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Inconnu il y a encore trois mois, le coronavirus a mis le monde entier entre parenthèses pour une durée indéterminée. Le retour à la normale n’est pas pour demain, si tant est qu’il y en ait un.

Tout aurait commencé fin décembre 2019 sur un marché à Wuhan, l’un de ces marchés à l’hygiène plus que douteuse sur lequel des animaux sauvages sont vendus illégalement. Le pangolin est-il, comme certains experts l’affirment, l’hôte du coronavirus ? Espèce braconnée s’il en est, en raison de vertus prétendument aphrodisiaques, il tiendrait auquel cas beaucoup plus qu’une éclatante revanche et serait en quelque sorte le messager d’une nature qui dit stop.

Alertées à la suite de l’apparition de dizaines de cas de pneumonies alors inconnues, les autorités chinoises ont d’abord tardé à réagir, mettant trois semaines à officialiser l’existence d’un nouveau SRAS. Taxées de légèreté dans le cas du précédent, autrement moins dévastateur que l’actuel au demeurant, elles ont ensuite pris des mesures exceptionnelles et spectaculaires, au premier rang desquelles le confinement pur et simple d’une mégapole de onze millions d’habitants. Sauf qu’entretemps, ils sont des centaines de milliers, potentiellement porteurs du nouveau virus, à avoir eu le temps de s’organiser et de se disséminer dans le pays, voire au-delà. De quoi relativiser le concert de louanges de l’OMS à l’endroit de l’administration Xi Jinping, saluée pour une gestion de crise prétendument exemplaire, mais auprès de laquelle elle n’a pas jugé bon d’évoquer la disparition plus que suspecte de lanceurs d’alerte.

Connu pour son opacité et son peu de cas fait aux droits de l’Homme, l’Empire du Milieu filtre les débats sur le coronavirus et noyaute toute la communication. Une main de fer dans un gant en titane, et une pseudo-transparence indispensable pour ne pas se retrouver au ban des nations. Les chiffres, ô combien à prendre avec des pincettes dans ce cas de figure, attesteraient d’un léger reflux de l’épidémie, et Pékin, tout en manifestant son souhait de réduire la pression dans les villes confinées, a franchi un nouveau stade il y a quelques jours, exigeant le placement en quarantaine de tous les ressortissants chinois de retour de l’étranger.

Il convient de frapper fort, d’être exemplaire, mais aussi de mettre les bouchées quadruples pour faire redémarrer l’usine du monde au plus vite. Chacun en a besoin, mais en attendant, les Bourses vomissent, le pétrole s’écroule, la crise économique et financière s’est installée, les secteurs de l’aéronautique, de l’hôtellerie et du tourisme ont la tête dans le sac, le monde du sport est pratiquement à l’arrêt, les événements internationaux reportés voire annulés se comptent en milliers et, en moins d’un mois, depuis que le coronavirus n’est plus une affaire sino-sinoise, des pays entiers, cueillis à froid, ont dû se résoudre à prendre le taureau par les cornes.

Le drame italien

Tout a en réalité changé le week-end du 22 février, à la suite de la découverte soudaine de dizaines de cas en Italie. Le ton de l’OMS a lui aussi changé et son directeur général n’avait pas tort lorsqu’il a affirmé que le monde n’était « simplement pas prêt » à faire face à cette pandémie (l’organisation s’est résolue à lâcher ce terme hier). Le virus a-t-il muté en plus dangereux, comme beaucoup le croient ?

Prise en étau entre sa démographie, la moins dynamique d’Europe, un système de santé globalement défaillant et un excès de bureaucratie, la botte est quoi qu’il en soit en train de sombrer sous les yeux ébahis du monde entier. Les hôpitaux sont sursaturés et tout porte à croire, suprême tragédie, comble de l’horreur, qu’il faut maintenant choisir entre ceux qui doivent vivre et ceux, trop vulnérables ou trop durement atteints, qui ne peuvent plus être pris en charge. Toutes les provinces du pays sont en quarantaine depuis le début de la semaine et tous les commerces sont fermés depuis mercredi. Hormis se nourrir ou aller à la pharmacie, les Italiens ne peuvent tout simplement plus rien faire. Leur vie et leurs libertés ont été confisquées. Le prix à payer, terrible, pour limiter au maximum l’ampleur d’un drame qui ébranle des familles entières, les fondamentaux même d’un pays chargé d’histoire et qui rend tous les qualificatifs désuets.

Déjà fragilisée, l’économie transalpine est de surcroît largement tributaire des PME et il ne faut aucun doute que nombre d’entre elles, de l’autre côté des Alpes et ailleurs, mourront du coronavirus, au même titre qu’une kyrielle de commerces, restaurants et autres épiceries.

Un peu longue à la détente elle aussi, l’Espagne pourrait connaître un sort équivalent. De leur côté, la Grande-Bretagne et l’Allemagne font aujourd’hui mieux face. Plus riches, plus organisées, ces deux grandes puissances européennes ne sont cependant pas épargnées et Angela Merkel a prévenu : 70% de la population du pays pourrait être contaminée. Les experts de la santé britannique ont pour leur part avancé le chiffre de 80%.

