Partagez sur "« Barbares, le retour » : l’éternelle question des civilisations"
Publié aux éditions Desclée de Brouwer, Barbares : le retour est un essai historique et philosophique écrit par Vincent Aucante. Spécialiste de Descartes et d’Edith Stein, l’ancien directeur culturel du Collège des Bernardins livre une analyse détaillée de cet éternel retour des barbares dans nos civilisations.
Des Vandales qui ravagent Carthage jusqu’aux bourreaux du Bataclan, une constante se dégage : le monde dit civilisé a toujours été confronté à la figure du barbare, que ce dernier vienne d’une autre contrée ou qu’il ait été enfanté par la civilisation. A l’origine, ce terme de « barbare » désigne le non-grec, parlant une langue qu’on ne comprend pas, qui se trouve en dehors de la cité, mais ne serait-ce pas devenu plus complexe au fil des temps et des massacres ? La barbarie, pour reprendre les termes de Vincent Acanthe en introduction, « serait-elle le miroir de la civilisation » ?
« Cette négation de soi-même que l’on retrouve au coeur de la stratégie de l’Etat islamique prend racine dans un antique terreau ».
« Qu’ils soient nomades iraniens de la steppe, Germains sédentaires des forêts, Bédouins des déserts, Turcs ou Mongols d’Asie centrale, les barbares qui ont fait trembler les civilisations de l’Antiquité et du Moyen Âge se retrouvent dans des valeurs communes » (p. 36), poursuit-il, et parmi ces traits communs il y a cette notion d’individualité qui n’existe pas. Terrible écho des temps passés ! Cette négation de soi-même que l’on retrouve au coeur de la stratégie de l’Etat islamique prend racine dans un antique terreau.
La barbarie, ce miroir déformant
Notre civilisation a engendré, et engendre toujours la barbarie. L’Autre n’est pas toujours ce réceptacle de nos peurs. L’auteur montre bien qu’en aidant Al Qaida pour faire face aux armées soviétiques en Afghanistan, les services secrets britanniques et américains ont mésestimé les conséquences de cette stratégie. Puis, c’est au sein de notre civilisation occidentale que la barbarie d’Etat est née : « Des Etats modernes peuvent revendiquer et justifier rationnellement leur choix d’un retour collectif à la barbarie », que ce soit lors de la Révolution française et ses milliers de têtes tranchées, sous Lénine puis Staline et, bien sûr, sous le nazisme.
« Le barbare a besoin d’un ennemi (toujours considéré comme « sous-homme »), et cette rivalité mimétique provoque toujours le massacre du bouc émissaire ».
Vincent Acante, se basant sur les réflexions de René Girard ou d’Edith Stein, démontre brillamment que « la barbarie à l’échelle individuelle habite toute personne » (p.145). Hitler, Staline ou Mao, en créant la figure d’un individu idéal qui aurait seul le droit d’exister ont précédé l’Etat islamique et sa charia. Le barbare a besoin d’un ennemi (toujours considéré comme « sous-homme »), et cette rivalité mimétique provoque toujours le massacre du bouc émissaire.
L’auteur avance des solutions pour contrer ce fléau, et nous laissons le soin au lecteur de les découvrir. Cet ouvrage, de par son épaisseur philosophique et historique, permet de mieux saisir les enjeux contemporains : non, nous ne sommes pas face à une situation inédite. « Des communautés égalitaires et guerrières, le mépris de la mort, la présence de femmes guerrières, la tendance au morcellement, le mépris des frontières » (p.244) sont les bases structurantes des barbares depuis toujours. Si le mal trouve toujours de nouvelles figures, son essence ne change pas fondamentalement puisque comme le montrait déjà Aristote, l’homme peut aussi se servir de sa raison pour être maléfique.
« La barbarie est accessible à quiconque : il suffit d’y prendre goût », comme le note Cioran dans La Tentation d’exister. Redonner de la saveur au monde et retrouver le doux parfum de la civilisation, ne serait-il donc pas un début pour enrayer ce fléau planétaire ?