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Il faut se changer les idées. L’actualité nationale et internationale nous submerge depuis deux semaines. Partons un peu, laissons l’agitation du monde.

Après deux années à l’Ecole Estienne où elle a suivi un parcours d‘illustrateur, Claire Fauvel est passée par l’école d’animation des Gobelins. Elle est ensuite entrée dans l’univers du dessin animé pour revenir finalement à ses premiers amours : l’illustration et donc la bande-dessinée. Elle publie chez Casterman Une saison en Egypte. Un voyage initiatique et romantique. Rencontre avec un jeune talent de la BD dans un bar parisien un vendredi après-midi.

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Christophe Dickès : Quel est ton premier souvenir de bande-dessinée ?

Claire Fauvel : Comme tout le monde, j’ai lu chez moi des classiques de la BD comme Tintin, Astérix, etc. Puis au collège, j’ai découvert les mangas, les fameuses BD japonaises, à la bibliothèque municipale : Monster de Urasawa, Akira de Katushiro Otomo… Je lisais autant les shojos pour un public féminin que les shonens qui, eux, sont destinés aux garçons. Cette expérience m’a donné envie de dessiner, de raconter des histoires. J’ai eu envie de passer de la lecture à la création. J’ai toujours trouvé qu’il existait des choses intéressantes dans tous les univers du manga. Ce n’est qu’après que j’ai redécouvert la BD franco-belge.

« Quand j’ai fait cette BD, je travaillais seule. Je l’ai écrite chez moi ».

C.D. : Ta première BD est donc publiée chez Casterman ! Un coup de chance ?

C.F. : Je pense que c’est un coup de pot oui (rire) ! J’avais une idée d’histoire. J’ai envoyé un peu au hasard quelques planches et un synopsis à des gros éditeurs que je connaissais. Je me disais que cela n’allait pas marcher et finalement Casterman m’a répondu qu’ils étaient intéressés.

C.D. : Comment travailles-tu ? Quelle est la journée type d’un dessinateur ?

C.F. : Quand j’ai fait cette BD, je travaillais seule. Je l’ai écrite chez moi. Mais avec le temps, j’ai eu du mal à me concentrer. Aujourd’hui, je suis dans un atelier avec plusieurs illustrateurs/auteurs. Donc, comme tout le monde, je me lève le matin et je vais au travail à l’atelier. Je préfère désormais cette méthode de travail.

En revanche, j’ai besoin de m’isoler dans ma phase de construction du scénario. Je dois me concentrer, me mettre dans la peau de mes personnages. Je dois être dans le silence total. Je ne mets pas de musique…. Après, pour la phase du dessin, les choses sont différentes et je vais à l’atelier. A l’extérieur, je me ballade aussi avec mon cahier à dessin, mais je suis peu discipliné sur cette pratique. Hier, j’ai vu des jazz men et j’ai eu envie de les dessiner, de saisir des expressions en les croquant….

C.D. : Le secret d’une artiste en BD, c’est le regard ?

C.F. : Moi je crois plutôt que c’est le travail (rire).

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C.D. : En lisant Une saison en Egypte, j’ai pensé à deux auteurs de BD : Manuel Fior pour Mademoiselle Else et à l’univers oriental de Sfar. Tu as des maîtres en BD ?

C.F. : Cela dépend du scénario et du dessin. Mais en dessin, j’aime effectivement énormément Manuel Fior. C’est vraiment mon auteur préféré. J’aime Blutch et Sfar aussi, ainsi que Christophe Blain… Ce sont des maîtres pour moi au sens propre c’est-à-dire des sources d’inspiration qui me donnent envie de m’améliorer.

« J’aime le rythme du manga où l’on prend le temps de découvrir le personnage ».

C.D. : Certains dessinateurs souhaitent coller à une réalité historique en faisant de nombreuses recherches. Est-ce ton cas ?

C.F. : Oui, j’ai fait beaucoup de recherches pour Une saison en Egypte et j’ai eu beaucoup de chances car j’ai trouvé une documentation importante afin de mieux saisir la réalité de l’époque : la photographie apparaissait, les peintres orientalistes ont aussi créé énormément de choses… Mais ma BD ne se veut pas historique. Je souhaitais simplement que mon dessin soit crédible. Je suis partie d’une base, que j’ai interprétée à ma façon.

C.D. : Ta BD fait 184 pages ! C’est absolument énorme dans le monde de la BD et surtout pour une première ! C’est le virus manga ?

C.F. : Oui, je pense que cela m’a influencé sur le plan de la narration car les mangas sont longs ! J’aime le rythme du manga où l’on prend le temps de découvrir le personnage, d’évoluer avec lui sur plusieurs tomes. Oui inconsciemment, cela m’a marqué.

C.D. : Il y a cette lenteur poétique dans ton récit et les images silencieuses sont importantes.

C.F. : Je voulais vraiment que cela soit une errance, un voyage. Je voulais qu’on prenne le temps de faire des pauses, qu’il y ait des moments de contemplations, que l’on découvre aussi le pays. Des fois, je me demande si j’en ai mis assez ou pas. J’avais vraiment envie de prendre des moments purement contemplatifs. Mais définir le rythme de la BD a été très difficile. Je me suis posé beaucoup de questions à ce sujet.

