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Contre toute attente, « A show about nothing » est devenu l’une des séries les plus regardées de tous les temps. Les protagonistes n’évoluent pas, ne changent pas, ne deviennent pas meilleurs, bien au contraire. Leur entourage demeure lui aussi dans une mesquinerie presque militaire, et cela pourrait effaroucher le quidam, habitué des sitcoms convenues et rassurantes. Il n’en n’est rien. A l’occasion des 25 ans de la série, retour en arrière.

A l’aide de dialogues enlevés, Jerry Seinfeld choisit la futilité. Celle-ci devient le principe primordial de cette comédie humaine des temps modernes. Les personnages ainsi créés parviennent à faire de situations, a priori fort ennuyeuses, des mausolées de la pantalonnade nord-américaine, de ce que l’humour américain a produit de mieux depuis l’après-guerre. Et s’il n’y avait que ça. Car il nous faut parler de l’impact culturel sur les populations, en tout cas aux États-Unis. En France, le doublage avait fini d’achever toute tentative pour saisir et apprécier ce diamant du petit écran. Reste qu’un certain nombre d’expressions issues de la série sont entrées dans la culture populaire américaine, occupant aujourd’hui une place de choix.

L’absence de morale : en route vers des sommets de rire

La chronique du temps qui passe est sublimée par un réalisme fertile, sans jugement, qui, loin de rebuter le téléspectateur, a contribué à créer un phénomène dont l’universalité n’est plus à démontrer.

La principale raison de ce triomphe planétaire peut paraître déconcertante. Il n’y a pas de morale. Jerry fait du Balzac. Dans ces scénettes du quotidien new-yorkais, la préoccupation essentielle est de dire le néant, pour exprimer le réel. Quand Susan décède d’avoir lécher de la colle d’enveloppes périmée ou lorsque Newman et Kramer emploient des sans-abris pour leur entreprise de pousse-pousse, on reste perplexe face à tant de comportements mesquins. La chronique du temps qui passe est sublimée par un réalisme fertile, sans jugement, qui, loin de rebuter le téléspectateur, a contribué à créer un phénomène dont l’universalité n’est plus à démontrer.

Ces personnages possèdent ainsi tous les défauts du monde. Ils sont puérils, égoïstes, et méprisants envers tout ce qui n’est pas comme eux. Refusant l’altérité la plus élémentaire, ils deviennent étrangement rafraîchissants, tant leur espièglerie tranche avec la tendance actuelle.

L’excès de normalité, un nihilisme moderne ?

Remarquables, ces fantaisies insignifiantes s’entrelacent au hasard de ces scènes de la vie humaine, dans tout ce qu’elle a de plus sommaire.

Plus de 15 ans après l’arrêt de la série, son succès ne se dément pas. Car à la fin, contrairement à un grand nombre de productions parfois insipides, et le mot est faible, on reste fasciné par la force de ce rien. Ce rien dont on ne peut détourner le regard, car il nous renvoie une image perspicace de ce qu’est devenu l’être humain civilisé : un individu moyen, voire médiocre, se contentant souvent de gloires minables et sans conséquence. Car c’est bien du refus de la conséquence dont il s’agit. Les différents personnages se comportent, en cela, comme des enfants. Agissant de manière impulsive et ne prenant jamais en compte les inclinations d’autrui.

Celles-ci ne semblent tout simplement pas pertinentes, voire seraient un obstacle au bonheur immédiat du confort paisible de l’habitude. Benjamin Constant nous disait ainsi « rien n’est plus absurde que de prétendre faire violence aux habitudes, sous le prétexte de mieux diriger les hommes dans le sens de leurs intérêts. Le premier de leurs intérêts est d’être heureux, et les habitudes forment une partie essentielle du bonheur. »

Là est résumée l’essence de Seinfeld. Une série sur les habitudes, saupoudrées de dialogues lumineux, où la répartie est élevée au rang d’art mineur. C’est aussi l’arôme rabelaisien d’un Kramer vivant dans sa douche, ou d’un George voulant allier ses deux passions : les délices de la chair et ceux de la nourriture. Ces plaisirs s’inscrivent dans un nihilisme pur, qui se manifeste avec une grandiose vitalité. Pour Jerry, Elaine et les autres, disciples d’Heidegger, rien n’a de valeur, « tout est nul, à tout égard ».

Une nostalgie aussi, celle d’une époque où les smartphones étaient absents, où le verbe polisson s’imposait comme le fondement de toute interaction humaine, défrichant les esprits rebelles et stimulant l’intellect rusé. Car s’il est vrai qu’un sms peut aujourd’hui susciter les réactions les plus inattendues, il en est autrement des joutes verbales auxquelles se livrent les interprètes.

Parfois réduites à un laconique « Hello Newman », elles n’en provoquent pas moins l’hilarité du téléspectateur averti. Remarquables, ces fantaisies insignifiantes s’entrelacent au hasard de ces scènes de la vie humaine, dans tout ce qu’elle a de plus sommaire. Il se passe alors une chose extraordinaire, miraculeuse : la multitude et le microcosme se passionnent pour cette œuvre. La luxuriance des moments désopilants a eu raison du rempart séparant le bas peuple de l’aristocratie culturelle. Des univers sociaux contradictoires finissent par converger dans une adulation populaire.

Car Seinfeld, c’est nous.

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Rémi Loriov

Rémi Loriov est un homme libre qui s'intéresse à tout. On dit souvent à son propos : "personne ne sait ce qu'il fait, mais il le fait très bien." Il aime les histoires.

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