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Sonnez trompettes, dansez Samba, vivez Football. La coupe du monde vient de débuter au Brésil, que l’on voit déjà (ré)apparaître lors du match inaugural opposant le Brésil et la Croatie, le sempiternel débat sur l’assistance vidéo et l’utilisation des ralentis après une action litigieuse.

Jeudi 12 juin 2014, le monde entier a les yeux rivés sur le stade de Sao Paulo pour le match d’ouverture qui oppose le Brésil, hôte de ce mondial, à la Croatie, noble sparring-partner. Puis tout bascule. 70ème minute, l’attaquant brésilien Fred est fauché (?) dans la surface, l’arbitre japonais Yuichi Nishimura n’hésite pas un instant et indique le point de penalty. Plus tard ce même arbitre invalide un but pour les croates et le Brésil l’emporte finalement par trois buts à un.

N’en jetez plus la coupe est pleine. Les réactions s’enchaînent sur la toile mais aussi dans tous les bureaux de la rédaction, les journalistes sportifs en tête. On dénonce les faveurs dont fait l’objet le Brésil, on crie à l’injustice, certains auront même l’outrecuidance de parler de complot et d’une secrète alliance entre les membres de la FIFA, Michel Platini pour ne citer que lui et le corps arbitral. Les adeptes de la technologie et d’un football propre déterrent alors le débat sur la vidéo, « le » remède suprême aux maux dont souffrirait le football.

La morale footballistique face au jugement humain

Dans son ouvrage  Eloge du mauvais geste l’auteur et agrégé de philosophie Ollivier Pourriol analyse la faute aggravée comme « un acte singulier » qui révèle le « génie » d’un homme ou encore l’expression d’un « chef-d’œuvre à l’envers ».

Il est désormais nécessaire au nom de la Justice de lutter contre la fraude au ballon rond et de poursuivre les personnes qui ont peu de considération pour la loi du sport et le respect que ce dernier incombe. Le football serait devenu malgré lui l’un des derniers bastions de l’immoralité. Aux valeurs présumées des autres disciplines s’opposent inexorablement celles en perdition du football et de ses principaux acteurs. S’il est encore impossible d’imposer à un joueur un comportement approprié hors du terrain, il est permis par la grâce de l’enregistrement de le punir de ses mauvaises actions lors d’une rencontre. Dans une période où la morale intègre tous les pans de la société, que ce soit la moralisation de la vie politique ou l’émergence d’une morale en économie, il est encore un domaine qui n’a pas eu son vaccin anti-vaurien. La mise en place de la vidéo permettrait de rétablir la vérité sur les terrains et de punir le mauvais geste, la simulation ou encore le coup hors champs et de ce fait de réhabiliter le juste.

Néanmoins le football est aussi et surtout une histoire humaine. L’Homme étant perfectible, il est nécessaire de le laisser exprimer ce droit à l’erreur, ce choix cornélien de siffler ou non une faute présumée. Vouloir instaurer la technique dans les stades c’est nier l’essence même de l’Homme : la possibilité d’exercer son libre-arbitre et son pouvoir d’interprétation. Dès lors l’idée de supplanter à l’homme son pouvoir décisionnaire au profit d’une technique quasi divine supprime tout jugement humain parce que trop éloigné de la Vérité. Pourtant la vérité d’un moment est la seule permise tant son absolue n’existe pas dans le football. Elle est en effet soumise à l’instantané de la pensée et à une réaction immédiate voire irréfléchie d’un juge arbitre. La soi-disant réponse apportée par la vidéo et le visionnage des actions litigieuses est elle-même sujette à interprétation et donc à débat. Il n’en finit plus.

Dans son ouvrage  Eloge du mauvais geste l’auteur et agrégé de philosophie Ollivier Pourriol analyse la faute aggravée comme « un acte singulier » qui révèle le « génie » d’un homme ou encore l’expression d’un « chef-d’œuvre à l’envers ». Le mauvais geste perçu par le plus grand nombre comme un acte immoral mérite ainsi à de rares moments qu’il soit autant magnifié que l’acte sublime tant il répond a un instinct primaire lui aussi inhérent à l’Être Humain. Tout le monde a encore en mémoire la « main de Dieu » de Maradona, le symbole de l’acte inconscient d’un résistant face à l’Angleterre et ce, en plein conflit des Malouines.

La mise en garde de Martin Heidegger

Accepter les images enregistrées au nom d’une morale qui se veut juste et équitable au détriment du jugement humain renvoie au recueil  Discours sur la technique du philosophe allemand Martin Heidegger qui, dès 1954, analysait les limites de l’omnipotence de la technique dans la société.

La présence de l’arbitrage vidéo au sein du football représenterait dans le discours Heideggérien le symbole des dangers provoqués par la technique et de sa surexploitation. Ainsi Le philosophe allemand soutient que l’Homme vit dans l’illusion qu’il maîtrise la technique et que celle-ci n’est qu’un objet permettant à celui qui l’utilise d’arriver à des fins dominatrices. Or la technique tient l’Homme en son pouvoir, L’Être Humain n’est plus maître de lui et de son destin ; il devient alors esclave de la technique et s’apparente à présent à un technicien. Par ailleurs le philosophe affirme que la technologie contraint l’homme à plier face à elle, remettant en cause l’essence même de l’Être (le Gestell). Désormais la technique permet seule de déceler le vrai sous forme d‘une vérité scientifique qui a pour fondements l’objectivité et son caractère vérifiable.

Dès lors l’intervention de la technologie comme instrument de mesure de la véracité d’un acte dans le monde du football renvoie l’Homme à sa servitude. Autrefois arbitre, le référé devient sous les semonces des partisans de la vidéo un simple technicien au service d’une cause dont il ne maîtrise plus les outils. Jadis acteur principal d’une décision, il symboliserait pleinement le technicien dont le libre arbitre s’est réduit comme peau de chagrin à un simple coup de sifflet objectif et véridique sou l’œil bienveillant des caméras.

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Andrés Rib

Ancien de la Sorbonne. Professeur de Lettres. Aime le Balto, et la Philo.

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