Sur le Mac-web aussi, venez comme vous êtes. Mais qui êtes-vous ?
Homme-burger classique bien ordonné, homme best-of baroque ou romantique se vautrant dans la malbouffe en quête d’être, la conception de l’humain sur le web est une perpétuelle remise en question. Analyse conso-littéraire de l’être virtualisé et mondialisé sur les réseaux sociaux et questionnement sur la difficile condition d’un homme-burger… plus littéraire qu’il n’y paraît.
L’homme-burger frite ou la construction classique
Étonnant d’associer classicisme du XVIIe siècle à notre époque contemporaine. Qu’avons nous encore en commun avec Boileau et La Fontaine à part le liquide de nos porte-monnaies ? Réponse : « nous, c’est le goût ». Le bon goût bien sûr, celui qui nous contraint à respecter des règles de bienséance sur les réseaux sociaux dans la manière de s’y exprimer, aussi clairement définies que le montage d’un hamburger dans le bon sens (d’abord le pain, la salade, le steak…) ou que le cérémonial de l’enfilage de la chaussette de Zidane.
Que recherchons-nous ? La maîtrise totale de l’être humain dans tous ses tenants et ses aboutissants, et une forme de classification marketing qui permette un « ciblage ». Le monde d’Internet est un monde de la raison et de l’ordre, version HTML, CSM, PHP… encodé par des conventions sociales propres à chaque réseau, définies et chiffrées par de nombreux sites d’e-marketing ou d’e-communication. Pour un ordinateur ou pour les marketeurs, l’être humain n’est donc toujours qu’une base de données taillé dans de belles limites marketing, bien calibré et lissé par ses conditions socio-économiques.
Seront privilégiés les jeux de séduction, de complicité, et ce que Dominique Bertrand nomme « la complicité euphorique et la gratification narcissique ».
L’homme est alors un big-mec bandant et la femme est un mac wrapette, qui doit être bien light et aisément entubée. Sans tomber dans une théorie des genres qui stigmatiserait faussement les sexes autant masculins que féminins, l’on constatera assez fréquemment qu’une femme gagnera en popularité en s’intéressant à la cuisine, au maquillage, ou en se déshabillant, et qu’un homme tablera davantage sur le sport ou la politique s’il veut se construire un réseau rapidement. Le Ken bodybuildé, avec une louche de badboy’attitude forme le couple parfait avec une Barbie bobonne ménagère à taille de guêpe malgré la haute teneur en huile de palme aussi hydrogénée que sa chevelure peroxydée, experte en gâteries cul-inaires. Bien peu de place pour le conceptuel et la réflexion du côté des femmes, la femme intellectuelle n’étant certes plus le monstre du XVIIIe siècle (Mme du Châtelet et les féministes sont passées par là.) mais si gracile qu’elle ne se confronte que modérément à la tourbe de la cour des miracles numérique.
Encore faut-il distinguer aussi les réseaux sociaux entre eux. Car il est une nuance entre Twitter et Facebook, proche de celle que constate Nicolas Faret dans son ouvrage L’Honnête Homme ou l’art de plaire à la cour entre l’espace du salon et celui de la cour. Ces deux lieux sociaux y sont exposés comme deux médiums complémentaires et antagonistes : à la cour correspond une forme de hiérarchisation et de courtisanerie pour entrer dans une économie politique des faveurs, semblable à celle de Facebook (je te like, like ma page ou paye-moi pour liker avec les messages sponsorisés). Au salon, comme sur Twitter, le pouvoir et les intérêts s’effacent (faussement, la conquête du bel esprit y est certes privilégié, mais le sponsoring se développe aussi, et le #followback va à l’encontre d’une reconnaissance qualitative). Seront privilégiés les jeux de séduction, de complicité, et ce que Dominique Bertrand nomme « la complicité euphorique et la gratification narcissique ». Qui a déjà ressenti le vif plaisir de voir son tweet « RT », ou « FAV » par un parfait inconnu, sans aucune inclination pour votre condition sociale ou toute autre considération extérieure, comprendra aisément ce dont il est question. Chaque réseau a son cadre, ses coutumes (hashtags…) même si les différences tendent à se lisser : l’espace « vidéo » de Facebook copie celui de Youtube, les PP de Twitter copient celles de Facebook… et tout tourne bien rond dans ce monde des socialmédias.
Car l’essentiel, pour l’Homme classique virtualisé, n’est-ce pas d’être parfait, et de ne plus admettre que l’erreur… las, est humaine ?
