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Métro, Boulot, Série, Dodo, tel est le nouveau leitmotiv de la génération Y, née dans les années 1980. Face à des places de cinéma au prix prohibitif, cette dernière ne cesse de dénicher de nouvelles œuvres télévisuelles pour se divertir,  échapper à leurs tracas. Dans ce marasme économique, le  versant « série » de leur quotidien ne cesse de progresser,  selon un cercle vertueux où le regain d’intérêt provoque l’excellence dans la création. Les séries sont bien meilleures qu’avant, et plus nombreuses. Un paradis à portée de télécommande.

On se rend compte que ce n’est pas la série en elle-même qui nous est essentielle (même si elle a son importance), c’est son partage, son évocation au groupe, qui fait que cette appétence commune nous réjouit. On possède une base solide à une interaction, simple, rassurante et palpable. On capitalise pour de futurs ébats spirituels.

Dans cet individualisme forcené qui caractérise ce début de millénaire, les séries sont devenues un moment privilégié de communion. Elles ont remplacé les veillées au coin du feu où l’on se racontait des histoires. Au cours d’une soirée en ville, nous entendons les exclamations bienheureuses au détour d’une conversation. Le fameux « toi aussi tu regardes Breaking Bad ! » raisonne dans les files d’attentes d’un Camion qui Fume ou à l’entrée d’un bar jonché d’un amoncellement de jeunes gens enivrés.

La série : un fidèle compagnon de route

Les personnages deviennent plus vivants à mesure qu’on les observe se mouvoir dans un univers qui nous apparaît de plus en plus réel.

On finit ainsi par s’attacher ensemble, en s’attachant dans le même temps aux personnages. Car on a le temps. C’est bien cela dont il est question quand on aborde ce genre. « Ça dure plus longtemps qu’un film » entend-on souvent. En effet, lorsqu’un film nous tient en haleine pendant deux voire trois heures, ou une décennie, si l’on s’aventure dans l’univers des sagas et autres trilogies, avec des coupures significatives, une série nous permet chaque semaine de s’imprégner un peu plus des personnages, de nous poser des questions, de les voir s’incarner en apprenant à les connaître.

Précisément, ils deviennent plus vivants à mesure qu’on les observe se mouvoir dans un univers qui nous apparaît de plus en plus réel. Les émotions sont sublimées, car portées à l’écran, et nous sommes aux premières loges. Nous pouvons embrasser chaque parcelle de sentiment, chaque mouvement, tel un concerto, où chaque note nous toucherait au plus profond de notre être. Cela, nous ne savons pas l’expliquer, nous savons juste que cela nous rend heureux. Aussi, l’histoire nous fait vivre, et, entre chaque saison à venir, une attente parsemée d’informations déposées avec une précision clinique permet d’entretenir l’exaltation.

Il faut bien voir que les séries depuis le début des années 2000, ont vu leur qualité augmenter, avec notamment l’arrivée d’acteurs hollywoodiens de renom.  Les Sopranos avaient ouvert la voie, avec un Gandolfini magistral, habitué des rôles de mafioso avenant.  The Wire, Damages, pour ne citer qu’eux, ont ensuite définitivement donné au genre ses lettres de noblesse.

Un sauvetage manqué du petit écran ?

C’est le sport, le cinéma ou les séries qui permettent à la petite lucarne de survivre.

C’est donc le grand écran qui a permis au petit de remonter dans l’estime d’un public plus avisé. Le cinéma a peut-être sauvé la télévision d’une fin prématurée. On remarque néanmoins que les émissions classiques rassemblent de moins en moins de téléspectateurs, et c’est le sport, le cinéma ou les séries qui permettent à la petite lucarne de survivre. L’intérêt de celles-ci est souvent difficile à déceler pour le consommateur averti de contenu qu’est le Français moyen. Si Cyril Hanouna reste l’exception, les émissions dites d’ « access prime-time » perdent chaque année du terrain en termes d’audience. Morandini en avait fait les frais en septembre dernier. Même le désormais sacro-saint Grand Journal est confronté à ce problème, ne parvenant pas à renouveler sa formule (100 000 téléspectateurs de moins en 2013).

Sophia Aram avait été la victime expiatoire de cette tendance. On avançait pour justifier cette contre-performance la relative fraîcheur de la jeune humoriste, son manque de notoriété. Les commentaires allaient bon train. Mais lorsque le roi de l’access, l’enthousiaste Laurent Ruquier, l’homme qui murmurait à l’oreille de Zemmour, est à son tour obligé d’arrêter son « Emission pour tous », on perçoit un changement plus substantiel qui s’opère. Les gens veulent de la qualité, du fond, des rubriques travaillées, et pas seulement des chroniqueurs se répandant à longueur d’émissions en galéjades molles, dans un amateurisme assumé.  L’émission du préposé rieur du service public n’a ainsi jamais aussi mal porté son nom. Pour qui était ce talk-show ? On ne le saura jamais.

Les séries face aux Talk-show : une victoire dérisoire

Ils paraissent bien moins complexes qu’un protagoniste de True Detective ou d’un Don Draper, voire d’un Fargette, hantés par des démons insondables, enclins à une palette de sentiments qu’un candidat de Secret Story ne saurait même pas effleurer.

Les émissions apparaissent comme des parasites affaiblis cherchant à subsister sur le dos de ces bêtes vigoureuses que sont les séries. La télé réalité moissonne allègrement les grains de la misère intellectuelle, sans aucune création artistique autre qu’un peu de maquillage. Tout a été dit ou presque, les ficelles sont depuis longtemps connues : des personnages plus que des personnes, des caricatures tragiques, réduites à une hébétude absolue qui ne tolère pas l’abstraction.

Curieusement, ces derniers paraissent bien moins complexes qu’un protagoniste de True Detective ou d’un Don Draper, voire d’un Fargette, hantés par des démons insondables, enclins à une palette de sentiments qu’un candidat de Secret Story ne saurait même pas effleurer. Dans ces émissions, les individus sont des objets dont les producteurs disposent à leur guise, de vulgaires meubles. Un usage des choses en vue d’une satisfaction purement théorique, tant le spectateur finit par se lasser de ces laborieuses tentatives de divertissement empotées. Ces faux ornements ne parviennent guère à masquer le vide. A l’inverse, la série est peut-être devenue la référence ultime dans l’univers audiovisuel. On en fait cependant parfois un peu trop. Le fait que l’université de Nanterre organise des séminaires d’études sur The Wire peut paraître excessif, il n’en demeure pas moins que cela témoigne de l’impact culturel de ces objets télévisuels.

Les séries sont dans une situation privilégiée pour prospérer sur les ruines d’émissions ne reculant  devant aucun procédé vulgaire ou racoleur. Espérons que les chaînes s’agrègent à ce nouvel écosystème, c’est ce qui les sauvera du bûcher numérique. Si elles ne veulent pas que les internautes dansent sur leurs cendres, elles doivent prendre le train en marche.

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Rémi Loriov

Rémi Loriov est un homme libre qui s'intéresse à tout. On dit souvent à son propos : "personne ne sait ce qu'il fait, mais il le fait très bien." Il aime les histoires.

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