« Sachez avoir tort, le monde est rempli de gens qui ont raison, c’est pour cela qu’il écœure ».
Céline
Si Youtube a créé des célébrités sans talent, Internet a créé des hommes politiques où le programme n’était plus l’essentiel. Et la passion des images triompha : nous sommes dans l’ « iconomanie » politique. Justin Trudeau en est son plus éclatant représentant. Entre autres choses, sa plastique de dieu grec lui a permis de l’emporter. Car si l’on mesure le talent au nombre de vues, est-ce que cela est un critère pertinent ? Est-ce que les pouces verts sont un gage de légitimité politique ? On peut espérer qu’EnjoyPhoenix se présentera à la mairie de Paris (sic).
Nous voici dans l’ère de l’autopromotion systématique : il n’est plus rare d’entendre la personne à la fin d’une vidéo nous dire la phrase suivante « N’hésitez pas à liker mes vidéos et vous abonnez ». Imaginez-vous un instant, lors d’un concert, un artiste vous intimant l’ordre de l’applaudir ?
La puissance du pouce vert, ce souvenir de jouissance exerce son éternelle tyrannie.
Biberonnés à l’infotainment, nous sommes devenus une civilisation de l’image. Les gens ne lisent plus, n’écoutent plus, ils regardent, se contentant de garder les yeux ouverts. On communique uniquement aujourd’hui par l’image, alors que les gens n’ont plus rien à dire. Snapchat a remplacé les sms, qui eux-mêmes avaient déjà remplacé la conversation téléphonique. Même dans ces « texto », vestiges coquets d’un début de décadence, les émojis ont depuis longtemps remplacé les émotions.
Depuis le débat Kennedy/Nixon en 1960, l’image avait déjà influencé les électeurs, donnant raison à Kennedy. La division des sentiments par la technique allait conditionner le vote. Pour ceux qui avaient simplement écouté le débat à la radio, c’était Nixon qui l’avait emporté. Ceux qui avaient pu visionner celui-ci ont pensé que Kennedy avait remporté la joute. L’outil télévisuel commençait déjà, doucement, à changer les esprits.
L’esprit grégaire de l’imagerie sans contenu
Soulignons que les formats Tv adorent ce type de personnage, cela leur permet de s’adonner à leur passe-temps favori : raconter n’importe quoi, se perdre en conjectures avec les fameux « experts ».
Cela a pris des proportions démesurées avec Trump, où, au-delà de son programme pour le moins étriqué, c’est essentiellement son image qui l’a fait gagner.
Le monde entier a été témoin de cette pirouette incroyable de l’homme à la chevelure d’or. Trump a d’ailleurs loué les réseaux sociaux, qui ont pour lui, contribué à sa victoire. Les politiques du monde entier se disent sans doute qu’à présent, on n’a plus besoin d’un programme qui fait sens pour remporter une élection de cette importance. Ainsi, on constate le vide des idées, un vide assumé, catalysé par le recours à la « technique », notamment communicationnelle.
A l’instar de Trump donc, Macron fascine les médias français. Pas une ouverture d’un sujet politique sans parler du jeune ambitieux. Il fait, semble-t-il, vendre. Il fait vendre, alors que, jusqu’à jeudi, il n’avait pas encore de programme. Mais il est aux portes de l’Elysée. Personne ne se soucie du fond, d’ailleurs, c’est assumé. On veut être vu, « mentionné » dans les discussions, buzzer. Pendant plusieurs mois, il a su naviguer à vue, surfant uniquement sur l’événement. Macron, comme Trump, est le produit d’un système qu’il prétend vouloir dénoncer.
Les médias vont évoquer un programme qui n’existe pas encore. Ce n’est pas le plus important, loin de là. On a jamais autant parlé d’un programme qui n’existait pas encore jusqu’à jeudi dernier. Soulignons que les formats Tv adorent ce type de personnage, cela leur permet de s’adonner à leur passe-temps favori : raconter n’importe quoi, se perdre en conjectures avec les fameux « experts ». On adore faire semblant de réfléchir sur le service public, donner l’illusion d’une idée, un simulacre de réflexion.
Le politique et internet : vie et mort d’une pensée politique structurée
En revanche, un Mélenchon qui fait des vidéos YouTube, cela reste une bête curieuse, un spectacle au mieux saugrenu, au pire grotesque : ce n’est plus Norman, mais Jean-Luc qui fait des vidéos.
Parallèlement, on observe les autres partis tentant de s’adapter à ce nouveau contexte informationnel. Ils adoptent de nouvelles façons de communiquer leur message, à l’instar des personnes âgées qui s’essaient au « mulot ». C’est, la plupart du temps, assez ridicule.
On observe ainsi un Philippot buvant des tasses de café vides sur YouTube et un Mélenchon possédant le don d’ubiquité. Il est devenu un hologramme. Soudain la substance de son programme apparaît sous nos yeux : un corps éthérique, sans contenance. L’ironie de la chose est que, finalement, la vacuité est embrassée. Il s’affirme comme remède souverain à la misère symbolique des classes laborieuses, se composant de professeurs et autres professions culturelles dévalorisées.
