Nos journaux, ces derniers jours, ont livré des informations inquiétantes. Il y a désormais, en France, une pénurie de professeurs et notre université, dépassée depuis bien longtemps par les consignes contradictoires émanant de ministères qui se suivent et se ressemblent, ne parvient plus à former ceux à qui est confiée l’éducation de nos enfants.
Il est temps d’en finir avec ces interminables complaintes visant à dénigrer les fonctionnaires, car ces hommes à qui l’on confie – encore – de jeunes gens ne sont ni des fonctionnaires, ni des enseignants (quel mot horrible !) mais bien des professeurs, ceux qui parlent face aux élèves. On ne peut les considérer comme les simples rouages d’une grande machine appliquant panurgiquement des ordres donnés par une administration kafkaïenne. Or c’est ce qui se passe aujourd’hui et, alors qu’il s’agissait en des temps qui nous semblent désormais révolus d’éduquer, c’est-à-dire de conduire sur la voie du savoir et de l’intelligence des jeunes gens pleins d’avenir et d’ambition, on demande aujourd’hui aux professeurs d’administrer des classes et d’orienter des élèves.
Georges Izambard, le maître d’Arthur Rimbaud, ne s’est pas occupé de l’ « orientation » du jeune voyant. Il en a fait un homme, un poète accompli en lui montrant ce chemin que le professeur trace pour ses élèves. Or cette voie est désormais obscurcie par la multiplication des tâches administratives et l’horizon se perd dans une brume de paperasse. L’absurdité des programmes oblige les professeurs à endosser un habit mal taillé. Ils disparaissent. Certains, encore animés par cette flamme qui les poussa jadis à passer des concours vieillissants mais encore emplis de vertu, poursuivent inlassablement leur tâche. Mais leur esprit rêve d’ailleurs. Ils souhaitent secrètement quitter cette « maison » et, emportés dans la spirale de leur quotidien, s’enferment dans un métier qu’ils n’aiment plus.
« Albert Camus a dédié son prix Nobel de littérature à son instituteur. Aujourd’hui les élèves préfèrent les dénigrer ».
Ce n’est pas aux professeurs que je pense en écrivant cela. C’est à vous, parents, qui acceptez sans réagir ce massacre généralisé. Car il s’agit bien d’un massacre qui, s’il n’est pas aussi frappant pour les esprits que les affrontements guerriers nés de la bêtise et de la folie des hommes, se déroule sous nos yeux. Les professeurs en sont les premiers témoins. Ils continueront à dénoncer inlassablement ce gâchis, certains en descendant dans la rue, d’autres en menant une action de résistance au sein de leurs classes, en faisant naître dans l’esprit de vos enfants ce souffle de révolte qui fera d’eux des hommes conscients et vivants.
Albert Camus a dédié son prix Nobel de littérature à son instituteur. Aujourd’hui les élèves préfèrent les dénigrer. On ne peut leur en vouloir car ils comprennent, à mon sens, que leur jeunesse est en train de s’éteindre dans les affres d’une déliquescence inquiétante. Ils en veulent à tous ceux qui ne leur donnent plus les moyens de se révolter. C’est à vous, parents, de descendre désormais dans la rue afin de lutter pour la survie de vos enfants. Les professeurs, habitués à marcher devant, vous suivront.
Ils n’attendent que cela.