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Grâce à Antoine Compagnon et son « Un été avec Montaigne », l’auteur des Essais revient à la mode, et cela pourrait être une bonne chose … pour la gauche.

S’il est vrai que ses considérations philosophiques peuvent nous aider à vivre, elles peuvent également se révéler être de bien précieux atouts pour nos politiques d’aujourd’hui et, surtout, pour le Parti socialiste. Parce qu’en effet, même si nous pouvons étendre ce jugement à l’ensemble des mouvements, la lecture du penseur bordelais s’avère utile, sinon nécessaire, pour ce côté de l’échiquier politique en ce que ses fidèles ne savent plus discuter et ne savent plus qu’excommunier (à la droite, nous recommanderons certainement la lecture de Nietzsche, mais cela fera l’objet certainement d’une autre étude) quiconque ose avoir un avis divergent de sa doctrine.

Pour que la gauche réapprenne à discuter

« Parce que c’était lui, parce que c’était moi » : c’est par cette réplique devenue célèbre que Montaigne résume son amitié avec La Boétie et leur goût pour la conversation, la joute verbale sereine et enrichissante, l’échange constructif et bienveillant. Montaigne va d’ailleurs jusqu’à reconnaître que parfois il ne contredit pas son ami, de peur de lui ôter l’envie d’échanger ultérieurement : pour dialoguer, il faut être deux, et pour la bonne tenue du débat, autant respecter l’autre et lui donner envie de développer le cours de sa pensée.

Montaigne le rappelle d’ailleurs dans son chapitre « De L’art de conférer » (III, 8) : « Le plus fructueux et naturel exercice de notre esprit, c’est à mon gré la conférence ». L’art de parler avec autrui, c’est avant tout celui de la disputatio latine ou même celui du dialogue socratique qui suppose un désir des locuteurs à s’écouter mutuellement pour se comprendre et parvenir à avancer ensemble, idée après idée. C’est précisément cette prédisposition qui manque cruellement à la gauche d’aujourd’hui.

La pensée progressiste, devenue un occultisme, n’est plus bonne qu’à s’indigner, condamner, déplorer, sans même concevoir qu’un avis contraire puisse exister.

A travers les réactions paroxystiques, immodérées, irraisonnées du personnel politique – voire médiatique – PS nous constatons cette incapacité clinique à ne pas envisager une autre manière de penser. Puisque la Révolution a engendré un camp du Bien progressiste et un camp du Mal réactionnaire, ces amis de la liberté refusent par principe le débat avec celui dont le sens critique ose par exemple remettre en cause la vision de gauche des banlieues ou, pire encore, tenter de contester la vision de la Justice de notre inénarrable Garde des Sceaux. La pensée progressiste, devenue un occultisme, n’est plus bonne qu’à s’indigner, condamner, déplorer, sans même concevoir qu’un avis contraire puisse exister. La gauche actuelle ne supporte plus l’art de conférer car selon elle, c’est se compromettre, c’est « libérer la parole haineuse » ou autre fadaise de cet acabit. La gauche fulmine, enrage, hurle si quelqu’un lui porte la contradiction.

Il n’est pour autant question de dire ici que les élus et les militants UMP savent parler posément, mais il s’agit plutôt de montrer combien la condamnation morale pour tuer toute forme de débat avec l’adversaire s’incarne en 2015 sous les oripeaux d’une gauche autiste. Lire ou relire Montaigne serait donc, pour les simples sympathisants jusqu’aux politiques professionnels auréolés du sigle PS en passant par les agités du MJS toujours prompts à traquer le galeux qui oserait par exemple trouver la politique pénale trop laxiste, l’équivalent d’une cure intellectuelle qui leur apporterait le calme et l’envie d’écouter l’autre, une évidence pour qu’un début de débat puisse renaître en France.

Repenser le monde avec Montaigne

Dès le premier chapitre du livre I de ses Essais, Montaigne prévient « Certes, c’est un sujet merveilleusement vain, divers et ondoyant, que l’homme. Il est malaisé d’y fonder jugement constant et uniforme », et cette idée se retrouvera jusqu’au livre III, 2 lorsqu’il montre que « Les autres forment l’homme (…) Le monde n’est qu’une branloire perenne : Toutes choses y branlent sans cesse, la terre, les rochers du Caucase, les pyramides d’Egypte : et du branle public, et du leur ». Cette conscience de la mutation perpétuelle des âmes comme du monde le conduisent à concevoir le relativisme, l’impermanence de la vie, des idées, des êtres : « Je n’ai point cette erreur commune, de juger d’une autre selon que je suis. J’en crois aisément des choses diverses à moi » (I, 37).

Le PS est ce volcan qui a explosé dans les années 80 lorsqu’il a cessé de s’intéresser aux ouvriers pour entrer dans une lutte pour le multiculturalisme et qui a, comme à Pompéi, figé le reste de l’Humanité dans ses cendres intellectuelles.

Puisque rien n’est fixe et que tout est mouvant, indécis, Montaigne invite à renoncer au dogmatisme et quiconque a suivi les oukases contre des intellectuels classés à gauche comme Marcel Gauchet, plus récemment Laurent Bouvet ou bien sûr à droite comme Eric Zemmour ne peut s’empêcher de songer à ce que notre tradition intellectuelle humaniste a légué et qu’une partie de l’intelligentsia piétine sous ses talons Louboutin. Descartes indique pourtant dans son Discours de la méthode que « Le bon sens est la chose la mieux partagée du monde » mais force est de constater que les années 2000 ont vu le tout-émotif supplanter le Logos dans le débat intellectuel moderne.

Si la gauche ne parvient pas à concevoir des arguments différents des siens parce qu’elle s’est arrogée la lutte pour le Bien, elle ne réussit pas non plus à s’échapper de son dogmatisme qui fixe les jugements sur les pensées pour l’éternité. Le PS est ce volcan qui a explosé dans les années 80 lorsqu’il a cessé de s’intéresser aux ouvriers pour entrer dans une lutte pour le multiculturalisme et qui a, comme à Pompéi, figé le reste de l’Humanité dans ses cendres intellectuelles. Le penseur de gauche qui veut sortir de l’euro ? Un facho, voué à l’extrême-droite. Un homme de droite veut réduire le nombre d’immigrés ? Allons donc, c’est un nazi refoulé. Un insensé s’oppose à la sempiternelle doctrine de la pauvreté qui explique la violence ? Mais enfin, vous n’y pensez pas, c’est le retour de la bête immonde ! Le magistère moral de la gauche ne semble plus prendre la mesure de l’ébranlement continu de notre univers au sein duquel les consciences peuvent avoir des nuances, des subtilités, des hésitations. Ne pas être dans le camp officiel du Bien ne signifie pas forcément désirer secrètement le retour aux années 30.

La légèreté. Voici le maître-mot de Montaigne : la pensée sautillante, butineuse, souriante, profonde. Incertaine, surtout. Les Essais constituent par conséquent une excellente lecture pour les thuriféraires de la pensée chloroformée et il serait judicieux d’en déposer des exemplaires devant Solférino et chaque local de l’UNEF. Montaigne invite à ne pas s’énerver face au discours d’autrui, ni à le figer dans une posture pour laisser une thèse et une antithèse s’affronter calmement pour tenter de trouver une éventuelle synthèse. Lui qui a connu les tumultes des guerres de religion nous indique ni plus ni moins la marche à suivre pour échapper au conflit civil.

 

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Julien Leclercq

Fondateur du Nouveau Cénacle et auteur de "Catholique débutant" paru aux éditions Tallandier.

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