C’est un peu comme lorsque les anciens monopoles des taxis G7 essaient de s’adapter à l’offre d’un Uber. L’adaptation est d’autant plus dure qu’on ne s’est jamais remis vraiment en cause auparavant. La difficulté est grande de se remettre en question. Ils n’y parviennent qu’imparfaitement. Un Macron qui utilise les réseaux sociaux pour faire avancer son agenda, on ne moufte pas. Il est dans son élément. En revanche, un Mélenchon qui fait des vidéos YouTube, cela reste une bête curieuse, un spectacle au mieux saugrenu, au pire grotesque. On se souvient des vidéos YouTube de Jean-Marie Le Pen. On ne retenait pas grand chose, si ce n’est quelques punchlines bien senties ou des saillies joyeusement racistes. Reste que tout cela est tourné en dérision.
Et bien dans l’équation, le PS, les Républicains ou le FN sont des G7 et Macron, Uber. C’est très pratique, mais ça reste une anomalie dans le marché politique actuel.
Macron et son mouvement sont des produits électoraux d’un nouveau genre, où tout est mesuré, optimisé, la communication étant le but final. Et ça marche. Cependant, nous sommes souvent démunis devant l’absence de contenu et de vision. Ainsi, en charge de la communication du bonhomme, nous retrouvons Axelle Tessandier aux manettes. La jeune femme se dit « déterminée à imaginer et construire le XXIème siècle ». Je ne sais pas ce que ça veut dire.
Pour essayer de me faire une idée plus précise de son métier, je me suis rendu sur son site. Elle s’y auto-proclame « chef d’entreprise 3.0 »
Je ne suis pas parvenu à comprendre ce qu’elle fait, peut-être suis-je complètement débile. Mais j’y retourne. Pour lire et relire. Après plusieurs relectures à une semaine d’écart, je n’ai pas été capable de saisir ce qu’elle voulait opérer, ni à quoi servait sa société. Et ce n’est pas parce que le site est en anglais.
L’image au service d’un détachement du réel
Dans l’Antiquité, les généraux romains avaient leur triomphe, mais l’esclave tenant au-dessus de la tête du triomphateur la couronne de laurier lui répétait des formules l’appelant à la modestie : souviens-toi que tu es mortel.
Dans l’Antiquité, les généraux romains avaient leur triomphe, mais l’esclave tenant au-dessus de la tête du triomphateur la couronne de laurier lui répétait des formules l’appelant à la modestie : souviens-toi que tu es mortel. 2000 ans de civilisation produisent à présent des triomphes avant la victoire.
Ces monstruosités politiques devant l’enthousiasme des foules, sont incapables de la moindre humilité ou prise de recul. La mise en scène des meetings suggère aussi un besoin de gigantisme grotesque. La flatterie devient le moyen privilégié pour arriver à ses fins, en vue de faveurs futures lorsque l’élu sera enfin au sommet.
Elle prend une saveur particulière à l’heure du 2.0. On observe ainsi une Laurence Haïm, quittant le navire I-Télé, considérée par ses pairs comme « experte des Etats-Unis », déclarant à qui veut l’entendre que Macron est bel et bien le nouvel Obama Français.
Si l’image semble belle, c’est une contre-vérité sur tant de points que 100 articles ne suffiraient pas à démonter cet argumentaire. Obama, a eu lui le courage de se confronter à ses adversaires lors de primaires au sein de son parti. Obama est métis, considéré comme Noir aux Etats-Unis, où cette communauté est encore largement discriminée et constitue la majeure partie de la population carcérale du pays. Ancien sénateur de l’Illinois, il a occupé plusieurs fonctions électives avant de se lancer dans l’élection suprême.
Je rappelle simplement une chose : les opinions ne sont pas des faits. N’étant pas journaliste, je sais que cela peut choquer.
Sous prétexte de confronter des points de vue, on affabule, avec la bénédiction des médias. Ici, il s’agit simplement de vendre un produit. De convaincre les gens de l’adopter. Je rappelle simplement une chose : les opinions ne sont pas des faits. N’étant pas journaliste, je sais que cela peut choquer.
On se demandera plus généralement : cela veut-il dire que l’homme politique se considère idéalement comme un produit de masse et qu’il est réellement impatient de vivre comme tel ? Les lauriers que leurs supporters leur tressent célèbrent cette entrée dans la sphère des produits de séries, qu’ils reconnaissent comme supérieurs. Ils ont réussi à s’intégrer au monde des produits. Ainsi, nous ne participons plus politiquement, nous consommons seulement l’image.
Une image a remporté les élections canadiennes. Une image a remporté les élections américaines. Une autre s’apprête à gouverner notre pays. Il semble que nous soyons arrivés au bout d’un processus. La prolifération des images a englouti la politique et « nous vivons l’arrivée à maturité du vide. »
Liens
How the Nixon-Kennedy Debate Changed the World (Time)
Donald Trump à la Maison Blanche : la défaite des médias
Emmanuel Macron : un ange de la téléréalité