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Elles essaiment dans les villages, les gares, les boulevards. Elles sont autant de surprises qui surgissent au gré de nos flâneries, autant de petits bonheurs qui constituent des moments volés au temps qui s’accélère chaque jour davantage. Les boîtes à livres sont des petites merveilles du quotidien.

Paris, ouest parisien, début septembre. Les premières feuilles mortes jonchent les pavés, les écoliers traversent à nouveau la rue endossant un cartable beaucoup trop grand pour eux, les parents se retrouvent devant les écoles pour se raconter leurs vacances estivales. Pendant ce temps, je vois la cohue habituelle se former à nouveau à la sortie d’un parc. Là, à l’abri des platanes, une cabane aux vitres qui ne tiennent que grâce à quelques morceaux de Scotch, se joue un ballet journalier au cours duquel on s’invective, on se dit bonjour, on se marche sur les pieds, on s’ignore ou on se sourit. Une boîte à livres. Une simple bicoque qui prend l’humidité, mais dont le parfum attire les lecteurs comme des abeilles.

Elle permet tantôt de se souvenir de Juliette Benzoni, de découvrir Pearl Buck ou de remettre la main sur un Picsou Magazine de 1992 (ma plus belle trouvaille). Elle nous fait aussi repenser non sans regret qu’Amélie Nothomb publie un livre par an, qu’Elizabeth Teissier raconte n’importe quoi chaque année (comme Amélie Nothomb), que les recueils de pensées de Sim sont sous-estimées (pas comme Amélie Nothomb). Point de classification par genre, ni d’ordre alphabétique, ni de rangement par collection. La bonne franquette littéraire : quelque chose de très français, au fond.

Il y a parfois des livres de valeur, délaissés comme peuvent l’être les vieux beaux aux terrasses des cafés qui se désolent de leur solitude. La boîte à livres est un microcosme, peut-être le dernier, au sein duquel coexistent la culture populaire et l’élitisme, la ringardise la plus totale comme l’exigence la plus haute. Les Harlequin trônent à côté des Points Seuil. Guillaume Musso siège d’égal à égal avec Joseph Kessel.

Les boîtes à livres, une histoire d’abandon

Les boîtes à livres signifient une pluralité. De ses visiteurs, d’une part, car elles ameutent le passant – l’être différent par essence – qui peut appartenir à n’importe quelle classe sociale, peut revenir ou se rendre à n’importe quelle activité (promener son chien, revenir de chez sa maîtresse, rentrer d’un enterrement, aller au travail), qui se retrouve in fine parmi d’autres badauds pour examiner les mêmes tranches de livres abandonnés. Pluralité, d’autre part, car ces oeuvres laissées sur les étagères renferment leurs secrets.

Il y a les livres balancés en vrac sur le présentoir, qui indiquent un déménagement soudain. Lorsque je trouve une pile de manuels scolaires, je pense au professeur qui a peut-être tourné la page de son métier, ou qui a obtenu sa mutation, et s’est délesté de ses Bordas avant de prendre un autre chemin. J’ai vu un jeune homme ranger soigneusement une belle collection du théâtre de Molière, et lorsque je lui ai demandé pourquoi, il m’a répondu que ces livres appartenaient à sa grand-mère, qu’il venait vider son appartement avant de repartir à l’étranger. Je lui ai promis de les ramener chez moi, et d’en prendre soin.

Les boîtes à livres sont des orphelinats immatériels. Ces livres, je les ai adoptés. J’ai déjà tout Molière, mais j’ai symboliquement offert un toit à ces laissés-pour-compte croisés au hasard de ma promenade. Si elles offrent un refuge pour les curieux loin du bruit, de l’anxiété et du spleen de la ville, elles permettent aussi à ces volumes de trouver leur place au milieu d’autres congénères. Il y aura toujours des exemplaires de Marc Lévy ou les mémoires de Christophe Dechavanne. Mais un chercheur d’or passe lui aussi l’eau d’un fleuve au tamis pour dénicher une pépite. Je m’en irai donc dès demain jouer des coudes devant ma boîte à livres habituelle, pour jouer durant une dizaine de minutes une sorte de Jean Valjean des collections PUF et sauver un livre de l’abandon pour lui redonner sa pleine dignité, à savoir être rangé dans une bibliothèque.

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Julien Leclercq

Fondateur du Nouveau Cénacle et auteur de "Catholique débutant" paru aux éditions Tallandier.

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