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Les perles du bac n’étaient qu’une tradition journalistique pour boucler les pages de Juin du Parisien – Aujourd’hui en France. Mais les temps changent : impossible de ne pas apercevoir depuis quelques semaines sur les tables des librairies un recueil de nouvelles perles de Mathilde Levesque, LOL est aussi un palindrome – Journal d’une prof au bord de la crise de rire.

Tombée dans l’enseignement secondaire par hasard, Mathilde Levesque a d’abord enseigné la stylistique dans une université parisienne prestigieuse. Elle vouvoyait ses étudiants (ce qui semble logique), et maintenait ce vouvoiement lorsqu’ils devenaient ses collègues. Agée du même âge que certains de ses étudiants elle mettait un point d’honneur à installer une distance si grande qu’on n’osait à peine lui adresser la parole. Bon petit soldat du système elle obtint l’agrégation et préparait un doctorat bien sous tout rapport sur un auteur français du XVIIème siècle. Évidemment on ne lui comprenait pas l’espoir de faire carrière à l’université : milieu clos où les pontes s’accrochent aux sièges comme les morpions aux poils pubiens d’une prostituée du début du siècle dernier et où le fait d’être une femme vous cantonne aux postes ingrats de professeur pour les premières années.

Évidemment on ne lui comprenait pas l’espoir de faire carrière à l’université : milieu clos où les pontes s’accrochent aux sièges comme les morpions aux poils pubiens d’une prostituée du début du siècle dernier et où le fait d’être une femme vous cantonne aux postes ingrats de professeur pour les premières années.

Je parle en connaissance de cause. J’ai eu la chance de recevoir ses leçons sur les bancs de la même faculté. Elle fut une enseignante de qualité qui attendait beaucoup de ses étudiants, qu’elle semblait mépriser avec un plaisir sans fin. Ces petites gens qui cherchaient à lui arriver à la cheville n’étaient que de futurs concurrents aux postes à pourvoir à l’université. Un enseignant ferme, juste et exigeant est un enseignant de qualité. Elle avait l’exigence, la fermeté, mais installait son autorité par la moquerie, la pointe, et le mot d’esprit souvent à la limite de l’insulte. Dans son regard, les étudiants sentaient de la bienveillance et un peu de foutage de gueule.

De la perle à la pointe : manipuler le discours

Plus besoin d’apprentissage : faisons du savoir à partir de l’inculture crasse de nos élèves. Trouvons le génie dans la tête des élèves plutôt que de leur faire découvrir celui des classiques.

Très vite, cette chère Mathilde Levesque a bien compris que l’université ne voulait pas d’elle pour l’instant. Horreur, il fallait rétrograder en lycée de banlieue. Entre la petite bourgeoisie d’Ile-de-France et les enfants de notable de province qui perdent leur temps dans les études de Lettres sur les bancs de la prestigieuse université parisienne et les quelques élèves ayant le niveau pour s’en sortir en lycée général en banlieue, il y a un monde. Notre aventurière le franchit, qu’à cela ne tienne. Et là, surprise, les élèves ne sont pas si bêtes, certains sont mêmes quelque peu cultivés. Pas tous, évidemment. La jeunesse a la force de la spontanéité et de la fraicheur. Mais c’est parfois aussi l’âge de la bêtise la plus hallucinante que l’on puisse voir. Le recueil de perles LOL est aussi un palindrome se méfie des étiquettes : il ne s’agit pas de perles moqueuses nous dit-on. Non, il s’agit d’échanges savoureux entre une enseignante et ses élèves qui vivent sur la même planète mais pas dans le même monde. Des calembours, des jeux de mots, des fulgurances, des pointes. Voilà le mot clef.

Au cours des nombreuses entrevues qu’elle a pu accorder à des mauvais journaux, Mathilde Levesque plaque sur ses élèves le vocabulaire qu’elle a dû utiliser pour ses propres travaux universitaires. Ses élèves ne sont pas bêtes et ont parfois de l’humour mais elle les décrit comme de petits génies qui permettent de bien rire : leurs débilités et leurs calembours du niveau de ceux de Debbouze ou de Kev Adams feraient sourire n’importe qui. Même Alain Finkielkraut. Plus besoin d’apprentissage : faisons du savoir à partir de l’inculture crasse de nos élèves. Trouvons le génie dans la tête des élèves plutôt que de leur faire découvrir celui des classiques.

Le rire du sachant

Se rend-elle compte de la moquerie que représente le simple fait de noter ces échanges ?

 Mais jusque-là aucune différence entre le livre LOL est aussi un palindrome, et les traditionnelles et moqueuses perles du bac. Le problème de ce petit ouvrage réside dans ce que souhaite en faire son auteure : un livre qui dit le génie spontané de la jeunesse, c’est l’idée du génie populaire, celui qui gît dans la masse, qui ressort ici : sans s’en douter, l’auteure tombe dans les clichés les plus éculés : elle a reçu la formation universitaire traditionnelle et afin de ne pas se noyer face à l’ignorance et la faiblesse du niveau de ses élèves de lycée, elle y applique une grille de lecture issue de sa culture universitaire. Sans les notions de stylistique qu’elle tentait d’inculquer à ses étudiants de Lettres, elle serait bien incapable de percevoir le « génie » et la « capacité d’autodérision » de ses élèves. Elle nous livrerait un recueil de perles à lire sur le trône. Celle qui possède le savoir rit de celui qui ne l’a pas encore et qui ne l’acquerra peut-être jamais. Celle qui devrait montrer que la littérature peut changer l’existence humaine met bien comme il faut l’élève au centre. Plus besoin d’apprentissage : faisons du savoir à partir de l’inculture crasse de nos élèves. Trouvons le génie dans la tête des élèves plutôt que de leur faire découvrir celui des classiques. Grâce à Mathilde Levesque, les enseignants ont enfin une méthode : bidonnez-vous avec les gosses, ils vous trouveront géniaux.

Après tout ce n’est pas la première fois que l’enseignant cherche un nouvel angle, une nouvelle manière d’attraper les élèves. Jacques Rancière et son Maître Ignorant, François Bégaudeau, qui était bien meilleur en chanteur punk, essayait en admettant un joyeux bordel constructif de réveiller les plus endormis, mais cela ennuyait les meilleurs. Mathilde Levesque prend le parti de rire avec eux. Se rend-elle compte de la moquerie que représente le simple fait de noter ces échanges ? Jean-Marie Gourio a vu le génie populaire en relevant ses brèves de comptoir. Jean-Michel Ribes, en a fait du théâtre puis du cinéma. Il a voulu élever au rang d’art des sombres délires de poivrots adorables, de clochards célestes bien de chez nous et il leur a ainsi enlevé toute leur magie.

Mathilde Levesque ne fait rien d’autre que d’élever au rang de finesses d’esprit, des propos lancés par des lycéens démunis face à la culture littéraire. Vouloir donner ses lettres de noblesse aux ignorants, n’est-ce pas passer pour l’un d’entre eux ?

 

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Christophe Berurier

Christophe Berurier est professeur. Il aime les mots et le vélo.

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