En cas de non respect des règles, des bons us, de l’ordre et de la raison ? Nous serons ou radiés par les logarithmes facebookiens ou le contrôle d’Instagram (gare à vos règles, Mesdames, elles ne sont hélas pas… en règle), maîtres automatisés académiques ès licence des temps modernes. Autre supplice ? Se faire lapider sur la place publique pour n’avoir pas su écrire un tweet sans l’impardonnable faute de grammaire ou d’orthographe (n’est-ce pas, Bescherelle ta maman ?). Nous serons conspués pour notre absence de prise de recul ou de vérification des sources : l’AFP qui « a tuer » Martin Bouygues prématurément pourra témoigner, avec un rire aussi jaune que les caries des alcocaliques.
Car l’essentiel, pour l’Homme classique virtualisé, n’est-ce pas d’être parfait, et de ne plus admettre que l’erreur… las, est humaine ? Le risque : cette perfection tire l’humain vers l’automate, et anéantit la spontanéité initialement recherchée. Tels les jobs étudiants des enseignes de fastfood, nous avons l’obligation d’être parfaits, et d’automatiser nos taches sans plus rien penser hors du système. Et c’est en partie ce que nous faisons : nous respectons les règles des réseaux sociaux en publiant des photos de nos bonheurs quotidiens en omettant sciemmant sur tout ce qui fait l’ennui et la morosité des difficultés à affronter chaque jour : nous sommes fort décents et « préférerons toujours l’impossible vraisemblable au possible invraisemblable » (Boileau). Il est fort vraisemblable que nous ayons tous réussi dans la vie et que chaque jour, nous naviguions de succès en succès. Il est fort vraisemblable que dans sa Mac-méritocratie, un étudiant à l’esprit parfaitement « hamburgerifié » montera les échelons jusqu’à, qui sait, devenir le big-patron, parce que nous sommes tous des self-made-ketchup men.
Sans doute trouvons-nous notre compte dans cette organisation autoritaire de l’espace numérique aussi cadrée qu’un menu best-of auquel on n’a plus droit d’ajouter une seconde sauce barbecue sans payer un supplément. Mais la constante course à l’information dans laquelle nous vivons nous mène aussi vers une forme de baroque.
Le baroque du monde-spectacle où tout fuit entre nos mains
Ou fuyez-vous aussi fast que la vitesse d’engloutissement d’un menu best-of sur le pouce des pauses repas de journées trépidantes ? Il semblerait bien que l’Homme du web ne puisse être qu’un roseau pliant sous le joug des quatre vents de l’informations, boulimique d’actus jusqu’au vomissement, dans une continuelle course contre le temps.
L’information elle-même est baroque dans la mesure où, tout comme au XVIIe, elle est liée à l’oxymore, à l’hyperbole et au paradoxe : on sera attiré par un titre aguicheur de la presse à scandale bien plus que par le titre à visée informative du Monde… Nos flux d’informations, sur Twitter et Facebook, sont une forme nouvelle de la fatrasie où s’enchaîne sans association de sens initiale des mots et des actus sans liaison possible. Entre informer et montrer, voire se délecter de la violence, de la mort et du malheur, la distinction devient ténue, comme en témoignent les polémiques qui se succèdent concernant une chaîne d’information telle que BFM TV.
Le réel et le virtuel sont remis en question : Stromae en tira d’ailleurs parti avec brio pour le clip Formidable, où il joue l’homme soûl dans les rues de Bruxelles.
En effet, peut-on, et doit-on tout montrer, y compris les cadavres des frères Kouachi morts (Paris Match), les débris de l’A320, l’interrogation d’otages au musée du Bardo de Tunis… Où est la limite avec le morbide, le sensationnalisme non-éthiquement correcte ? Difficile de la saisir encore, tant l’appât de l’information, sans jamais être rassasiée, possède l’audience…
Tels les glaçons emportés dans le flux impétueux d’un coca cola sans plus aucune bulle de protection, nous nous heurtons à une masse d’informations. Noyés, le baroque de ce monde-comédie humaine nous entraîne entre illusion et réalité, entre crudité et raffinement. Le réel et le virtuel sont remis en question : Stromae en tira d’ailleurs parti avec brio pour le clip Formidable, où il joue l’homme soûl dans les rues de Bruxelles. Dans ce gigantesque ring du monde, la violence des mots et celle des images fortes nous frappe. Punchingball de l’information, ou de la désinformation, chacun se met alors, en miroir, à vouloir frapper, troller, prendre parti entrer dans la lutte, et la guerre se virtualise…
Les cibles ? Tous les vices et les passions extrêmes. Les Hommes du web pratiquent avec délectation le Hollande Bashing comme, en des temps plus anciens, l’on s’adonnait aux Mazarinades. La vivacité des buzz édifie en l’espace de quelques heures des martyrs, comme d’antan on admirait, non sans voyeurisme, les martyrs chrétiens ou les victimes de massacres tels que celui de la Saint-Barthélémy. L’esthétique de l’outrance a d’ailleurs ses stars, et l’on relèvera dans l’ère du rap contemporain, des personnages provocants tels que Booba ou Kaaris, qui tirent à boulet rouge sur tout ce qui bouge avec une profonde noirceur et sans plus aucun espoir d’échappatoire… Sexe, politique, actualité : tout passe dans cette musique cathartique qui se veut réaliste et construit l’image d’une société déshumanisée individualiste. Unique visée de l’existence humaine : consommer le plus possible, accumuler jouissances et frasques sexuelles extrêmes, et l’exposer sur la place publique.
