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Après l’application Un texte un jour, et ses variantes anglophones, poétiques et érotiques, Sarah Sauquet publie son premier livre : un essai léger sur l’amour et la séduction à travers la littérature classique.

La couverture annonce la couleur. Du rose, des silhouettes d’hommes et de femmes lisants confortablement, et le sous-titre « coaching littéraire pour séduire », tous ces détails mal choisis par la maison d’édition, ont d’abord fait peur à la rédaction du Nouveau Cénacle. C’est vrai qu’il ne manque que les paillettes… « Encore un livre pour les nanas avec un renversement des valeurs dans le titre… ça s’annonce mal » s’est écrié Andrès Rib. Rubempré lui claqua une main sur l’épaule en pouffant de rire et m’appela à la rescousse. L’ouvrage ouvert sur la table de travail, le plan du livre apparaît : le sommaire annonce une liste de différents conseils sur l’amour et la séduction.

Tout cela transpire la petite psychologie. Heureusement dès l’avant-propos, Sarah Sauquet rassure en plaçant son essai sous le patronage d’Orlando, personnage éponyme du roman de Virginia Woolf paru en 1928. Ce roman raconte l’histoire d’un homme qui vivra plusieurs centaines d’années et qui change progressivement de sexe. D’homme il devient femme, par le pouvoir de l’imagination et de la langue magistrale de Woolf : nul besoin des docteurs Maboul d’aujourd’hui.  Ainsi l’être aimé, séduit, désiré dont parlera Sarah Sauquet tout au long de son ouvrage s’appellera Orlando. Ce haut patronage littéraire nous fait entrer dans le vif du sujet et permet de rappeler que malgré sa couverture, l’ouvrage est bien destiné à tout le monde, hommes, femmes, adolescents, car Sarah Sauquet l’écrit : « l’amour  est la grande affaire de notre vie et c’est d’ailleurs pour cela qu’on lui en demande autant ». L’auteur de ce rapport de lecture est on ne peut plus d’accord avec elle.

« L’amour  est la grande affaire de notre vie et c’est d’ailleurs pour cela qu’on lui en demande autant »

Avant d’entrer complètement dans la lecture, on remarque une autre annonce intéressante, pour l’occasion, une application dédiée a été créée et permet de retrouver gratuitement une vingtaine de courts textes supplémentaires extraits de la littérature classique. Cette manière simple d’enrichir numériquement un ouvrage manque encore cruellement dans le paysage des librairies : c’est une audace qu’il faut reconnaitre à Madame La Professeure Sauquet. La lecture sur papier n’est pas supplantée par le monstre numérique comme on veut le faire croire pour faire vite fermer les librairies : ces applications doivent servir le livre, et non le desservir. C’est un tour de force réussi que de montrer cet enrichissement possible.

Nouveau chemin amoureux

La littérature nous parle de la vraie vie et de l’amour ; toute personne en difficulté amoureuse peut y trouver des réponses. Et en effet, les quelques textes classiques cités brillent par leur pertinence.

Dans un chapitre intitulé « Prendre son temps » l’auteur s’arrête sur l’idée que la séduction doit suivre certaines étapes et progresser lentement. Pour ce faire, elle cite la fameuse Carte du Tendre élaborée par  Madeleine de Scudéry dans son roman Clélie. C’est dans ces quelques pages, situées au milieu du livre, que l’on peut trouver le projet général : « Et si l’on remettait au goût du jour la carte du Tendre ? ». Il s’agit bien de cela : Sarah Sauquet s’amuse avec la littérature classique la plus fameuse et elle l’utilise pour illustrer cette espèce de conférence sur la séduction que nous lisons. Tous les grands écrivains sont convoqués : Balzac, Hugo, Laclos, Maupassant, Molière, l’Abbé Prévost, Racine, Jane Austen et j’en passe, tous sont littéralement utilisés et usés pour défendre le propos de Sarah Sauquet : la littérature nous parle de la vraie vie et de l’amour ; toute personne en difficulté amoureuse peut y trouver des réponses. Et en effet, les quelques textes classiques cités brillent par leur pertinence.

