A une époque où le sexe se consomme comme un bon vieux film de capes et d’épées, j’ai voulu faire une sorte de cogito ou dichotomie, comme dirait Platon, de nos pratiques sexuelles. Le Nouveau Cénacle, qui avait interviewé Angell Summers et Nikita Bellucci, se penche à nouveau sur ce phénomène.
Car ce qui peut paraître le plus intime pour nous, est en réalité pour bon nombre, nous consommateurs de pornos, quelque chose qu’on partage derrière notre écran. Nos désirs, nos fantasmes, nos pratiques sont largement influencées par ce qui se trame sur les sites de fesses et de pines.
Popularisé peu après la Seconde Guerre mondiale, le « film de cul » s’est introduit avec violence dans nos chaumières. Il a d’abord été brutalement démocratisé dans des lieux publics, avant de massivement s’implanter sur le net où il aime pulluler sur nos encarts de téléchargement et même parfois sur leur contenu. A faire cauchemarder un père de famille dépassé et heureux de se réfugier derrière un douteux « Bambi 3 » pour calmer ses gosses mais au final fort surpris par un porno dissimulé derrière un blaze Disney.
Le porno et le déséquilibre entre l’homme et la femme
L’homme jouit à la manière d’une conclusion, tandis que la femme elle, essuie le point final de son partenaire sans avoir le droit au sien.
Techniquement il n’est pas vilain, ni honteux de se palucher derrière son écran. Qui ne l’a jamais fait ? Le plus grave est ailleurs. Bien plus qu’une simple « banalisation » du rapport sexuel, le film X entretient un rapport de soumission homme-femme. L’homme est le plus souvent flouté et n’est pas le centre d’attention des caméras. Au contraire de la femme qui est spécialement apprêtée pour l’occasion (pour mieux être dégoulinante à la fin). Ce fréquent déséquilibre est gênant. Sans tomber dans des considérations féministes, la pornographie établit un rapport de soumission à la limite de la violence, de l’irrespect et de l’égoïsme masculin. L’homme jouit à la manière d’une conclusion, tandis que la femme elle, essuie le point final de son partenaire sans avoir le droit au sien.
C’est le cas pour la quasi totalité des vidéos pornos. On abuse de gros plans et de ralentis sur l’orgasme masculin, mais jamais sur celui de la femme. Tout simplement parce que la femme n’en a pas et n’est pas autorisée à en avoir.
L’exhaustivité maximale du X contre le naturel
Quand la main d’un des partenaires vient à être mouvement, elle ne caresse pas, elle tape, claque ou presse.
Mais le mal ne réside pas seulement dans ce qu’on pourrait qualifier d’une classique « inégalité homme-femme. » En réalité, il est davantage dans l’essence même de l’image, dépourvue de tout. Tous les lieux se ressemblent (une chambre d’hôtel trois étoiles), on retrouve les mêmes gros plans, les mêmes positions, les mêmes petits scénarii (quand il y en a), et surtout les mêmes types de rapports. Dans un but d’exhaustivité maximale, le rapport sexuel doit se faire « sans les mains » pour éviter toute interférence avec la caméra. On voit ainsi deux êtres que seul un sexe relie. On est loin, très loin d’une relation sexuelle naturelle. Quand la main d’un des partenaires vient à être mouvement, elle ne caresse pas, elle tape, claque ou presse. L’excitation est alors perçue par le spectateur comme un alibi à tout un tas de vils instincts artificiels gobés et digérés devant un rectangle lumineux.
C’est alors la « volonté » (désir infini, sans cohérence, si limite) cartésienne qui prend le dessus sur l’entendement (raison finie, réfléchie limitée au réel).
L’uniformisation du sexe
Celle-ci reproduit instinctivement, dans les limites du réel, ce que l’industrie pornographique lui a appris. On entreprend alors des choses avec sa compagne (le public de la pornographique étant essentiellement masculin) qu’on aurait alors jamais imaginé sans être tombé sur ces fameux films X. Car reproduire seul ce qu’on a vu dans une de ces scènes est à des années lumières d’un de ces fameux saupoudrages de piment qu’on applique à une vie de couple ronflante. D’abord parce qu’on soumet, en pleine excitation, à sa partenaire, des pratiques qui ne lui sont pas naturelles. Puis parce qu’on en vient à entreprendre dans ce qu’il y a plus d’intime, une série de faits et gestes extérieurs à son cocon que les deux acteurs de la vidéo ont pratiqué, tout comme peut-être le voisin, qui a maté le même X. On tombe alors dans une uniformisation du sexe violent, moche, tarabiscoté, saccadé, malsain, décoratif et extraordinairement banal.
Moins botoxée, moins gonflée, plus réelle
On est dans la contingence des conquêtes du beau gosse que tous les mauvais films américains mettent en scène, tombeur de minettes dans les soirées étudiantes.
Comme au cinéma, il peut avoir aussi du bon et du mauvais. Mais le mauvais est toujours plus présent sur Internet, là où le bon paraît de plus en plus ringard. Car l’industrie pornographique l’a bien compris, la jeune génération veut toujours plus de réel, d’images et « d’actualisation ». Ainsi, on voit pointer le bout de son nez, non plus des femmes aux visages refaits, aux seins gonflés et rehaussés, défiants la loi de la gravité, mais de jeunes filles présentées comme des étudiantes, non plus blanches blondes-brunes, mais des asiatiques, des latinos, des rousses, des châtains, aux petits seins, aux seins tombants, bref aux imperfections évidentes. On est tout à fait dans la contingence des conquêtes du beau gosse que tous les mauvais films américains mettent en scène, tombeur de minettes dans les soirées étudiantes.
Faisant toujours plus fantasmer les timides, les moches et les pervers. Un public toujours plus large et toujours plus uniformisé. Un truc qu’on pourrait nommer, le capitalisme du sexe.