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Né en 1925 en Suisse, Philippe Jaccottet est décédé le 24 février à Grignan, dans la Drôme. Il définissait d’ailleurs cette ville comme « le lieu avant tous les autres », celui de son inspiration, de ses chants, de ses vers, bref, le cadre qui seyait le plus au poète.

La tâche peut paraître insurmontable, voire paradoxale. Une fois les dernières nécrologies rédigées (plutôt qu’écrites) par les copieurs/colleurs patentés des rédactions en ligne, comment rendre hommage à Philippe Jaccottet ? Comment l’évoquer sans verser dans une emphase qu’il a toujours cherché à fuir ? Comment chanter les louanges du poète qui tentait de ne pas succomber au lyrisme ? Comment résumer une poétique qui, intrinsèquement, fuyait la théorie ?

Walt Whitman estimait qu’il n’y avait pas de grands poètes sans de grands lecteurs et, concernant Jaccottet, le constat paraît même trop simple. Traducteur de L’Odyssée, mais aussi de Goethe, de Musil ou de Rilke, Philippe Jaccottet habitait la langue française et peut-être aussi celle du monde. L’effort du traducteur se retrouve ainsi dans celui du poète retranscrivant le verbe de la nature et du sensible, dans un effort constant de justesse.

L’écriture mise à nu

Justesse. Philippe Jaccottet n’est pas le poète de l’emphase, ni celui au « front éclairé », héritage du romantisme français et de la théorie hugolienne, qui doit réveiller et enseigner les foules. Jaccottet est le poète de la note juste ou, plutôt, celui de la recherche de la note juste. Comme il le confie dans un entretien restitué sous le titre De la poésie (Arléa, 2020) : « Je crois qu’il y avait en moi, depuis longtemps, un agacement, un éloignement à l’égard de la poésie surréaliste, où l’abus de l’image me paraissait particulièrement net, et où je trouvais que, finalement, je ne voyais que des mots ».

Jaccottet, poète de l’effacement, de la quête du silence. Il a restitué le floral, le minéral, s’abandonnant au rythme des saisons. Comme Guillevic, l’influence de la poésie asiatique et plus particulièrement celle des haïkus a été déterminante. Même s’il refusait d’endosser le costume du philosophe comme celui du théoricien de la littérature, il n’en demeure pas moins que son entreprise poétique signifie quelque chose. Surtout au XXe siècle, après les drames qui ont éteint le lyrisme dans le coeur des poètes et, plus prosaïquement, pendant et après le triomphe du structuralisme qui a parfois étouffé la littérature sous le jargon universitaire.

Philippe Jaccottet nous manque déjà. Avait-il tout dit ? A-t-il non seulement cherché à tout dire ? Un rapport à la poésie, né avec Apollinaire, poursuivi chez Reverdy, s’est éteint avec le poète de Grignan. Il nous reste sa mélancolie contenue, son dépouillement, son dénuement qui résonne encore dans ces vers inoubliables tirés de ses « Pensées sous les nuages » : « Mais chaque jour, peut-être, on peut reprendre / le filet déchiré, maille après maille, / et ce serait, dans l’espace plus haut, / comme recoudre, astre à astre, la nuit… ».


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Julien Leclercq

Fondateur du Nouveau Cénacle et auteur de "Catholique débutant" paru aux éditions Tallandier.

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