L’exception française 

Reste le cas français, avec des chiffres à relativiser là aussi au regard de la fréquence des tests de dépistage, bien moindre qu’en Italie. Si les visages ont changé dans le métro, si quelques quidams arborent un masque, si les rassemblements de plus de 1 000 personnes sont désormais interdits, tout comme les visites dans les EHPAD, si les rayons des supermarchés commencent à se vider, comme en temps de guerre, il est toujours possible de circuler librement dans l’Hexagone, de fréquenter des bars, de se rendre à son travail même lorsque l’option du télétravail est possible, de déposer ses enfants à la crèche dans la plupart des localités… Paris a jusqu’à présent pris des dispositions parmi les moins contraignantes au monde, quand d’autres ont fermé toutes les vannes, ce qui rappelle à certains la fable du nuage de Tchernobyl qui se serait arrêté à la frontière de notre pays. Déni français ?Coupable légèreté ? Refus d’admettre la gravité des faits, ce qui ne serait pas le moindre des paradoxes pour un peuple aussi connu pour son pessimisme que pour sa soif de libertés et  son goût prononcé des petites choses qui font la beauté de la vie ?

Emmanuel Macron s’exprimera ce soir et renforcera probablement le dispositif, avec in fine le passage à ce fameux « stade 3 », dont les contours sont mal connus de nos concitoyens. Dans l’immédiat, d’aucuns vantent le formidable système de santé français, mais avec seulement 5 000 lits sur le territoire dans les services de réanimation, il est à craindre que notre pays soit lui aussi très loin du compte.

Nos concitoyens, et tous les Européens avec eux à l’exception des Britanniques, sans doute parce qu’il est écrit que les liens historiques qui unissent les deux pays résisteront à toutes les épreuves, sont par ailleurs persona non gratadu territoire américain pour une durée minimum d’un mois. Donald Trump, qui joue sa réélection et pourrait avoir à souffrir d’une récession aux Etats-Unis, lui qui a fait de la vigueur de l’économie de l’Oncle Sam son principal cheval de bataille, a voulu frapper très fort, tançant au passage le Vieux Continent dans sa globalité. De son point de vue, et peut-être est-il dans le vrai lui aussi, l’Europe n’en a pas fait assez pour juguler l’épidémie. La radicalité de cette mesure tranche en tout cas avec la rhétorique originelle d’un président qui avait commencé par minimiser le péril et accessoirement accuser le camp démocrate d’attiser des craintes injustifiées…

Démondialisation

Bruno Le Maire l’a bien compris : il y aura un avant et un après, et ce monde a d’ores et déjà montré d’inquiétantes limites face à la pandémie de coronavirus. Un monde qui a commis l’erreur de donner un trop grand nombre de clefs à la Chine, d’où des situations ubuesques et dévastatrices comme la production dans l’Empire du Milieu de médicaments destinés à d’autres marchés, et une crise qui touche l’économie réelle. Par définition, elle ne pourra donc se résoudre par des injections de liquidités.

Ni saine, ni acceptable, l’hyperdépendance à l’endroit du pays le plus peuplé de la planète a donné naissance à des chaînes de valeur que nos dirigeants devront, quand l’urgence immédiate ne sera plus la survie de centaines de millions de personnes, repenser le plus rapidement possible. Mieux vaut, après tout, une main-d’oeuvre plus coûteuse, mais opérationnelle, qu’une main-d’oeuvre à prix cassé exposée en premier et à intervalles réguliers à des maladies respiratoires liées à des habitudes alimentaires aussi tenaces que discutables, à plus forte raison lorsque les normes d’hygiène sont outrepassées.

 Ces dernières, l’accroissement démographique, l’essor de la classe moyenne chinoise, la mondialisation, les flux perpétuels de voyageurs qui en découlent et l’absence de stratégie mondiale de prévention ont jeté les bases d’une fièvre planétaire et d’un scénario de film catastrophe. Les réalisateurs du long-métrage Contagion, sorti en 2011, ne croyaient pas si bien dire et le moment est venu où la réalité a dépassé la fiction.

Face au déchaînement de mauvaises nouvelles inhérent à une pandémie comme on en connaît une par siècle tout au plus, à ce décompte que l’humanité ne parvient pas à arrêter, les rapports du reste du monde avec la Chine peuvent et doivent changer. Selon l’essayiste Coralie Delaume, l’Union européenne telle que nous la connaissons aujourd’hui est quant à elle en danger et le coronavirus « pourrait invalider les présupposés du néolibéralisme et de l’européisme, l’Union européenne n’étant que la mise en œuvre la plus poussée, à l’échelle continentale, de l’idéologie néolibérale ». A terme, le rétablissement des frontières ne peut être exclu et si tel devait être le cas, le « Covid-19 » y aura assurément contribué.

Docteur en médecine, Michel Joli, qui tient un blog sur Mediapart, va plus loin et affirme que « cette épidémie illustre en vraie grandeur la fragilité de notre espèce ». Une espèce qui s’écharpe pour du papier toilette, qui fait des stocks de pâtes et de riz, avide d’échanges, mais aujourd’hui contrainte, pour une durée indéterminée, au repli sur elle-même.

Une espèce qui est en train de payer au prix fort ses excès et ses légèretés. Une espèce qui aurait intérêt à moins consommer, à délaisser le superflu et à se recentrer sur l’essentiel : l’amour de l’autre, le respect de toutes les formes de vie et l’inclination envers la planète. 

Une espèce qui avait oublié l’importance capitale de la santé, que se déplacer était une chance et que voyager était un luxe. Le coronavirus, qui touche indistinctement ministre, député, PDG d’entreprise, footballeur, acteur et commun des mortels, s’est chargé de le lui rappeler. Il serait préférable que la leçon soit retenue.

Guillaume Duhamel

Guillaume Duhamel

Journaliste financier originellement spécialisé dans le sport et l'écologie. Féru de politique, de géopolitique, de balle jaune et de ballon rond. Info plutôt qu'intox et intérêt marqué pour l'investigation, bien qu'elle soit en voie de disparition.

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