« J’ai eu envie de faire une histoire optimiste ».

C.D. : Une saison en Egypte se passe à la fin du XIXe siècle. Pourquoi avoir retenu une telle époque ?

C.F. : L’époque artistique et littéraire me fascine. J’aime beaucoup la littérature du XIXe siècle mais aussi la peinture. J’adore les impressionnistes et les orientalistes. D’où l’Egypte. Quant à la Russie, puisque un des héros vient de là-bas, j’adore Tolstoï et Dostoïevski. Comme ce héros est poète, je me suis lancé dans une anthologie de la poésie russe et j’ai retenu un très beau texte de Fiodor Tiouttchev que j’ai placé en tête d’ouvrage.

C.D. : Ton héros justement, qui s’appelle Sacha, semble suivre un chemin de rédemption ? Il renaît…

C.F. : Peut-être ai-je été trop gentille. J’ai eu envie de faire une histoire optimiste. Cela me plaisait de montrer la vie et le parcours d’un homme qui y arrive tout simplement. Le héros au début est mal dans sa peau, torturé. Puis il s’en sort. Mais je refuse l’idée de manichéisme. A la fin, le héros est toujours dans sa solitude, il n’a pas réglé tous ses problèmes. Mais il a évolué et a gagné en assurance. Il a réussi à devenir poète…

C.D. : Justement tu termines avec quelques vers. Ils sont de toi ?

C.F. : Oui, c’est moi qui les ai écrits. Cela a été difficile car la poésie est vraiment un art et un talent à part entière. Mais je voulais terminer par un poème à cause de mon héros. Même les dialogues pour moi sont une difficulté. J’estime avoir peu de talents littéraires… Et je dois faire évoluer mon écriture.

C.D. : Quelle place possède la littérature dans tes choix ? Quelles ont été tes inspirations littéraires ?

C.F. : Quand j’ai commencé mon histoire, je terminais Anna Karénine de Tolstoï. J’avais envie de faire une histoire romantique. Quant à l’Egypte, j’ai lu le Voyage en Orient de Gérard de Nerval, la Correspondance de Flaubert. Pierre Loti aussi m’a beaucoup inspiré. Je voulais comprendre le regard de l’Occident sur l’Orient, ce regard fantasmé.

C.D. : Officier de marine, grand voyageur et romancier à succès, Pierre Loti a sillonné le monde en quête d’ailleurs et d’idéal. Il y a chez tes personnages une quête d’un idéal ?

C.F. : Mes héros sont tous les deux artistes : Sacha est un poète, Alexandre est un peintre. Ils sont à la recherche du beau et donc d’un idéal…. Ils sont tous les deux romantiques. Alexandre, le Français, est un enfant gâté. J’aimais l’idée que les deux personnages soient différents mais qu’ils aient une sensibilité commune. Sacha est introverti quand Alexandre est extraverti… très à l’aise.

« Je ne voulais pas un happy end trop mièvre« .

C.D. : Le voyage a pourtant était initiatique pour Sacha, en dépit de l’échec. Même pour Alexandre…. Néanmoins, les histoires d’amour finissent toujours mal ?

C.F. : Oui, je suis un peu pessimiste sur le sujet… Je ne voulais pas un happy end trop mièvre ; je voulais une forme de réalisme. Une fin qui ne soit pas heureuse. Les histoires d’amour sont cependant très complexes et très différentes. Mon histoire montre aussi qu’il n’y a pas de règles pré établies.

C.D. : Quels sont tes projets ?

C.F. : Je souhaite sortir du XIXe siècle, me lancer dans les temps contemporains. J’ai des idées mais je ne t’en dirai pas plus (rire)….

C.D. : Quelques dernières questions en one shot : la dernière bd que tu as lue ?

C.F. : Tempête au haras de Jérémie Moreau et Chris Donner. C’est une très jolie BD pour les enfants.

C.D. Ton livre de chevet ?

C.F. : Le livre que je relis beaucoup est Demandes à la Poussière de John Fante.

C.D. :Ton plus beau souvenir d’auteur ?

C.F. : Les rencontres aux festivals. Au Salon de Saint-Etienne en octobre, j’ai rencontré une jeune fille qui m’a fait lire ses poèmes. Elle m’a envoyé plusieurs emails et on a échangé.

C.D. : Ton peintre préféré ?

C.F. : Les impressionnistes de manière générale. Et je vais citer Manet, Degas et Renoir.

C.D. : Merci Claire !

C.F. : Merci à toi.

Propos recueillis par Christophe Dickès

Christophe Dickès

Christophe Dickès

Docteur en histoire contemporaine des relations internationales, Christophe Dickès est spécialiste de l’œuvre de Jacques Bainville, auteur de Jacques Bainville, les lois de la politique étrangère (Bernard Giovanangeli Editeur) et Bainville, la Monarchie des Lettres (Robert-Laffont, coll Bouquins). Spécialisé aussi dans l’étude du catholicisme contemporain, il a dirigé chez Robert-­Laffont un Dictionnaire du Vatican et du Saint­-Siège (coll. Bouquins). Son dernier livre, Ces 12 papes qui ont bouleversé le monde (Tallandier), est une réflexion sur le pouvoir et la grandeur pontificales des origines à nos jours.

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