Romantisme du vide : Génération #jesuis
Pire encore, finalement, qu’êtes-vous, sinon cette vanité culinaire ultra-calorique mais insipide, qui ne sait plus ce qu’elle est à part ce que l’on nomme communément « malbouffe » ? Egocentrés, narcissiques, oui, nous le sommes, mais avec plus de subtilité qu’il n’y paraît. Les réseaux sociaux sont les gueules d’enfer dans lequel aime à se plonger notre égo pour éprouver les jouissances du miroir. Mais que nous renvoie le miroir ? Un écho trouble de nous-même, un reflet vide.
Et si, comme la génération post 1792, nous étions nés trop tard dans un monde trop vieux ?
Paradoxalement, et comme le prouve le célébrissime hashtag #jesuis, ce narcissisme encourage, non pas, comme on pourrait le penser, une affirmation de l’être, mais son anéantissement dans la tourbe chaotique du flux des réseaux sociaux. Se grandissant, l’être choit et devient le « touriste de son existence » (The Guardian, Pics or it didn’t happen : the mantra of the Instagram area_Jacob Silverman_26/02/2015). On en resterait cependant, par cette analyse, à l’émergence d’un être baroque devenu pur paraître. C’est oublier la spécificité des générations d’après les 30 Glorieuses, celles que l’on nomme aussi, dans l’ère virtuelles, les XYZ, et le contexte économique et social auquel elle doit faire face, et notamment les limites de l’ascenseur social et des possibilités de réussite.
Qui suis-je, que suis-je ? Charlie ou autre chose… Jesuislevide d’une pensée, le vide dans lequel on me comprime, le vide auquel on me restreint, le multiple, le trop plein… Tout et rien… mais sommes-nous… Que sommes-nous ?
Et si, comme la génération post 1792, nous étions nés trop tard dans un monde trop vieux ? Mai 68 n’a été qu’un soubresaut libertaire auquel il nous est impossible de nous identifier tout à fait… Une séquence de l’Histoire apprise dans les livres. De même, les Guerres Mondiales étalent l’héroïsme des résistants, qui apparaît normal, mais serions-nous capables de sacrifier nos petites vies individuelles pour des idées et des valeurs collectives ? N’y avait-il pas aussi dans les défilés du 11 janvier un relent de bonne conscience, et non une prise de conscience réelle ?
#Jesuis, je suis… Qui suis-je, que suis-je ? Charlie ou autre chose… Jesuislevide d’une pensée, le vide dans lequel on me comprime, le vide auquel on me restreint, le multiple, le trop plein… Tout et rien… mais sommes-nous… Que sommes-nous ? Vers quoi avançons-nous ? Avons-nous réellement des perspectives d’avenir ? La société nous en donne-t-elle ? Qu’avons-nous alors, à part notre Mac’do au poulet garanti sans antibiotiques à dévorer dans l’intervalle de la pause midi, avant de retourner à notre labeur numérique, essaimant de quelques tweets plus ou moins joyeux les heures de nos existences. Quelques mots pour dire exactement ce que l’autre internaute, ami, troll, connu ou inconnu, attend de nous. Nulle interrogation, nulle profondeur, mais le besoin d’accrocher à soi ces virtualités humanoïdes parallèles, comme un réconfort que la famille démembrée ou les amitiés, quand elles sont trop superficielles, n’arrivent plus à nous donner tout à fait…
Car qu’est-ce qu’un clown sinon la version dégradée du fou shakespearien, celui qui dans les excès de sa folie grotesque révèle la sublime vérité, idéal à déguster réchauffé chez Victor Hugo dans sa préface à Cromwell ?
