share on:

La pièce de théâtre « l’homme aux bras levés » qui a été jouée pour la première fois le 17 septembre 2016 en l’église Saint-Maximin de Metz (https://www.youtube.com/watch?v=P-wVrv5aO9k&feature=youtu.be)  par le comédien Théophile Choquet (*) se termine par cette curieuse proclamation empruntée à Cocteau: « Je viens de tuer la Mort !».

(* www.theophilechoquet.com)

Phrase énigmatique, ô combien déroutante, mais qui a en réalité l’avantage de résumer, à elle seule, tout le projet de Jean Cocteau. D’ailleurs, où mieux que dans cette petite église son hymne à l’éternité ne pouvait résonner de manière si intense ? Car bien évidemment tout  cela n’a été possible  que grâce aux possibilités inouïes que lui offre son nouveau médium, le vitrail.

Rien d’étonnant, me direz-vous, pour ce génial polygraphe, qui au soir de sa vie, réalise son testament de lumière ? Démiurge, il a, en effet, tous les droits et use de toutes les libertés de créateur sur son oeuvre.

Aussi, dans ce contexte, avec cette pièce, ma responsabilité s’avère d’autant plus délicate et difficile à assumer que mon travail a la prétention d’adapter une histoire qui n’est pas la mienne mais la sienne. Avec toujours en prime le souci d’être fidèle à l’extrémisme qui habite Cocteau: « cette profonde attraction du poète pour tout ce qui dépasse le monde. » (Cocteau,J., Orphée, Ed. j’ai lu, Paris, 1950, p.10)

Rendre compte, notamment, de sa fascination pour un paradoxe qui parcourt toute son oeuvre et qui peut se résumer par l’antithèse « vie-mort ». Je pense, d’ailleurs, être resté fidèle à sa pensée en utilisant un autre module presque identique qui est la «  mort-renaissance ».

Le déroulé de la pièce va résumer en quelque sorte chaque étape de ce qui peut s’apparenter à une véritable quête philosophale.

Jean Cocteau, sous la nef

C’est Cocteau lui-même qui se retrouve en 1962, face à son premier vitrail dans cette petite église paroissiale de Metz. Il vient de franchir le cap de ses 73 ans et mesure le peu de temps qu’il lui reste avant de mourir.

thumb__mg_1577_1024
Dans un long monologue,il parle de sa lente dégradation physique qu’il perçoit dans le miroir.

Le miroir justement qui lui permet de passer déjà dans un autre monde.

Cela n’a rien de surprenant  puisque son projet d’anéantir définitivement la mort passe par ce moyen unique de transport dans l’au-delà !

Mais le miroir ne lui suffit plus, le poète a besoin dorénavant d’expérimenter un autre support, le vitrail.

Très proche symboliquement de la condition humaine, le vitrail se présente, en effet, sous une forme fragmentée, d’où l’intérêt que porte dorénavant l’artiste pour ce nouveau médium.

Sa réflexion l’amène ensuite aux années 1930 où il parle de sa rencontre avec Marcel Duchamp. Celui-ci lui révèle le Zohar, l’oeuvre majeure de la Kabbale.

Cette initiation à la tradition ésotérique et à l’alchimie l’amène à découvrir l’être ancestral: Adam Kadmon, l’être androgyne primordial.

Cette révélation déclenche alors un fort besoin de retrouver ce même être ancestral afin d’accéder comme lui à l’éternité.

Le Chaman

14317444_10209335177487989_1254881036887049626_n

Cocteau déclare sans ambiguïté aucune que le chamanisme est devenu désormais la clé de sa quête véritable. Celle qui va lui permettre d’accéder à l’au-delà et de réaliser son projet d’éternité.

(Cocteau se transforme en chaman. C’est en fait le personnage de l’homme aux bras levés que l’on découvre dans le vitrail central de l’abside.)

Il déclare notamment:

« J’ai besoin ici et maintenant de retrouver mon intimité, je dois connaître la vraie béatitude que je ne pouvais pas connaître dans ma vie profane de tous les jours.