Seulement voilà, alors que la jeune essayiste parvient à  moderniser complètement la carte du Tendre, nous regrettons le petit nombre d’extraits vraiment présents dans le livre. Même l’application numérique ne présente qu’une vingtaine de textes, ce qui peut décevoir le lecteur amateur de littérature qui reste donc sur sa faim.

Sarah Sauquet est professeure de Lettres dans un lycée depuis 10 ans, c’est la quatrième de couverture qui nous le dit.  Cela a son importance car plusieurs chapitres de l’essai dont nous parlons pourrait inspirer les enseignants de lycée qui luttent pour intéresser ou pour faire écrire leur quarante élèves par classe de Seconde. En effet, et nous pouvons le lui reprocher, l’auteur semble préférer inventer des monologues qu’aurait pu prononcer certains des grands personnages de la littérature plutôt que de livrer davantage d’extraits.  Petit exemple : à la question « Pourquoi est-ce que je ne sors qu’avec des boulets ? » (p. 160), Sauquet invente le témoignage de Gervaise, héroïne de l’Assommoir.  Toutes les informations correspondent évidemment au récit de Zola, mais ces petits textes, et il y en a plusieurs, ressemblent davantage à des sujets d’expression écrite de Bac de Première qu’à des réflexions sur la séduction dans l’histoire littéraire.

La question de la cible

En somme, Sarah Sauquet a écrit un livre pour faire le cours que les professeurs de Lettres rêvent de faire : apprendre l’amour aux lycéens à travers la littérature.

Ces inventions de Sarah Sauquet sont réellement bien écrites. Cependant elle pose la question du lectorat visé par cet ouvrage : s’agit-il d’un lectorat habitué aux oeuvres citées? Non sans doute, car ce public s’ennuierait quelque peu à la lecture de ces lignes. S’agit-il d’un lectorat exclusivement féminin comme semble le cibler la couverture ? Non, le contenu, nous l’avons vu va à l’encontre de cette facilité. S’agit-il du livre d’une professeure à ses lycéens ? Sans doute.  Interview imaginaires, fausses petites annonces matrimoniales, textos amoureux d’Emma Bovary ou de Monsieur Jourdain : autant de pages utilisées pour présenter ce qui aurait sans doute énormément de succès comme sujets de rédaction dans une classe de troisième ou de seconde. De plus, Sarah Sauquet aborde presque tous les sujets relatifs à l’amour  et à la séduction : la préparation, la drague, l’apparence, le sexe, la jalousie, l’infidélité, l’échec amoureux, et elle le fait avec humour : Cyrano de Bergerac et Christian de Neuvillette sont  appelés « Les Frères Bogdanov de la drague »… Elle aborde donc tous les sujets qui pourraient tant plaire et intéresser des adolescents, grands découvreurs de ces terres inconnues. En somme, Sarah Sauquet a écrit un livre pour faire le cours que les professeurs de Lettres rêvent de faire : apprendre l’amour aux lycéens à travers la littérature.

Ce petit ouvrage a deux défauts : les auteurs sont presque tous des hommes (dix femmes sur cinquante environ) et les amours dont parle la jeune essayiste paraissent exclusivement hétérosexuelles.  Sur ces deux points le projet échoue. Une chose est sûre, Sarah Sauquet continuera à faire lentement mais sûrement parler d’elle, car elle a l’audace de ne pas prendre la littérature trop au sérieux. C’est ce qui fait les bons professeurs et sans doute les bons auteurs. Ce livre doit  tomber entre les mains des bons lecteurs : vieux faux sages cultivés, passez votre chemin.

Jeunes plein de sang et de sève et de boutons, en mal de conseils de séduction, ce livre est pour vous : vous y apprendrez que l’amour peut se découvrir ailleurs que dans le porno, et vous y gagnerez la culture littéraire que j’aurais aimé avoir à 17 ans. Quand je n’étais pas sérieux.

 

La première fois  que Bérénice vit Aurélien, elle le trouva franchement con, Sarah Sauquet, éditions Eyrolles.

Liens :

Application « Aurélien et Bérénice », « Un Texte, Un jour », téléchargeable sur les plateformes.

Relire l’entretien entre Sarah Sauquet et Christophe Bérurier

Un article de L’Express sur l’application « Un Texte un jour »

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Christophe Berurier

Christophe Berurier est professeur. Il aime les mots et le vélo.

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