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Je marchais tranquillement pour me rendre au travail. En passant devant le cinéma de quartier, je vis une nuée de collégiens haut en couleur. Ils trépignent d’impatience. «On va voir un film, ça va être posé ! » s’exclame l’un d’eux. 12 years a slave, réalisé par Steve McQueen.

Ce film aurait donc des vertus pédagogiques. Je m’interroge. A la fin de ma journée de travail, je me rends donc dans l’une des nombreuses salles obscures parisiennes, espérant satisfaire ma curiosité.

On ne s’intéressera guère ici à l’intrigue. Un homme noir, libre, donc éduqué, au Nord des États-Unis, se retrouve au Sud, esclavagiste, au milieu du XIXème siècle. Ce dernier est ainsi transporté, de domaines en domaines, telle une marchandise animale. Reste que, malgré toute la tragédie que charrie son parcours, on est souvent frustré par la redondance du propos. Nous sommes des êtres humains, adultes pour la plupart, doués d’intelligence. Nul besoin donc d’étirer les scènes mettant en évidence la domination du maître sur son esclave. Cela n’apporterait pas grand-chose au propos. Il n’en n’est rien. On se retrouve à observer à plusieurs reprises les tortures endurées par le héros et ses compagnons. Le spectateur trouve par exemple le temps long devant la pendaison manquée la plus longue de toute l’histoire du cinéma. On comprend bien ce que le réalisateur veut nous montrer, mais la répétition nuit à son propos.

Quand l’acteur devient esclave de son personnage

Il n’y a pas de demi-mesure, aucune subtilité, ou si peu.

On ne laisse pas au spectateur le temps de s’imprégner des individus, de ressentir une certaine empathie à leur égard. L’injustice, évidente dans le film, est portée au pinacle, elle nous est affirmée de multiples fois, sans nous laisser le temps de digérer les scènes. La souffrance semble banalisée, les individus deviennent des personnages, dans le mauvais sens du terme. Autrement dit, ceux-ci apparaissent comme des caricatures. L’exemple du dénommée Northup avant et après son enlèvement est assez représentative. Ainsi, le Nord est une sorte de Paradis sur Terre pour les Noirs, et le Sud un Enfer. Il n’y a pas de demi-mesure, aucune subtilité, ou si peu.

On se demande aussi parfois quel est le genre du film. Est-ce un drame ? Une comédie ? Une biographie ? Quand Fassbender ou Dano poursuivent Northup pour le corriger, on reste fasciné par les mouvements des personnages, de ces maîtres dérisoires à vrai dire. Ceux-ci sont ridiculisés à l’extrême, ils trébuchent, et on entre dans le burlesque, sans aucune nécessité. On nous projette ces certitudes sans explication préalable et on ne fait pas évoluer l’histoire. Le protagoniste revient à son point de départ, rien ne change pour lui. Il abandonne sa compagne d’infortune, Patsey, dont le rôle n’a, semble-t-il, été uniquement de montrer la souffrance noire. On ne sait rien d’elle, de son histoire, de son passé. Elle est réduite à l’état de symbole. Le réalisateur ne s’est pas embarrassé de ce genre de bagatelle.

La souffrance plutôt que la complexité

Il n’a peut-être pas voulu ajouter de la profondeur à des gens ayant, de surcroît, réellement existé. Cela est dommage, car il y avait matière.

Les personnages restent ainsi désespérément plats. Ce sont des idéaux-types, au sens webberien, ils sont un. La complexité morale des interprètes passe à l’as. Il faut rappeler que le film est tiré des mémoires du héros. Il décide de ce qui est déclaré, selon ses propres termes. Il n’a peut-être pas voulu ajouter de la profondeur à des gens ayant, de surcroît, réellement existé. Cela est dommage, car il y avait matière. On voudrait même en savoir plus sur certains d’entre eux. Un couple d’une femme noire et d’un propriétaire de plantation blanc interpelle.

On voudrait en apprendre davantage. Cela nous est refusé. Car nous devons compatir à la souffrance, pléthorique, entière, parfaite, de Northup. Cela a pour effet de rendre les personnages assez monolithiques. Un film « historique » doit-il se réduire à une suite de moments d’émotion ? L’exaltation sans explication, ni légende, pour guider le spectateur, est contre-productive, et tend à flatter les sentiments les plus primaires. Car si on ne comprend pas ce qu’on observe, on est vite tenté par des raisonnements hâtifs et succincts.

Aujourd’hui, en France, le thème de la culpabilité historique est particulièrement sensible. Dans le passé, l’État français a fauté, car depuis ce début de millénaire, l’Histoire s’est découverte une morale, un nouvel uniforme un peu trop étroit pour elle. Il y a maintenant des méchants et des gentils. Espérons que ce film n’entrainera pas avec lui son lot de déclarations surannées, mais semblant sied à cet épanchement médiatique qui caractérise notre siècle. 

 

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Rémi Loriov

Rémi Loriov est un homme libre qui s'intéresse à tout. On dit souvent à son propos : "personne ne sait ce qu'il fait, mais il le fait très bien." Il aime les histoires.

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