945, il met une semaine avant de retrouver son nom. L’expérience inimaginable de la vie – ou de la survie – en camp de concentration est déterminante. Y naissent des amitiés indéfectibles, un sens de l »honneur, du courage, de l’entraide ; mais aussi l’amer constat de la veulerie humaine, de la lâcheté commune, de l’inhumaine humanité des bourreaux et de leurs larbins.
Denoix de Saint-Marc à travers le monde
Au sortir des camps, après s’être refait une santé mais sentant bien un décalage avec le monde, Denoix de Saint-Marc entre à Saint-Cyr et choisit la Légion étrangère. Trois séjours en Indochine le marquent à jamais. Fasciné par la beauté de la Haute-Région et ses habitants, il découvre aussi la réalité du communisme version Oncle Hô. Il écrit avoir vécu les mois les plus intenses de sa vie en poste à Talung, mais cauchemarde encore à plus de 70 ans d’avoir dû abandonner au Vietminh les populations civiles qui les avaient accueillis et leur avaient fait confiance, et qu’ils avaient protégées. Pas de place. Pas question d’être retardé par des civils. Les rares survivants qui ont réussi l’exploit de traverser la jungle ont témoigné de l’horreur.
Parce qu’il avait déjà vécu cette trahison française en Indochine, Hélie Denoix de Saint-Marc n’a pas voulu être complice d’une nouvelle trahison. Il a choisi le respect de la parole de la France donnée et la fidélité aux populations fidèles plutôt qu’à une classe politique convaincue que les promesses n’engagent que ceux qui les croient (formule empruntée à M. Pasqua).
De son séjour en Algérie, Denoix de Saint-Marc a conservé le bonheur familial, y ayant rencontré son épouse. Directeur de cabinet de Massu et officier de presse pendant la Bataille d’Alger, il n’a pas pratiqué la « contrainte », la torture. Saint-Marc croyait, ou voulait croire, en une Algérie à 9 millions d’habitants différents mais vivant ensemble, Arabes, Berbères et Pieds-Noirs. La défaite du FLN (Front de Libération Nationale) lors de la bataille d’Alger s’est accompagnée de diverses initiatives locales en faveur de ce qu’on appellerait aujourd’hui le « vivre-ensemble », toutes enrayées par l’inconséquence politique des ténors de la IVème république. Quant au cas de Gaulle (pour lequel je n’ai jamais caché une certaine admiration), s’il a pu susciter une lueur d’espoir lors de son premier discours au balcon du Gouvernement Général, les indiscrétions que Saint-Marc a pu obtenir de ses anciens collègues du renseignement militaire montrent que si en façade Debré tient un discours Algérie française virulent, en coulisses le Général ne négocie qu’avec le seul GPRA (Gouvernement Provisoire de la République Algérienne) sis à Tunis, i.e. avec le FLN. Connaissant les méthodes de ce dernier (terrorisme contre les populations civiles, massacre des Indigènes rétifs, indépendantistes ou non, émasculations…) et constatant la victoire militaire française sur le terrain, Saint-Marc choisit de suivre le général Challe et engage le 1er Régiment Étranger Parachutiste dans le Putsch. Ses motivations étaient selon Saint-Marc (quant à sa parole, son passé témoigne en sa faveur) claires : maintenir cette Algérie pluri-culturelle, sans doute avec une autonomie réelle, ne pas la laisser entre les mains d’un FLN qui n’hésitait pas à s’en prendre aux civils. Ce ne fut pas le choix politique de de Gaulle, avec les conséquences que l’on sait : massacre des Harkis, répression de la langue et de la culture berbères, arabisation forcée, islamisation, sans parler du sort des Pieds-Noirs qui eurent l’imprudence de croire en la sincérité des Accords d’Évian…
Parce qu’il avait déjà vécu cette trahison française en Indochine, Hélie Denoix de Saint-Marc n’a pas voulu être complice d’une nouvelle trahison. Il a choisi le respect de la parole de la France donnée et la fidélité aux populations fidèles plutôt qu’à une classe politique convaincue que les promesses n’engagent que ceux qui les croient (formule empruntée à M. Pasqua). S’ensuit une mascarade de procès, désinformation à outrance, reductio ad Hitlerum, insultes. Denoix n’a jamais appartenu à l’OAS (Organisation Armée Secrète), tout juste les a-t-il « suivi de (sa) cellule ». Mais il précise tout de suite et sans ambages que « les attentats aveugles ou les assassinats gratuits (lui) faisaient horreur ». Libéré à la Noël 1965, il retrouve la vie civile puis est rétabli dans ses honneurs, par Giscard, Mitterrand, jusqu’à être fait Grand Croix de la Légion d’Honneur par Sarkozy.
