Partagez sur "« Chez Nous » de Lucas Belvaux – Le FN avait-il raison de s’énerver ?"
Enfin sorti dans les salles obscures, le film, que personne n’avait pu voir du côté de chez Le Pen s’offre aux regards du spectateur. Se donnant les atours d’un film social, Chez nous se regarde pour ce qu’il est : un petit film engagé qui n’évite pas les poncifs cinématographiques sur l’extrême droite.
Tout avait évidemment été dit sur les plateaux des journaux télévisés, sur les réseaux sociaux : ce film allait sortir en période de campagne électorale, il allait dénigrer l’un des premiers partis de France et c’était une preuve de la démocratie à plusieurs vitesses présente dans notre pays. Voilà, en substance, le discours tenu par les dirigeants du Front National, et dont les journaux, bouffeurs de non-événement avaient relayé le contenu. L’extrême droite récente montrée au cinéma c’est Dupont Lajoie d’Yves Boisset, Féroce de Gilles de Maistre, Un Français de Diastème (dont la sortie a été repoussée puis limitée suite à des menaces diverses et variées). C’est plus largement This Is England de Shane Meadows, ou encore le fameux American History X de Tony Kaye : des films qui cherchent à dénoncer le racisme ou qui se veulent témoignage d’un phénomène social bien précis, bien délimité. Pour montrer l’extrême droite au cinéma il vous faut : des hommes et femmes politiques sympathiques mais qui cachent quelque chose, de jeunes héros pas encore passés du côté obscur, ceux qui ont déjà les deux pieds dans la zone d’ombre. Il faut aussi une dose de passage à tabac d’individus dont la couleur de peau diffère des dits héros et enfin, pour faire vraiment bel effet, il vous faut rappeler au spectateur, cet ignare, que l’extrême droite fait des câlins depuis longtemps aux groupuscules identitaires : régionalistes forcenés, nazillons buveurs de bières, services d’ordre illégaux. Pour que la recette soit parfaite, il vous faut un groupe de jeunes skinheads, et la bonne musique qui va avec, ou un service d’action clandestin, au main d’un parti politique – à l’image du S.A.C. de l’ami Pasqua. Avec tout cela, vous finissez sur un repenti. Ce sera parfait.
« Le parti d’extrême droite y apparaît grignoté par une élite bourgeoise, ancienne et nouvelle génération« .
Le film de Lucas Belvaux ne manque pas de finesse sur certains points : un second rôle très bien trouvé – une bonne copine enseignante qui cache son appartenance au parti en question à cause d’une certaine pression sociale, et qui finalement fini par assumer pleinement son militantisme et son engagement – Emilie Dequenne, l’actrice principale qui rattrape à elle seule le naufrage et Catherine Jacob jouant une présidente de partie blonde, mais sans envergure. Certaines réussites donc. Mais Chez Nous tombe dans les poncifs habituels. Le parti d’extrême droite y apparaît grignoté par une élite bourgeoise, ancienne et nouvelle génération, allant du médecin de quartier recruteur de candidats, aux jeunes loups sortis des grandes écoles, évidemment catalogués dans la case catholique intégriste. Le personnage principal se fait donc allègrement manipuler par tout ce beau monde, car après tout, c’est bien normal, une petite infirmière de province ne peut pas rivaliser… C’est ce que semble penser le réalisateur, s’intégrant ainsi dans la longue liste de pourfendeurs du mal qui n’ont peut-être jamais dialogué avec un militant d’extrême droite sensé, capable d’argumenter ses engagements. Tout le film nie cette idée que l’engagement dans ce « Bloc Patriotique » puisse être simplement honnête et tenu par des êtres doués de raison.
Décrédibiliser l’engagement : une entreprise antidémocratique
Le postulat central du film tient sur l’idée que l’engagement de la jeune infirmière ne se réalise que parce qu’elle subit des manoeuvres et des manipulations de toutes parts. Le parti représenté par Lucas Belvaux ne comporte que des êtres cyniques, n’ayant comme seule et unique obsession que l’arrivée au pouvoir. Comme si l’extrême droite était la seule concernée.
« Tu n’as plus de vie privée » lance André Dussolier à la jeune infirmière quand celle-ci devient officiellement candidate. Il nous apparaît que le réalisateur se trompe sur toute la ligne : en effet, le film tente de nous faire croire que le parti politique en question n’existe que grâce à ces marionnettistes au pouvoir et à ces petits êtres, ceux du petit peuple, qui se font profondément manipulés. C’est bien mal connaître la politique française et ses militants. Les stratégies électorales, les parachutages en région, les petits arrangements sont monnaie courante depuis le début de la Ve république. La jeune infirmière du film n’en est qu’un exemple parmi d’autres. Plus largement, l’engagement de l’héroïne et celui de son amie enseignante qui passe d’un militantisme clandestin à un engagement réel et assumé semble moqué.
« Le film nous invite donc à conclure que l’engagement politique n’a de sens, que s’il n’est pas d’extrême droite, ou s’il n’a pas de sens du tout ».
C’est bien là l’erreur profonde que fait le réalisateur, que font une grande partie des journalistes, des militants s’affichant contre l’extrême droite et que fait aussi Jerome Leroy, écrivain auteur du Bloc en 2011 et co-scénariste : considérer comme impossible l’engagement d’adhésion dans ce parti. Dans un premier temps, le film nous montre que le vote d’adhésion n’est pas réellement possible, qu’il ne peut-être que le fait de pauvres hères en mal de reconnaissance et dans un second temps, c’est la notion même d’engagement politique qui est moquée et clouée au piloris. À aucun moment l’engagement de la jeune infirmière reçoit une explication. Elle apparaît comme un être non-pensant, incapable d’avoir un avis sur ce qui lui arrive. Jamais l’engagement en politique n’est décrit comme une valeur positive, comme un engagement citoyen : tous les militants apparaissent manipulés, arrivistes, cyniques, en colère ou obsédés par le pouvoir. Le film nous invite donc à conclure que l’engagement politique n’a de sens que s’il n’est pas d’extrême droite voire qu’il n’a pas de sens du tout. Ainsi, c’est bien pour cette raison que le parti de Marine Le Pen ne s’est pas trompé en décrivant ce film comme une entreprise de sape de la démocratie. Avec davantage de finesse encore, Philippot, Le Pen et les autres auraient dû laisser ce petit film faire le peu de bruit qu’il aurait fait : c’eut produit un meilleur effet quand à l’image de sérieux nécessaire à tout grand parti. Or, en réagissant à chaud, le Front National a montré le visage d’un petit garçon accusé à tort, et non l’image du prétendu premier parti de France.
L’une des grandes richesses de ce film, puisse-t-elle être voulue par le réalisateur, c’est de nous amener à la question suivante, profondément actuelle et à laquelle nous devrons répondre rapidement sous peine d’événements inédits dans les urnes lors d’élections proches ou lointaines : la démocratie française est-elle une démocratie qui accepte le débat avec les extrêmes ou est-elle un modèle, qui n’a de démocratique que le nom, dans lequel certains partis, qu’ils soient d’extrême droite ou d’extrême gauche sont évités, mis de côté, alors même que la constitution garantit leur existence ?
Liens
Bande annonce de « Chez Nous »
« Chez nous », le film de Lucas Belvaux qui énerve le FN (Le Monde)