Partagez sur "De la bibliothèque d’Alexandrie au Big Data, vers la sauvegarde de l’Humanité"
Nous sommes entre 48 avant Jésus Christ et l’an 642 de notre ère. Un soleil d’or qu’ils prénommaient Râ se lève sur l’antique Alexandrie et chauffe la fabuleuse cité à blanc, tandis que le Nil poursuit ton trajet au long cours dans la vaste Egypte des pharaons, attendant les premières canges à transporter. Le VIe siècle est celui des invasions romaines puis arabes, avant le VIIe et la marche des Nubiens sur Thèbes pour devenir les nouveaux maîtres de la contrée.
Alexandrie est une sœur d’Athènes puis de Rome, avant Constantinople et Paris, à savoir une cité-empire dans laquelle le merveilleux côtoie le divin et dans laquelle une civilisation est née avec ses dieux, ses idoles et ses rites et ne cesse d’exercer une fascination pour les siècles à venir.
L’aurore au doigt de roses étendait donc ses premiers rayons sur le sable fin des arides déserts de Seth entourant les pyramides et les habitations des quelques fellahs qui vivent au rythme d’Osiris et de ses vallées fertiles. Qu’advînt-il précisément en cette journée lumineuse, les suites de la guerre entre César et Pompée ? Les luttes entre les païens et les chrétiens ? Les conquêtes arabes ? Nul ne peut l’affirmer, hormis les quelques témoins qui aperçurent les premières flammes mordre puis dévorer tous les étages de la bibliothèque d’Alexandrie. Un feu vorace, assassin, nihiliste qui consume un par un les 500 000 ouvrages qui constituaient une somme des civilisations antiques. Leur philosophie, leur art, leur littérature, leur théâtre, leur poésie. Peut-être leur roman.
Les ultimes étincelles cédèrent bientôt leur place aux vagues de fumée qui emmenèrent jusqu’aux cieux les vestiges d’une culture enfouie, n’épargnant que des fragments ou certains auteurs. Aristophane a sûrement écrit des pièces encore plus savoureuses et des poètes auraient supplanté Homère comme référence pour les millénaires prochains. Il y avait à coup sûr d’autres Epicure, d’autres Platon, d’autres Tacite partis à jamais dans cette autre version de l’Atlantide où l’élément feu s’avéra destructeur. Nul ne le saura, et l’Orient comme l’Occident ne pourront jamais apporter une réponse fiable à cette tragédie. La première utopie scientifique, à savoir la collecte et la mise en commun de tous les ouvrages, a fini en cendres et rien, absolument rien, ne laissait présager d’une telle tragédie en cette journée débutée sous le regard pourtant bienveillant d’Amon-Râ.
Google, le Cloud et le Big Data, vers une sauvegarde de l’Humanité ?
En proposant, grâce au projet Gallica, de numériser les ouvrages détenus par la BNF, Google avait provoqué une vive polémique et des réticences sont toujours perceptibles dans les milieux culturels. De quel droit, le géant américain, s’arroge-t-il le droit de s’emparer d’une culture et de la collecter dans ses serveurs ? Bien que nous devinions la portée capitaliste et matérialiste de cette entreprise, nous sommes obligés de déceler dans cette initiative la même ambition que fut certainement celle des empereurs antiques en bâtissant la bibliothèque d’Alexandrie ou le Césaréum.
Sans verser dans l’angélisme, Google permet en quelque sorte à l’Humanité de pouvoir se sauvegarder, via la dématérialisation et le stockage des données. Comme le déclarait Paul Valéry dans Tel Quel, « Les civilisations sont mortelles », et une civilisation, sinon une culture, trouve ses fondamentaux dans sa langue, sa culture et l’addition des savoirs de son temps. Le même rêve est permis avec les nouvelles technologies du Cloud, qui permettent une externalisation du stockage des données, grâce notamment aux géants du secteur tels qu’IBM, Microsoft, Oracle, Apple ou Orange Business Services. La donnée sauvée ne dépend dès lors plus d’un logiciel ou d’un matériel, mais bien de la puissance d’Internet.
Leurs objectifs sont évidemment financiers et commerciaux, surtout pour le Big Data et le BigQuery de Google qui permettent le stockage mais aussi la visualisation des informations, mais le changement de paradigme est profond pour l’Humanité qui a désormais conscience de la possibilité pour elle de se « sauvegarder ». Le prix à payer, puisque tout peut être numérisé, est la protection de la vie privée et des informations personnelles, mais les civilisations n’ont plus à craindre quant à la protection de ses ouvrages culturels, de sa poésie, de ses traités scientifiques ou de ses ouvrages philosophiques.
Si les hommes ont mis au point la bombe atomique pour se supprimer, ils ont également élaboré un système pour ne plus craindre les flammes d’Alexandrie. Chaque versant de la conscience universelle se trouve ainsi résumée dans ces deux inventions partagées entre le Bien et le Mal, même si aucun serveur ne ramènera jamais ces poètes ensevelis dans les ruines du monde antique.