Emmanuel Godo publie Maurice Barrès, Le grand inconnu, aux éditions Tallandier. Bien plus qu’une biographie, il s’agit d’une somme remarquable à propos de l’un des plus grands écrivains français, pourtant relégué dans les limbes de notre inconscient littéraire.
Il existe peu d’écrivains qui ont inspiré tout un siècle avant d’être enfermé dans le grand purgatoire des lettres, à savoir l’oubli. Il existe peu d’écrivains qui ont inspiré à gauche comme à droite, d’Aragon à Thibaudet en passant par Montherlant et le général de Gaulle, tout en laissant une empreinte aussi clivante.
Nous comptons peu d’écrivains qui ont si bien incarné leur siècle que le suivant a préféré s’en éloigner. Maurice Barrès est tout cela à la fois. Les cérémonies officielles, pourtant toujours promptes à décorer, commémorer et pavoiser à la moindre occasion, ne se préoccupent même plus de l’auteur des Déracinés. L’Education nationale ne lui accorde plus aucune importance, si ce n’est dans les cours d’histoire du secondaire, pour illustrer le fourvoiement des intellectuels pendant l’affaire Dreyfus.
Trop réactionnaire ? Trop sulfureux ? Peut-être. Il n’en demeure pas moins qu’il est impossible de comprendre le XXe siècle sans lire Barrès. Aragon ne s’y était d’ailleurs pas trompé : « Les trois livres du Roman de l’énergie nationale (…) sont, qu’on le veuille ou non, un monument précieux de notre histoire littéraire. Les Déracinés, L’Appel au soldat, Leurs Figures constituent les premiers exemples en France du roman politique moderne ».
Barrès, le nationalisme et le génie de la prose
Barrès renvoie en premier lieu à la fin du XIXe siècle, à l’affaire du Panama, à l’essor du boulangisme, et l’affaire Dreyfus suite à laquelle il sera à jamais marqué au fer rouge. Emmanuel Godo retrace remarquablement l’itinéraire intellectuel, politique et spirituel du jeune Lorrain à jamais marié à sa terre et à ses morts, pour qui la grandeur de la France est indissociable de son panache littéraire et du souvenir de sa gloire. Godo le note justement : « Sans l’enthousiasme, sans la sainte folie, la France cesse d’être la France pour ne plus être qu’une ombre parodique ne fournissant plus à ses enfants le destin dont ils ont besoin pour que la vie fasse sens ».
L’oubli de Maurice Barrès n’est peut-être pas à chercher du côté de son antisémitisme (cela n’empêche pas Céline d’être encore étudié au lycée), mais plutôt de sa désuétude. L’exaltation patriotique, moquée puis dénigrée depuis – a minima – la deuxième moitié du XXe siècle par les pontes progressistes et internationalistes, a eu raison de Maurice Barrès. Le « rossignol des carnages », déjà moqué pour son lyrisme des tranchées durant la Grande Guerre, n’a pas, en dépit de son indiscutable génie, survécu aux fourches caudines de la post-modernité.
Il faut pourtant lire et relire Maurice Barrès, bien plus encore que pour tenter de comprendre une époque révolue. C’est un style, un souffle, une hauteur de vue parfois époustouflante, c’est un subtil mélange de gravité et de légèreté, c’est une célébration charnelle de la terre comme une invitation au voyage. L’ouvrage d’Emmanuel Godo invite à s’y replonger, parce qu’il expose brillamment tout à la fois la maestria barrésienne tout comme les failles du personnage. A la fin du livre, il rappelle justement les propos touchants de Léopold Sedar Senghor, qui illustrent à quel point Barrès a dépassé les frontières comme les clivages : « La voix de la Lorraine, l’appel de la Lorraine, c’était pour moi qui était un exilé, sous la grisaille de Paris, c’était la voix de la terre sérère. Le sang lorrain, c’était le sang sérère ».