J’en appelle aux esprits auxiliaires pour relier la Terre et le ciel. Mes amis les animaux vont m’aider à reprendre contact avec le monde d’en-haut. »

Il a besoin, en effet, des animaux pour récupérer leur partie intime, celle qui est constitutive de la condition de l’homme primordial.

Le rossignol tout particulièrement, il le sollicite pour devenir à la fois son ami et son maître.

Mais avant d’accéder au ciel, il a conscience qu’il doit franchir des étapes dont la barrière de feu. Tout cela dans le but de connaître la condition des esprits.

Et il va donc expérimenter la transe pour devenir comme eux et pouvoir déclarer: « Je deviens invisible, je vole dans les airs et monte au Ciel. »

(L’acteur va pratiquer le rituel du chaman pour entrer en transe avec la danse des quatre éléments: air, terre, pierre et feu.

Il gesticule et bouge dans tout l’espace très vite, brûlé par le feu, puis se calme petit à petit. Il se tortille encore un petit peu. Puis devient immobile.

Théophile Choquet réussit à restituer par sa démarche le mélange entre théâtre et danse, pour mieux exprimer encore ce besoin de Cocteau de nourrir l’espace de son trait.

Avec enfin la musique Djembé https://youtu.be/P-wVrv5aO9k qui va lui permettre ensuite de continuer jusqu’à être complètement possédé par les esprits.

Il se sent  totalement habité et ressent le besoin de se coucher à même le sol, les bras tendus, la tête fixant l’espace d’en haut et se met à parler tout haut.)

« J’ai un songe !
Je vois par une sorte de « porte » l’en-haut.»

Ce faisant il réussit à remonter le temps pour découvrir les scènes du début de la création.

Il voit descendre du Ciel un être humain enserré dans un oeuf, l’oeuf cosmique qui est à l’origine de la création du Monde ! Lorsque l’oeuf se détache en deux parties, il voit émerger l’androgyne.

L’androgyne

(la scène est jouée par le même acteur qui est à la fois chaman et androgyne. L’androgyne apparait avec une ligne verticale peinte au milieu de son corps depuis la tête jusqu’au torse pour symboliser les deux parties de son être: le masculin et le féminin)

Un dialogue s’établit entre le chaman et l’androgyne.

L’androgyne se présente comme un être « idéal ». Son corps a su préserver l’unité primordiale qui existait avant la séparation originaire. Lui vit dans la complétude alors que l’homme moderne vit en permanence dans l’errance, en quête de la moitié dont il a été privé.

14322746_10209335177567991_2151622683890958295_n

L’ascension

L’androgyne va indiquer l’échelle permettant au chaman d’accéder au ciel pour qu’il puisse connaître lui aussi cet état idéal et devenir immortel. Accompagné par une femme, le chaman va se diriger vers l’échelle. Sur celle-ci, il va s’unir à cette partenaire féminine grâce à la colombe pour constituer une seule entité et retrouver ainsi l’état de l’androgyne ancestral.

Il va ensuite s’adresser successivement à la lune (symbole féminin) et au soleil (symbole masculin):

« ô Lune, laisse-moi devenir ton époux »
« ô Soleil, je dois me soumettre à toi »

(musique: Prélude pour violon seul, Ascension Nocturne, de Théophile de Wallensbourg)

Exclamation finale:

« J’ai atteint le Ciel, les dieux; je suis devenu immortel »

 

(Pause – changement d’espace scénique)

Orphée

(dans la chapelle des Gournay )

Cocteau s’identifie à Orphée

De nouveau Cocteau parle tout seul pour expliquer son choix de s’identifier désormais à Orphée .Il raconte l’histoire de ce poète thrace et la mort accidentelle d’Eurydice, son épouse.

S’il réussit à récupérer Eurydice des enfers, hélas il la perd ensuite en se retournant !

Mais plus tard lui-même va se retrouver déchiqueté par les Bacchantes… ne lui restant plus que sa tête !