En se transformant en homme-sandwich, sciemment, donnant ainsi son âme au diable du marketing, sauvant sa vie par des souvenirs heureux sur les réseaux sociaux, l’homme numérique se perd dans le néant. Il pavane avec sa belle façade publicitaire pour vendre de beaux objets, se vendre lui-même auprès de son cercle de followers, Narcisse-proxénète. Ses intentions sont pourtant les meilleurs. Aimer, se faire aimer, se rassurer surtout sur le fait qu’on en vaut le coup par le nombre de likes. Tout sourire sur les selfies, partageant nos moindres étincelles de bonheur en omettant sciemment toute la tristesse et l’ennui de l’existence moderne, que sommes nous si ce n’est des clowns ? Des Ronald faussement heureux, masques schizophréniques de clowns tristes et un peu plus passe partout que cette tête rougie aux colorants radioactifs popartés. Des clowns comme ceux des chansons de rap formatées en mode marketing de Black M et Soprano répondent en écho à cette sensation de non-être incompris, ou d’être dénué de toute profondeur.
Car qu’est-ce qu’un clown sinon la version dégradée du fou shakespearien, celui qui dans les excès de sa folie grotesque révèle la sublime vérité, idéal à déguster réchauffé chez Victor Hugo dans sa préface à Cromwell ? Le clown n’est plus qu’une apparence et de vérité, il n’en porte plus… Quelle est la vérité qui est en nous, en quoi croyons-nous encore, quelle est la force qui nous fait aller ? Hernani vides, nous devenons les êtres de divertissement sans héroïsme, sans valeurs, sans identité… La difficulté de définir une identité nationale n’est pas uniquement politique : elle est aidée par un système social qui nous borne à quoi ? A n’être plus rien que ces êtres-fastfood, aux cerveaux consommés dans l’instant dans la vacuité d’existences limitées, consommateurs de toutes les frivolités de l’existence, nous ne savons plus où est le réel, les tripes de l’existence ont été mixées dans les steak hachés des burgers. Au mieux, nous nous définissons par la négation. Le « buzz » autour de la chanson des Enfoirés, quelles que soient nos propres positions à ce sujet, démontre que la « jeune » génération sait parfaitement ce qu’elle n’est pas, et se révèle en réalité impropre à toute définition. « To b-ea-it or not to be », notre devise, parce qu’il faut bien qu’on morde, mordre dans la vie, dans des microscopiques parcelles de bonheur avant que d’autres ne le piétinent, mordre avec colère dans les idées folles et fausses des autres, et dévorer l’éphémère sandwich à date de péremption toujours trop courte qu’est la vie. Génération confuse (El Païs, Las caras de la juventud confusa_Inigo Lopez Palacios 30/03/2015), aussi incertaine que l’époque dans laquelle nous vivons, et gouvernée par une étrange marionette tout aussi mystérieuse quant à la profondeur de leurs idées (mais malgré tout sensible à celle de certains décolletés d’actrices), la seule certitude, nier les cases et les clivages. Mais nier, parce qu’il lui manque encore quelque chose pour être : sa place.
Tels des errants d’île en île, classiques, baroques et surtout synthèse romantique du vide, nous ne trouvons notre place dans le monde qu’est ce mac’do mondialisé. Les banquettes sont déjà prises et nous sommes alors contraints d’utiliser le drive et d’emporter, penauds, les quelques mets engloutis avec voracité, les miettes de bonheur qu’on laisse aux jeunes dans cette vaste meute darwiniste qu’est la société du XXIe siècle. Dévoré ou être dévoré… Mais après tout, savoir qu’on est rien, c’est déjà beaucoup…
Anne Rouge
P.S. :
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Manger trop gras, trop sucré et trop salé tue. A consommer avec modération dans le cadre d’une alimentation équilibrée. En revanche, lire saignant, épicé ou acide est bon pour vous : buvez et mangez-en tous ! A(wo)men
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L’écrivaillon de ce propos accepte de croupir en enfer si l’on lui démontre qu’elle a tort : non, elle n’estime pas avoir fait outrage à la Littérature majuscule en l’associant à une étude plus orientée vers le marketing actuel de l’être, mais apporter un éclairage autre. Oui, elle maintient aux littérateurs ventripotents, verbeux, chenus et forts chevelus (ce texte est très sérieux) que les courants littéraires tels que le Classicisme, le Baroque et le Romantisme ne sont pas à ranger au placard de la classification temporelle où les enferme l’Histoire littéraire des Lagarde et Michard. Les courants littéraires n’ont pas de début et de fin donnée, et l’Histoire Littéraire a elle-même démontré que les « grands » auteurs sont (presque) toujours inclassables.