L’injuste procès anachronique
C’est ici qu’en France le politiquement correct empêche toute discussion. Il y a fort à parier que mon compte-rendu des mémoires d’Hélie Denoix de Saint-Marc me vale d’être taxé de colonialiste, de raciste ou de je-ne-sais-quoi-encore… Peu me chaut ! Je n’étais pas né, je n’ai pas eu ce choix à faire et je me garderais bien de juger ceux qui ont eu à l’assumer, ce serait trop facile et il y a Mediapart, Libé, L’Obs ou Le Monde pour ça. L’Histoire est faite de faits et d’Hommes. Aujourd’hui nous avons la propagande : culpabilisation à outrance, purement idéologique et absolument pas scientifique, de la colonisation qui étouffe la réalité, occulte les faits qui dérangent le propos. Encore une fois, je n’ai pas à entrer dans le débat pour ou contre la colonisation ou l’Algérie française, cela n’aurait pas de sens. Il ne s’agit pas non plus de faire le procès de de Gaulle, du FLN ou de l’OAS. Il s’agit d’essayer de comprendre comment un homme, Hélie Denoix de Saint-Marc, Résistant, déporté, vétéran d’Indochine, commandant au sein de la prestigieuse Légion Étrangère, a été amené à considérer que l’Honneur était de rester fidèle aux promesses de l’État français plutôt qu’à ce qu’il faut bien appeler la trahison d’un gouvernement, aussi justifiable fut-elle…
Ménard est certainement critiquable, tout comme sa décision de débaptiser la rue du 19-Mars-1962. Cela n’autorise pourtant pas à nier aux Pieds-Noirs et aux Harkis le droit à la Mémoire et au respect.
Saint-Marc avait à quelques années près mon âge quand il dut faire ce choix existentiel déterminant : accepter de tout perdre (y compris la vie : il risquait ses douze balles au petit jour dans les fossés de Vincennes) pour respecter la parole donnée. À cette heure de ma vie où je suis à la fin d’un cycle professionnel et à l’aube de nouvelles aventures, l’intégrité de cet Homme m’impressionne et m’inspire beaucoup. Je relirai à n’en pas douter ses mémoires régulièrement. Il écrit ne pas vouloir être un père de substitution ou un modèle. Il a assumé ses choix au péril de sa vie et de sa liberté (ce qui devrait inspirer le respect à tout honnête homme) sans jamais se renier, sans haine ni mépris, sans jamais rejeter la faute sur un adversaire auquel il a toujours témoigné le respect qui lui est dû. À ce titre, Hélie Denoix de Saint-Marc est une référence, rare qui plus est.
Pour conclure cette chronique, je voudrais dire que j’ai été choqué des réactions au baptême d’une rue Denoix de Saint-Marc à Béziers. Ménard est certainement critiquable, tout comme sa décision de débaptiser la rue du 19-Mars-1962. Cela n’autorise pourtant pas à nier aux Pieds-Noirs et aux Harkis le droit à la Mémoire et au respect. Cela n’autorise ni un matador inculte et opportuniste se prenant pour Mazarin ni un géant de foire agricole pensant que les agriculteurs attendent des subventions de la PAC (quand ils souhaitent simplement être respectés, voir leur travail reconnu pour sa qualité et en vivre décemment) à insulter la mémoire d’un Homme d’Honneur qui a su rester un Homme d’Honneur envers et contre tout, y compris contre son propre pays qu’il a tant aimé tant et auquel il tou. Paraphrasant Bossuet, je dirais que Dieu se rit de ceux qui avec Sartre justifient d’une main le terrorisme au nom de la légitime lutte du plus faible face au plus fort et de l’autre main condamnent les autorités légales qui luttent par tous les moyens contre ce terrorisme. À l’heure des comptes, la question de leur responsabilité dans la montée des terrorismes actuels ne pourra pas être éludée.
Hélie Denoix de Saint-Marc est décédé en août 2013. Il a passé les dernières années de sa vie à témoigner de son expérience là où on l’invitait à le faire. Des personnalités de tout bord politique lui ont rendu hommage.
Hélie Denoix de Saint-Marc, avec la collaboration de Laurent Beccaria, Mémoires. Les champs de braises, Perrin, 1995, 343 pages.