Partagez sur "« White » de Bret Easton Ellis : le SOS d’un écrivain en détresse"
White (éditions Robert Laffont) de Bret Easton Ellis est le livre d’un circonspect. Pour son premier essai, 28 ans après le furieux American Psycho, l’auteur américain déroute. Car il ressort de la lecture de White un sentiment étrange… Mélange d’incompréhension, d’ennui et de réception parfois nébuleuse d’un propos volontairement (ou pas) décousu. Mais pas dénué d’intérêt nous y reviendrons.
Bret Easton Ellis commence, et cela reviendra comme un leitmotiv de manière cyclique dans la narration du livre, par un bref passage autobiographique. L’auteur entremêle constamment réflexions sur notre monde et anecdotes sur son passé. Il passe de l’un à l’autre sans crier gare, si bien que l’on se demande souvent par quel fil conducteur relie les deux éléments. Mais cette discordance, omniprésente au premier abord, devient petit à petit claire à nos yeux davantage accoutumés à sa construction étonnante. Passé le laps de temps d’adaptation nécessaire, le livre – et par extension son auteur – se dévoile. À la croisée donc de l’essai et de l’autobiographie, White raconte le parcours du célèbre écrivain dans le milieu culturel américain. Ancienne rock-star des plateaux-tv, tête de gondole des librairies, ex-cocaïnomane et noctambule patenté, Bret Easton Ellis se laissa lentement mais sûrement, au cours des années et de ses crises existentielles, distancier par la course folle du monde. Se complaisant autant que faire se peut dans son statut de notable des belles-lettres, il nous livre son ressenti global sur la société vue par le prisme de son nombril, organe plus affuté qu’il n’en a l’air…D’acteur de premier plan dans le milieu ultra-bourgeois de la haute culture américaine des 80’s à 00’s, ce qu’il ne cesse de répéter non sans un certain snobisme, Bret Easton Ellis mua en un personnage certainement plus « libre », dégagé de toute appartenance politique et avide d’épingler les travers de la caste d’ « en haut ». Le cœur du livre décrit ce qu’il appelle le « post-Empire ». Il théorise cette mouvance comme: de gauche, identitaire, exacerbée, narcissique à l’extrême, sans recul sur aucun sujet et constamment dans l’affrontement idéologique. Épousée avec passion par les « Millenials» (génération née entre 1980 et 2000), celle-ci succède selon lui à l’idéologie de « l’Empire », à savoir grosso modo le capitalisme, dans sa philosophie globale, de ses grandes heures de gloire jusqu’au krack boursier de la crise économique de 2008.
Bret Easton Ellis, écrivain « suspendu »
Certes cette dénonciation d’un nouveau politiquement correct, sous des dehors progressistes et œuvrant dans l’intérêt d’un bien abstrait n’est pas neuve. Et si l’on voulait rapidement balayer d’un revers de main ce livre, on afflubleraitBret Easton Ellisdu tampon facile et classique « réactionnaire-conservateur », d’avoir dérapé même ! Néanmoins ce livre mérite d’être lu entre les lignes. Il prend tout son sens lorsqu’on le regarde non pas comme une enfilade de chapitres narrant les turpitudes de l’auteur et de son ex-milieu – petit florilège de name-dropping avec Tom Cruise, Charlie Sheen ou compte-rendu jouissif sur les réactions épidermiques provoquées suite à l’élection de Donald Trump à la présidence – mais comme le testament en direct d’un écrivain déclinant, en panne sèche d’inspiration littéraire, isolé comme jamais dans la mégapole des réseaux sociaux et rejeté aujourd’hui par ses congénères de la fameuse Génération X (Génération intercalée entre les Baby-Boomers et la génération Y). Eux, certainement pas intéressés, ont embrassé les nouvelles causes modernes à défendre, installés confortablement depuis leur rooftops au soleil.
White représente la suspension de Bret Easton Ellis dans son monde, notre monde. Le désordre de ce livre atteste au fond de la profonde interrogation de l’auteur: il ne sait quel écrin choisir pour raconter son histoire comme il ne sait plus comment aborder la société.Et même si par orgueil sans doute, il se revendique en fin de récit d’être un artiste pur, à l’ancienne, pour qui la liberté est la seule inspiration, cette impression de constante hésitation parcourt le livre. Délibéré, cette écriture ? Manifestation inconsciente de l’état d’un auteur dépassé par les évènements ? Le mystère demeure…
D’où parle Bret Easton Ellis ? La réponse n’a que peu d’importance, White se lit comme le témoignage hybride ambigu, curieux, drôle, agaçant, égocentrique, d’un écrivain asséché qui fait un pas de côté et commente sa dissidence.