L’histoire d’Orphée n’est en fait qu’un prétexte pour le poète de parler de la phoenixologie, science qui permet de mourir plusieurs fois pour renaître.

Cocteau découvre, en effet, cette loi de la mort/renaissance grâce à Orphée

Déjà avec le rituel chamaniste, le poète avait participé à des moments d’éternité, en revanche en devenant lui-même Orphée, il va pouvoir dorénavant s’affranchir de toutes les limites et notamment de celle de la mort.

La tête d’Orphée

( Orphée se parle à lui-même et au public)

Orphée raconte sa sortie des Enfers. Un échec,certes tout relatif, puisqu’en définitive il lui a permis d’asseoir sa réputation. Il devient, en effet, la preuve vivante que le processus mort/renaissance fonctionne.

En l’absence de son corps, ne disposant plus que de sa tête, il continue malgré tout à exister et par son chant et son discours réussit à enchanter autant les animaux que les hommes.

D’ailleurs, il n’est pas le seul à proposer ou à signifier une telle métamorphose après la mort.

A l’exemple de Démeter, la déesse de la culture qui permet l’alternance des saisons: l’hiver qui précède le printemps, le blé qui doit mourir en terre avant de germer…

Mais aussi à l’exemple de bien d’autres figures qui sont représentées dans les vitraux de l’église Saint-Maximin.Tous expérimentent à leur façon une renaissance après la mort (Hyacinthe, la Bête dans le roman de la belle et la Bête, Le Minotaure, la mante religieuse, Arachné…)

Le coup de lance de Minerve

(Orphée – Cocteau gît sur son linceul suite au coup de lance de Minerve qui a traversé son corps)

Orphée parle de sa relation avec la déesse Minerve qui vient de le terrasser d’un coup de lance.

Dans le vitrail de la chapelle des Gournay, elle apparait en tenue guerrière, casquée d’un haut cimier avec un panache rougeoyant retombant sur ses épaules.

Elle porte également sa lance et son bouclier à tête de Gorgone.

Le poète rapporte l’histoire d’Arachné pour caractériser la jalousie et l’orgueil sans limite de Minerve.

Cette jeune fille qui a défié Minerve,meilleure en tissage que la déesse, s’est en fait suicidée. Mais la déesse la fait renaître ensuite sous forme d’une araignée… encore un autre récit de métamorphose post-mortem !

Cocteau répète en fait dans cette dernière scène de la pièce la séquence finale de son film le Testament d’Orphée . Aussi comme dans le film, il fait don d’une fleur d’hibiscus à Minerve qui s’analyse en fait comme le don de sa vie.

Le refus de Minerve refroidit le poète qui s’éloigne d’elle en lui tournant le dos.

Irritée, Minerve lui lance alors sa lance entre ses deux épaules.

Le poète est a terre sans vie.

Tout pourrait se terminer ainsi… mais une voix intérieure lui fait espérer un autre destin.

(Musique : Brahms, Symphonie numéro 4 – 1 er mouvement (début)

(le poète se relève avec les yeux irradiés – les bras levés au ciel comme lors de l’ascension et déclame…)
« Je viens de tuer la Mort ! »

Christian Schmitt

http://www.espacetrevisse.com

 

( N.B. : Après les films-poèmes de la trilogie orphique de Jean Cocteau, sa pièce de théâtre et ses deux films, le support vitrail permettra de donner une puissance incandescente incomparable à cette histoire.

Les vitraux, formidable véhicule de la poésie par la lumière vont d’autant plus  accentuer cette sublime métamorphose que le soir même de la représentation de la pièce, ils étaient éclairés de l’extérieur par de puissants spots. )

 

 

 

mm

Christian Schmitt

Critique d'art. Auteur de "l'univers de J.L. Trévisse, artiste peintre" (ed. Lelivredart 2008) et de trois autres ouvrages sur les vitraux réalisés par des artistes contemporains aux ed. des Paraiges: Jean Cocteau (2012), Jacques Villon (2014) et Roger Bissière (2016). A retrouver sur : http://www.espacetrevisse.com

Laisser un message