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Avec ses 140 caractères, Twitter a révolutionné la communication entre les êtres humains et, plus largement, les rapports entre eux. Cette nouvelle manière d’écrire est un prolongement de la poétique de Charles Baudelaire. 

Twitter aurait fasciné bien des auteurs et les spéculations à ce sujet peuvent nous faire imaginer avec délice le live tweet de la guerre de Troie par Homère, Les Confessions de Rousseau en 140 signes ou les aphorismes de Nietzsche ou de Cioran au jour le jour. Tout est plausible, tant la littérature est avant tout une affaire d’ego qui se manifeste à travers des vers ou de la prose. 

Twitter et la « vaporisation du Moi » 

Nous avions déjà analysé ici les rapports entre les réseaux sociaux et le narcissisme, comme fondement d’une philosophie capitaliste qui cherche à uniformiser le monde en tentant de faire croire à chacun qu’il est unique.

Dans Mon Coeur mis à nu, Baudelaire déclare : « De la vaporisation et de la centralisation du Moi. Tout est là […] Le premier venu, pourvu qu’il sache s’amuser, a le droit de parler de lui-même ». Chez Baudelaire, le Moi devient un objet poétique à part entière – dandysme oblige – détaché du monde qui l’entoure et volontairement singulier.

« Tu le connais, lecteur ce monstre délicat, / – Hypocrite lecteur, – mon semblable, – mon frère ! »

Le succès de Twitter se trouve ainsi résumé dans cette farouche volonté de vaporiser le Moi, de le pulvériser à sa TL, de le livrer, dans un furtif délire narcissique, à l’appétit carnassier de ses abonnés qui cherchent à consommer de l’ego. De cette atomisation des Moi découle une sorte d’universalisme dématérialisé – Je tweete sur un événement, je regarde qui écrit sur la même chose pour dénicher un internaute qui vit le même instant – magnifiquement résumé dans les deux derniers vers du poème liminaire des Fleurs du mal « Tu le connais, lecteur ce monstre délicat, / – Hypocrite lecteur, – mon semblable, – mon frère ! ». Sur Twitter, chacun cherche à élever sa personne au-dessus de la mêlée tout en cherchant le retweet de son hypocrite lecteur.

Twitter et ses 140 signes mis à nu 

Delacroix déclarait que le génie du peintre était de représenter la chute de quelqu’un dans l’instant où il tombe. Baudelaire aurait pu établir le même constat, lui qui estimait dans L’Esprit public : « Aujourd’hui, il faut produire beaucoup ; – il faut donc aller vite ; – il faut donc se hâter lentement ; il faut donc que tous les coups portent, et que pas une touche ne soit inutile. Pour écrire vite, il faut avoir beaucoup pensé, – avoir trimbalé un sujet avec soi, à la promenade, au bain, au restaurant, et presque chez sa maîtresse ». Un véritable petit guide du tweet parfait avant l’heure. En 1859, il confiera dans une lettre à Victor Hugo que « Ce qui était important pour moi, c’était de dire vite tout ce qu’un accident, une image, peut contenir de suggestions ». Baudelaire est tout sauf un poète de l’émotion instantanée, il était au contraire un orfèvre capable de saisir un instant et de le rendre éternel dans un alexandrin. Il faisait du live tweet avec le génie de Boccace.

Par ailleurs, c’est finalement avec la limite des 140 signes que Twitter est baudelairien. Il indique dans ses Fusées : « Le goût de la concentration productive doit remplacer chez un homme mûr, le goût de la déperdition ». Cette sentence nous invite à dépasser le stade de la glose émotionnelle propre à l’adolescence pour saisir son émotion et la circonscrire dans les mots. Il reconnaît ainsi : « Parce que la forme est contraignante, l’idée jaillit plus intense » ; et résume deux siècles avant le succès du microblogging. La contrainte formelle ne limite pas l’expression, elle permet de la délimiter ; elle n’empêche pas de tout dire, elle permet de tout révéler en très peu de mots. Si elle réclame un effort au préalable, elle offre à l’auteur la possibilité infinie de tout signifier à ses hypocrites lecteurs. 

Bien évidemment, tous les abonnés de Twitter ne sont pas des auteurs des Fleurs du mal en puissance, loin s’en faut. Il suffit pour cela de regarder les tweets envoyés lorsque les Anges 6 sont diffusés sur NRJ 12. Mais par son approche du Moi atomisé et sa forme d’écriture limitée, Twitter n’en demeure pas moins un prolongement de l’idéal baudelairien sur la toile. 

 

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Julien Leclercq

Fondateur du Nouveau Cénacle et auteur de "Catholique débutant" paru aux éditions Tallandier.

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